Inauguration d’Eligobiosciences : discours de Marisol TOURAINE


Intervention de Marisol Touraine

Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes

Inauguration d’Eligobiosciences

Institut Pasteur – Lundi 5 octobre 2015

(seul le prononcé fait foi)

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Mesdames, messieurs,

« La France est une terre d’innovation en santé », m’a dit Astro TELLER, le responsable de Google X Lab il y a quelques jours. Je crois que la visite que nous venons d’effectuer est une nouvelle confirmation, une très belle illustration, de cette réalité.

Depuis plus de 3 ans, au fil de mes rencontres, de mes déplacements et de mes visites, je me suis forgé une conviction. Le rayonnement médical de notre pays tient évidemment à l’excellence de ses professionnels et à la performance de ses infrastructures. Mais ce qui fait la force du système français, c’est aussi notre puissante capacité à innover.

Des bio-imprimantes 3D qui révolutionnent la médecine réparatrice aux  ultrasons de haute intensité qui peuvent guérir le cancer de la prostate, en passant par la rétine artificielle qui permet aux malvoyants de retrouver la vue : innover, c’est repousser l’horizon des possibles. Guérir aujourd’hui ce qui ne pouvait l’être hier, c’est du concret pour la vie des Français.

Notre pays est à l’initiative, il est l’un des fers de lance de ce mouvement mondial. Parce que nous disposons d’atouts formidables. Des chercheurs qui nous ont permis de passer la barre des 100 premières mondiales dans nos CHU. Des professionnels de santé mobilisés, auprès des patients. Un secteur dynamique, en plein boom, source d’optimisme pour l’économie française : les industries de santé, ce sont 200 000 emplois dans notre pays. 30 000 pour le seul secteur de la santé numérique. La France est le premier producteur européen de biotechnologies. Elle s’appuie sur des start ups  de pointe : je pense à Innate Pharma, pionnier de l’immunothérapie du cancer, à Pixium Vision, en première ligne pour combattre le handicap visuel, ou encore à CARMAT dont le cœur artificiel total est de loin le plus avancé au monde.

Ma conviction, c’est que nous pouvons aller plus loin encore. En faisant tomber les barrières administratives qui freinent les ambitions. En soutenant les jeunes entreprises qui démarrent, qui portent une idée novatrice qu’elles aspirent à développer. C’est le raison pour laquelle je lance aujourd’hui un tour de France de l’innovation en santé. Je me rendrai sur le terrain, auprès de cette France en mouvement qui dessine la santé de demain, qui s’engage pour le bien-être des Français.

I. Ce tour de France de l’innovation, j’ai tenu à le lancer officiellement ici, avec deux jeunes talents qui s’engagent dans la lutte contre l’antibiorésistance.

Choisir comme incubateur l’Institut Pasteur, plutôt que le MIT, c’est en soi déjà un message. L’Institut Pasteur est un lieu symbolique, une référence. Depuis sa création en 1887 : pasteurisation, traitement contre la diphtérie, premier vaccin contre la fièvre jaune, premiers médicaments antihistaminiques… Ce qui relie toutes ces découvertes, c’est l’« esprit pasteurien », cet esprit de conquête, cette ambition d’innover pour mieux soigner.

Cet esprit, cher Xavier, cher David, il vous anime et vous le faites vivre. Vous faites partie de ces jeunes qui ont fait le choix d’entreprendre, de prendre des risques. Vous êtes en quelque sorte les Mariannes de l’anti-French Bashing. Non, les plus brillants de nos cerveaux n’ont pas besoin de partir à l’étranger pour réaliser leurs rêves. Ils peuvent les concrétiser ici, en France.

Et ce qui se crée ici, chez Eligobiosciences, c’est  une nouvelle génération d’antibiotiques, les eligobiotiques. Ces antibiotiques «  intelligents » ciblent les bactéries et les éradiquent, selon qu’elles possèdent un gène de résistance ou de virulence.

En répondant à un enjeu majeur de santé publique, l’antibiorésistance – pour lequel je viens d’annoncer une feuille de route -, en vous lançant dans l’aventure entrepreneuriale au service de la santé des Français, vous êtes en première ligne de l’innovation médicale.

II.  L’innovation, c’est la promesse de vivre mieux, de vivre plus longtemps, plus facilement, avec la maladie. Le XXIe siècle sera celui de la « média-médecine ».

