Sollicitée par LeGénéraliste.fr, j’ai répondu aux questions de Stéphane Lancelot sur le thème de « La Santé est-elle réformable ? » . Vous pouvez lire mon interview ci-dessous ou sur le site du Généraliste en cliquant ici.
La santé est-elle réformable ?Marisol Touraine : « Le système de santé n’appartient pas aux professionnels »
| 31.01.2019
Dans le cadre du dossier « Réformer la santé, une sacrée mission mais pas impossible » à paraître dans notre édition de demain, Le Généraliste a interrogé Marisol Touraine. Un an et demi après son départ de l’avenue de Ségur, elle a accepté de revenir sur les difficultés rencontrées par tout ministre de la Santé et aussi sur les réformes qu’elle a engagées malgré l’adversité.
La santé est-elle réformable ?
Marisol Touraine : Elle l’est, je l’ai moi-même
réformée. Les mesures de santé publique adoptées sous mon ministère ont
beaucoup provoqué de réactions mais donnent aujourd’hui des résultats.
Je pense au paquet neutre ou au nutriscore. J’ai aussi montré qu’on
pouvait transformer et adapter la santé publique en France pour lui
permettre de mieux réagir aux crises (Ebola, essai clinique,
attentats…). Une inflexion nouvelle a été donnée au système de soins,
qui a été réorienté de manière structurelle. La loi que j’ai portée et
les mesures que j’ai prises ont mis la prévention au premier rang des
préoccupations. Il y a eu une restructuration hospitalière, le choix de
privilégier la proximité, la médecine générale et de façon plus globale
la santé primaire, avec notamment les CPTS aujourd’hui renforcées.
Quelles sont les difficultés principales ?
M.T. Comme tout secteur extrêmement organisé,
structuré, avec des acteurs dont les intérêts peuvent être
contradictoires, il est parfois difficile de faire évoluer les choses.
La santé est un paquebot. Ses transformations supposent une vision
stratégique et des orientations suivies dans la durée. Chacun voit midi à
sa porte et a tendance à considérer les changements à l’aune de ses
intérêts particuliers. Mais ce n’est pas propre à la santé, c’est à la
fois humain et très banal.
La santé est-elle le secteur le plus difficile à réformer ?
M.T. Elle l’est tout autant que l’Éducation
nationale. Ce sont deux mastodontes. Cela dit, la santé est le seul
secteur, en dehors des ministères régaliens, où l’on doit gérer à la
fois une politique publique et des enjeux de crise. Au quotidien, je
pense que ce ministère est le plus difficile à manager. Les gens n’en
ont pas conscience. Précisément parce qu’il y a le pilotage stratégique
du système de santé, la mise en place de programmes concrets (santé
publique, tabac) et puis le risque permanent de crise qui occupe
beaucoup et qui suppose des qualités assez différentes de celles
qu’exige une gestion politique publique classique.
Le débat avec les médecins autour de votre loi de modernisation du système de santé a été houleux, comment l’expliquez-vous ?
M.T. Transformer le système de santé en se
préoccupant de l’accessibilité aux soins et de tarifs raisonnables
provoque toujours des réactions. Toutes les mesures n’ont toutefois pas
été débattues, et les parlementaires de droite ont voté l’essentiel de
cette loi sans difficulté, estimant que les médecins étaient d’accord. À
la fin, les crispations se sont focalisées sur le tiers payant. Les
autres éléments de la loi fonctionnent, se développent et sont
aujourd’hui poursuivis.
Avez-vous des regrets ? Feriez-vous certaines choses autrement aujourd’hui ?
M.T. Même si la nostalgie ne sert à rien, on a
forcément le regret des crispations. On se dit que des choses auraient
pu et dû être faites autrement. J’ai aussi regretté que les médecins
ne me soutiennent pas davantage dans certains combats que j’ai menés.
Sur le tabac par exemple, où seuls les spécialistes et les associations
se sont impliqués. Réformer la santé, ce n’est pas simplement gérer des
professionnels. Le système de santé ne leur appartient pas. Il est aussi
fait pour les millions d’usagers.
Avez-vous été suffisamment pédagogue au moment de la réforme ?
M.T. Je pense que la pédagogie était là. D’ailleurs,
plus de 70 % des Français soutenaient le tiers payant. Je veux bien
admettre que des choses auraient pu être faites autrement mais je ne
suis pas sûre que les médecins étaient prêts à beaucoup de compromis sur
le sujet.
Pour l’heure, le développement du tiers payant généralisé est suspendu…
M.T. Il est parfois difficile de convaincre les
médecins de mesures qui pourtant ne modifient profondément ni leur
exercice, ni leur liberté. Le tiers payant existe en Allemagne ainsi que
dans un grand nombre de pays, et il progresse en France. Il mettra plus
de temps que je l’aurais souhaité, mais le chemin emprunté est
irréversible.