Le vote de l’absurde (pour Figaro Vox)

«  L’absurde est la notion essentielle et la première vérité » écrit Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe. Le second tour de l’élection présidentielle de 2022 sera donc exactement le même que celui de 2017, opposant Marine le Pen à Emmanuel Macron. Dans plusieurs enquêtes d’opinion, notamment un sondage Marianne de février 2020, les Français avaient massivement exprimé, à 80%, leur refus de voir ce duel se reproduire. Par le plus étrange des paradoxes, ils viennent ainsi de bafouer leur propre volonté. Cette glaciation de la vie politique, les Français n’en voulaient en aucun cas mais ils l’ont pourtant décidée eux-mêmes, sans doute par résignation et par une montée de l’indifférence matinée d’écœurement dont témoigne un absentéisme élevé.

L’une des leçons emblématiques de ce scrutin est la qualification de Mme le Pen avec un score élevé. Certes, « l’effet Zemmour » a exercé un puissant recentrage en sa faveur. Mme le Pen avec ses chats a réussi à faire oublier le FN dont elle est issue. Son étiquette « d’élève médiocre » qui lui est accolée par les media a facilité un phénomène d’identification populaire, par réaction à l’image d’élitisme arrogant qui sied à son adversaire. Mais surtout, Mme le Pen a remporté haut la main la course au néant. La source de son triomphe est d’avoir rogné peu à peu sur tous les aspects saillants du discours lepéniste. Où sont passées les convictions d’hier, « l’immigration zéro », le référendum sur la sortie de l’Europe et sur l’euro, et jusqu’au retour à la retraite à 60 ans ? Cette neutralisation du discours traditionnel et sa réorientation sur le thème consensuel du « pouvoir d’achat » a exercé un effet rassurant sur l’opinion : au moins, elle qui ne propose rien ne nous fera pas de mal supplémentaire.

Mais le vide est face à son reflet, comme dans une mise en abyme. « Le présidentcandidat Emmanuel Macron bat tous les records de popularité » jubilait Paris-Match le 8 mars dernier à l’image d’une obséquiosité médiatique trop répandue. Son quinquennat se confond avec la sublimation d’une image personnelle : sauveur face aux Gilets Jaunes, chef de guerre devant l’épidémie de covid 19 puis l’invasion de l’Ukraine. En refusant les débats du premier tour, il s’est situé au-dessus de la mêlée. Cette posture jupitérienne lui a permis d’esquiver la polémique sur son bilan en matière de politique sociale, de libertés (emprisonnements à domicile, couvre-feu, stratégie du bouc émissaire – « emmerder les non vaccinés ») et sur les résultats obtenus dans la crise sanitaire notamment en comparaison avec l’Allemagne. La même posture a eu pour effet d’évacuer tout questionnement sur l’explosion des dépenses de l’Etat : 560 milliards d’euros en deux ans dont seulement 100 liés au « quoi qu’il en coûte » sanitaire (Cour des Comptes), d’où la vertigineuse augmentation de la dette publique. La non campagne du « président-Jupiter »se traduit par son relatif succès à peu près conforme aux sondages.

Mais ce néant des idées s’accompagne d’une radicalisation spectaculaire de la scène politique française. Les trois candidats derrière le candidat-président, Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour, présumés protestataires et antisystèmes, atteignent la majorité absolue à eux trois… Les partis classiques de la politique française poursuivent leur effondrement. Le naufrage de Valérie Pécresse est une autre leçon dramatique de cette élection. L’électorat LR s’est dispersé entre M. Macron, Mme le Pen et Eric Zemmour. Il n’a servi à rien de tenter bâtir un projet sérieux tourné vers le bien commun. Les idées et les projets se noient désormais dans le nihilisme narcissique et la surenchère démagogique. Au jeu de la bataille d’image, Mme Pécresse fut la grande perdante, victime du mépris, et des moqueries (le chien Douglas). Les partis traditionnels poursuivent leur agonie, entraînés dans l’abîme avec la mort du débat d’idées et de projets.