Les nouvelles technologies transforment les relations entre patients, médecins, et professionnels de santé. La santé de demain, c’est la « média-médecine ». Elle s’appuiera sur l’informatique et les technologies numériques. Elle sera mue par les biotechnologies, les nanotechnologies et les sciences cognitives. Elle révolutionnera le quotidien des patients qui seront les acteurs de leur santé, en suivant leurs indicateurs avec des objets connectés, en interagissant avec des outils numériques. Elle transformera, aussi, l’exercice des professionnels de santé. Le médecin pourra se consacrer davantage à son cœur de métier, celui d’accompagner et de décider. Son diagnostic sera facilité par le numérique. Le geste médical, chirurgical, sera profondément transformé. Oui, le bras robotisé est sans doute le stéthoscope du XXIe siècle !

Tout va changer. Nos manières de consulter, d’abord. S’il fallait jadis aller voir un photographe pour une obtenir une photo d’identité, il suffit aujourd’hui de passer dans un photomaton avant de prendre le métro. Eh bien s’il faut aujourd’hui prendre rendez-vous chez le médecin pour une simple attestation d’aptitude, il suffira demain de passer dans une cabine de téléconsultation avant de monter dans sa Google car.

Nos manières de traiter et de soigner vont elles-aussi changer. Qui aurait cru, il y a encore quelques années, que l’on pourrait se faire retirer un rein en une journée à l’hôpital ou se faire poser une prothèse de hanche le matin, et rentrer à la maison à pied le soir ? La médecine de demain sera personnalisée et non-invasive. Elle bouleversera profondément notre vision de la maladie, notre rapport à la vie. Elle appelle de nouvelles prises en charge, l’innovation sera aussi organisationnelle.

Ce qui va changer, enfin, ce sont les acteurs de santé. Google, Facebook, Amazon, sont devenu des acteurs incontournables de l’innovation en santé. Demain, ils seront des interlocuteurs quotidiens pour les patients. Astro TELLER m’a confirmé que la lentille de contact Google permettant le suivi du diabète est en cours d’évaluation clinique. Qui sait ce que nous réserve encore l’avenir ?

Tout cela, il ne s’agit pas de le freiner – ce n’est pas le sens de l’Histoire. Il ne s’agit pas non plus de l’anticiper – ces transformations sont déjà là, autour de nous. Il s’agit de l’amplifier, de l’accélérer, partout où c’est possible et nécessaire.

Vous êtes de jeunes entrepreneurs et vous connaissez donc les difficultés, les blocages, auxquels on est souvent confronté lorsque l’on cherche à exprimer une idée, à la concevoir, la développer, la diffuser. L’empilement des démarches administratives, qui ralentit le démarrage des essais cliniques. La difficulté, aussi, à trouver des fonds pour se lancer. Beaucoup de start ups me l’ont dit : trop d’investisseurs rechignent encore à se lancer dans l’innovation en santé, parce qu’ils estiment que les délais sont trop longs et le retour sur investissement trop lointain.

Depuis trois ans, j’ai commencé à m’attaquer à tous ces blocages et j’agis pour encourager l’innovation. Et ça marche. J’ai fait évoluer la règlementation des démarches administratives. Concrètement, il fallait en moyenne 130 jours pour démarrer un essai clinique en 2012, ce délai est aujourd’hui de 45 jours en moyenne. J’ai développé de nouvelles procéduresl’autorisation temporaire d’utilisation pour les médicaments innovants et le forfait innovation pour les dispositifs médicaux et les actes innovant. Cela permet à des patients d’accéder précocement à l’innovation. Dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, je permets à notre pays de rejoindre enfin le large mouvement de l’open data. Les start ups pourront utiliser les données de l’Assurance maladie, évidemment dans le strict respect de l’anonymat des patients.

Enfin, le Gouvernement a favorisé l’investissement pour soutenir l’innovation. Aujourd’hui, en France, grâce aux 33 M€ de financement dans le cadre du programme d’investissement d’avenir pour la recherche hospitalo-universitaire, des femmes et des hommes travaillent à la conception d’un poumon artificiel, à des traitements révolutionnaires du handicap audiovisuel, de l’insuffisance cardiaque ou de l’obésité. Ma conviction, c’est que les pouvoirs publics ont pour devoir de soutenir ces initiatives. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 que je présenterai mercredi en Conseil des ministres, consacrera près de 6 milliards d’euros au financement des différentes étapes de l’innovation. C’est un investissement historique.

En trois ans, nous avons allégé l’environnement administratif et législatif, multiplié les soutiens financiers à l’innovation. Oui, il faut le dire : on innove plus facilement aujourd’hui qu’il y à quelques années en France. Mais cette nouvelle donne ne peut être un prétexte à l’auto-satisfaction. Elle nous invite, au contraire, à redoubler d’efforts.

 III. A travers le tour de France de l’innovation, je veux donner un nouvel élan, un nouveau coup d’accélérateur. J’ai trois grandes ambitions.

