Fin de vie, quand les conventions citoyennes remplacent la démocratie (pour Figaro Vox)

Stanislas Guérini, délégué général du parti présidentiel a déclaré : « Sur la fin de vie, je pense que la bonne méthode est celle que nous avons employée pour la PMA pour toutes : un calendrier partagé et transparent et un moment de concertation. Il serait utile de mettre en place une « convention citoyenne » sur le sujet, pour créer un consensus».

Le recours aux conventions citoyennes pour traiter de sujets fondamentaux est devenu une pratique banalisée du « nouveau monde politique ». En fin d’année dernière, à la demande du président de la République, 35 Français ont été tirés au sort pour former un « collectif de citoyens » chargé de « se prononcer sur la stratégie vaccinale en France ». Cette initiative faisait suite à « la Convention citoyenne sur le climat », composée de 150 citoyens, sélectionnés au hasard pour « représenter pleinement la société dans toute sa diversité et sa vitalité ». La méthode est-elle si nouvelle ? D’ores et déjà sous le quinquennat de M. François Hollande, « une conférence citoyenne », composée de 18 citoyens désignés selon des critères de représentativité de la société française définis par l’IFOP avait été chargée de réfléchir à la fin de vie. Elle avait débouché, à la fin de l’année 2013, sur des conclusions favorables à la « possibilité de se suicider par assistance médicale (dans certaines conditions) ».

Les conditions de la fin de vie sont aujourd’hui définies par le code de santé publique (L1110-5), issues notamment de la loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016 qui s’efforce de définir un équilibre entre des exigences contradictoires : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […] la famille ou, à défaut, un des proches. »

Pourquoi remettre en cause ce dispositif, récent et devenu largement consensuel ? Le sujet va au-delà d’une simple question de société : il touche à la conception de la vie humaine, c’est-à dire au noyau même de la civilisation. Il concerne directement le caractère sacré de la vie humaine, fondement de la civilisation qui la distingue de la barbarie. Il est ainsi de la même nature que la loi bioéthique en cours d’adoption incluant la PMA sans père, les expérimentations sur les cellules-souches, l’interruption médicale de grossesse à neuf mois pour détresse psycho-sociale. La volonté de légiférer à tout prix sur ces questions est idéologique. Elle est un marqueur essentiel du progressisme « post moderne » incarné par En Marche. Elle correspond à l’ultra-narcissisme et l’individu-dieu annoncés par Gille de Lipovetski dans l’ère du vide en 1982.

Le recours à des conventions citoyennes, tirées au sort ou désignées selon les principes de quotas applicables aux sondages est de fait assez conforme à l’esprit de cette idéologie.  Des sujets fondamentaux qui avaient jadis vocation à faire l’objet d’un débat entre les représentants élus de la nation au Parlement seront désormais traités par des individus non élus. Ce système revient à affaiblir la souveraineté du suffrage universel et la notion de peuple comme entité collective en charge de définir son destin par le vote populaire. Il lui substitue un assemblage de personnes désignées par le hasard, donc ne représentant qu’elles-mêmes. Il traduit ainsi l’individualisme à outrance qui se substitue au principe d’un destin collectif.

Le tirage au sort dans la cité athénienne à l’occasion des grandes décisions politiques signifiait que les mortels s’en remettaient à la décision des dieux. Aujourd’hui, les dieux se sont retirés et cette méthode donne simplement l’image d’un renoncement du politique et d’une fuite devant ses responsabilités. Quelle légitimité, quelle compétence ont des individus non élus et piochés au hasard pour traiter de sujets fondamentaux qui engagent l’avenir, non pas seulement de la société, mais de l’humanité ? « Créer un consensus », selon les termes de M. Guérini, sur des questions aussi complexes, tourne le dos à l’image de la démocratie fondée sur le débat d’idées. Cette étrange formule substitue à la règle de la majorité celle du troupeau, une conception unanimiste et conformiste de la vie publique. Ainsi, ce sont les fondements mêmes de la démocratie incluant la notion de responsabilité qui s’effondrent sous nos yeux derrière le paravent d’un grand spectacle narcissique. Or, entre le meilleur des mondes d’Aldous Huxley et 1984 de George Orwell, nul n’a encore rien trouvé de crédible pour la remplacer…

Maxime TANDONNET

 

Author: Redaction