La question du sens de l’élection présidentielle est désormais posée. Celle-ci avait jusqu’à présent une signification, même vague, transcendant le choix d’un individu.  En 1974, Giscard d’Estaing annonçait une « société libérale avancée » ; 1981 Mitterrand voulait « changer la vie »; en 1995 Chirac s’en prenait à la « fracture sociale » ; Sarkozy en 2007 prônait l’identité nationale ; en 2012, Hollande prétendait « taxer les riches » ; le thème du « renouvellement » dominait la campagne de 2017. Ces slogans se sont souvent traduits par de lourdes déceptions mais ils donnaient un sens au scrutin présidentiel.

Or, ce premier tour des présidentielles de 2022 fut bien au contraire celui du néant. L’avenir de la France face aux grands enjeux de l’avenir a été totalement occulté. Le pays de Montaigne, de Pascal et de Descartes peut-il se contenter de se donner tous les cinq ans une sorte de gourou élyséen ? Une élection par défaut ou par l’absurde, jusqu’à la caricature : demain Mme le Pen sera élue par déchaînement d’anti-macronisme ou bien M. Macron le sera par anti-lepénisme et peur de « l’extrémisme ».

Quelle que soit son issue finale, la campagne électorale de 2022 a confirmé la déliquescence morale et intellectuelle de la politique française. En fait d’exemplarité, elle a fait naufrage dans le spectacle délétère dominé par le narcissisme, l’obséquiosité et les félonies. Inévitablement, la frustration démocratique des Français tournera demain à la violence et au chaos.

D’un mal peut-il enfin sortir un bien ? Il est possible que l’effondrement de l’élection présidentielle dans la gesticulation nihiliste se traduise, par effet de balancier, dans un renouveau de la démocratie parlementaire autour de l’élection législative suivante, alors vécue comme une session de rattrapage. Alors que l’explosion de la droite se profile à l’horizon (inévitable dans l’hypothèse de la réélection de M. Macron), la poignée de parlementaires de droite qui résisteront encore et toujours aux sirènes de l’opportunisme – au nom de l’honneur et d’une certaine vision de l’histoire – pourrait dès lors jouer un rôle clé, face à la tempête qui vient, dans la reconstruction à venir de la démocratie française.

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Author: Redaction

Le vote de l’absurde (pour Figaro Vox)

«  L’absurde est la notion essentielle et la première vérité » écrit Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe. Le second tour de l’élection présidentielle de 2022 sera donc exactement le même que celui de 2017, opposant Marine le Pen à Emmanuel Macron. Dans plusieurs enquêtes d’opinion, notamment un sondage Marianne de février 2020, les Français avaient massivement exprimé, à 80%, leur refus de voir ce duel se reproduire. Par le plus étrange des paradoxes, ils viennent ainsi de bafouer leur propre volonté. Cette glaciation de la vie politique, les Français n’en voulaient en aucun cas mais ils l’ont pourtant décidée eux-mêmes, sans doute par résignation et par une montée de l’indifférence matinée d’écœurement dont témoigne un absentéisme élevé.

L’une des leçons emblématiques de ce scrutin est la qualification de Mme le Pen avec un score élevé. Certes, « l’effet Zemmour » a exercé un puissant recentrage en sa faveur. Mme le Pen avec ses chats a réussi à faire oublier le FN dont elle est issue. Son étiquette « d’élève médiocre » qui lui est accolée par les media a facilité un phénomène d’identification populaire, par réaction à l’image d’élitisme arrogant qui sied à son adversaire. Mais surtout, Mme le Pen a remporté haut la main la course au néant. La source de son triomphe est d’avoir rogné peu à peu sur tous les aspects saillants du discours lepéniste. Où sont passées les convictions d’hier, « l’immigration zéro », le référendum sur la sortie de l’Europe et sur l’euro, et jusqu’au retour à la retraite à 60 ans ? Cette neutralisation du discours traditionnel et sa réorientation sur le thème consensuel du « pouvoir d’achat » a exercé un effet rassurant sur l’opinion : au moins, elle qui ne propose rien ne nous fera pas de mal supplémentaire.