  • La première, c’est de mettre l’usager, le patient, le citoyen, au cœur de l’innovation en santé ; en d’autres termes, la démocratie sanitaire doit devenir un moteur de l’innovation en santé.

Innover, oui, mais pourquoi ? Avant de nous lancer, il nous faut toujours savoir à quelles fins, pour quel public. L’innovation en santé doit devenir une dynamique à double-sens : pas seulement des industriels vers les usagers, mais aussi des usagers vers les industriels. En connaissant mieux les besoins concrets, pratiques, de l’usager, nous innoverons plus vite et plus juste – à la fois techniquement et éthiquement. Chacun doit pouvoir s’exprimer.

C’est pourquoi j’ai décidé de créer les journées nationales de l’innovation en santé. La première édition aura lieu les 23 et 24 janvier 2016 à la Cité des sciences et de l’industrie. Elles rassembleront l’ensemble des acteurs concernés, des usagers, aux industriels, en passant par les chercheurs, les étudiants, les médecins, les associations de patients. Le temps de ces rencontres, la Cité des Sciences deviendra un immense Health lab, ouvert à tous. Chaque innovation fera l’objet d’une présentation interactive, chacun pourra la connaître et se l’approprier.

Pour inscrire cette dynamique dans la durée, un cycle annuel de « cafés innovation » organisés avec la Cité des sciences et l’association What Health sera lancé. Je vais travailler à ce que ces initiatives puissent se développer dans d’autres grandes villes françaises.

  • Ma deuxième ambition, c’est de stimuler les collaborations innovantes, pour faire émerger de nouveaux acteurs. Les partenariats tels que celui noué entre Google et Sanofi, doivent se multiplier.   

Je veux que chercheurs, designers, académiques, industriels et ingénieurs, disposent demain d’une structure leur permettant de se rencontrer, de parler, d’échanger.

C’est l’un des grands axes du plan Médecine du futur dont j’installerai  prochainement, avec le ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel MACRON, le comité de pilotage, co-présidé par le professeur André SYROTA et Oliver CHARMEIL. Concrètement, nous allons soutenir des fonds d’entrepreneurs spécialisés et rassembler les acteurs au sein de clusters.  Ces collaborations entre différents secteurs garantissent le croisement des expertises et des outils, la diffusion des idées.

Si le dialogue entre les acteurs de l’innovation est essentiel, l’échange avec les pouvoirs publics l’est tout autant. Cet échange doit être simple, rapide, fluide. Nombre de porteurs de projets m’ont fait part de leur difficulté à trouver un interlocuteur identifié au sein du Ministère de la Santé. Il nous faut donc le créer ! Un point d’entrée spécifique à l’innovation en santé sera ainsi mis en place début 2016 au sein du Ministère de la Santé.

  • Enfin, ma troisième ambition, c’est de mieux accompagner les jeunes entrepreneurs, de les aider à franchir le pas.

Soutenir et accélérer le développement des entreprises qui portent l’innovation, c’est à la fois un enjeu de santé – permettre au plus grand nombre de malades d’accéder aux traitements innovants – mais c’est aussi un enjeu économique – donner un temps d’avance à nos entreprises sur un marché mondialisé et compétitif. Or, les start-up françaises se heurtent malheureusement trop souvent à la « vallée de la mort » financière avant de parvenir à la commercialisation. Faute de capitaux suffisants, elles s’essoufflent dans une recherche permanente de financement. Mon ambition est de casser cette spirale négative.

C’est pourquoi, avec le Commissaire général à l’investissement Louis SCHWEITZER, j’ai décidé de lancer un fonds d’investissement de 100 millions d’euros pour mieux accompagner les jeunes pousses en leur permettant de mener à bien leurs projets, de franchir le cap de la diffusion de l’innovation et de pouvoir enfin s’asseoir au banc des acteurs de santé. Nous aurons prochainement, avec Louis SCHWEITZER, l’occasion de vous présenter ce fonds à l’occasion de son lancement.

Mesdames, messieurs,

L’innovation est porteuse d’espoir. Elle nous embarque, nous stimule, nous dépasse, parfois, tant elle révolutionne notre façon d’appréhender la santé.

La feuille de route que je viens de vous énoncer va nous permettre fédérer. Fédérer les acteurs de l’innovation en les soutenant davantage dans leurs projets. Fédérer les Français autour de ce grand défi du XXIe siècle. Cela demande de l’engagement, du courage et de la créativité. C’est tout cela que j’ai vu ce matin dans les murs d’Eligobiosciences. Bravo, et bonne route !

Je vous remercie.

Author: Redaction