Mais le vide est face à son reflet, comme dans une mise en abyme. « Le présidentcandidat Emmanuel Macron bat tous les records de popularité » jubilait Paris-Match le 8 mars dernier à l’image d’une obséquiosité médiatique trop répandue. Son quinquennat se confond avec la sublimation d’une image personnelle : sauveur face aux Gilets Jaunes, chef de guerre devant l’épidémie de covid 19 puis l’invasion de l’Ukraine. En refusant les débats du premier tour, il s’est situé au-dessus de la mêlée. Cette posture jupitérienne lui a permis d’esquiver la polémique sur son bilan en matière de politique sociale, de libertés (emprisonnements à domicile, couvre-feu, stratégie du bouc émissaire – « emmerder les non vaccinés ») et sur les résultats obtenus dans la crise sanitaire notamment en comparaison avec l’Allemagne. La même posture a eu pour effet d’évacuer tout questionnement sur l’explosion des dépenses de l’Etat : 560 milliards d’euros en deux ans dont seulement 100 liés au « quoi qu’il en coûte » sanitaire (Cour des Comptes), d’où la vertigineuse augmentation de la dette publique. La non campagne du « président-Jupiter »se traduit par son relatif succès à peu près conforme aux sondages.

Mais ce néant des idées s’accompagne d’une radicalisation spectaculaire de la scène politique française. Les trois candidats derrière le candidat-président, Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour, présumés protestataires et antisystèmes, atteignent la majorité absolue à eux trois… Les partis classiques de la politique française poursuivent leur effondrement. Le naufrage de Valérie Pécresse est une autre leçon dramatique de cette élection. L’électorat LR s’est dispersé entre M. Macron, Mme le Pen et Eric Zemmour. Il n’a servi à rien de tenter bâtir un projet sérieux tourné vers le bien commun. Les idées et les projets se noient désormais dans le nihilisme narcissique et la surenchère démagogique. Au jeu de la bataille d’image, Mme Pécresse fut la grande perdante, victime du mépris, et des moqueries (le chien Douglas). Les partis traditionnels poursuivent leur agonie, entraînés dans l’abîme avec la mort du débat d’idées et de projets.

La question du sens de l’élection présidentielle est désormais posée. Celle-ci avait jusqu’à présent une signification, même vague, transcendant le choix d’un individu.  En 1974, Giscard d’Estaing annonçait une « société libérale avancée » ; 1981 Mitterrand voulait « changer la vie »; en 1995 Chirac s’en prenait à la « fracture sociale » ; Sarkozy en 2007 prônait l’identité nationale ; en 2012, Hollande prétendait « taxer les riches » ; le thème du « renouvellement » dominait la campagne de 2017. Ces slogans se sont souvent traduits par de lourdes déceptions mais ils donnaient un sens au scrutin présidentiel.

Or, ce premier tour des présidentielles de 2022 fut bien au contraire celui du néant. L’avenir de la France face aux grands enjeux de l’avenir a été totalement occulté. Le pays de Montaigne, de Pascal et de Descartes peut-il se contenter de se donner tous les cinq ans une sorte de gourou élyséen ? Une élection par défaut ou par l’absurde, jusqu’à la caricature : demain Mme le Pen sera élue par déchaînement d’anti-macronisme ou bien M. Macron le sera par anti-lepénisme et peur de « l’extrémisme ».

Quelle que soit son issue finale, la campagne électorale de 2022 a confirmé la déliquescence morale et intellectuelle de la politique française. En fait d’exemplarité, elle a fait naufrage dans le spectacle délétère dominé par le narcissisme, l’obséquiosité et les félonies. Inévitablement, la frustration démocratique des Français tournera demain à la violence et au chaos.

D’un mal peut-il enfin sortir un bien ? Il est possible que l’effondrement de l’élection présidentielle dans la gesticulation nihiliste se traduise, par effet de balancier, dans un renouveau de la démocratie parlementaire autour de l’élection législative suivante, alors vécue comme une session de rattrapage. Alors que l’explosion de la droite se profile à l’horizon (inévitable dans l’hypothèse de la réélection de M. Macron), la poignée de parlementaires de droite qui résisteront encore et toujours aux sirènes de l’opportunisme – au nom de l’honneur et d’une certaine vision de l’histoire – pourrait dès lors jouer un rôle clé, face à la tempête qui vient, dans la reconstruction à venir de la démocratie française.

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