Fabrique d’un « sauveur providentiel » (pour Figaro vox)

« Depuis près de deux siècles, l’appel au sauveur ne cesse de retentir dans notre histoire. De Napoléon Bonaparte à Philippe Pétain et à Charles de Gaulle, en passant par Boulanger, Poincaré ou Doumergue, autour d’un personnage tend à se former une même constellation d’images ». Dans son chef d’œuvre, Mythes et mythologies politiques, Raoul Girardet situe le recours à l’homme providentiel en temps de crise parmi les piliers de l’imaginaire politique national.

A l’heure actuelle, en pleine tourmente liée à la crise sanitaire, les sondages mettent en avant un phénomène qui ressemble bel et bien à l’émergence d’un sauveur providentiel. Celui-ci ne serait autre que l’ancien Premier ministre M. Edouard Philippe (2017-2020).  A l’heure où la confiance du pays dans le monde politique donne tous les signes d’un effondrement, la cote de popularité de l’ex occupant de Matignon, elle, bat tous les records : 45 % d’adhésion selon Odoxa; en tête des personnalités préférées des Français avec 41 % de bonnes opinions selon BVA ; écrasant toutes les personnalités politiques avec 54% pour l’institut Elabe. M. Philippe fait la Une du Point et de l’Express. Il focalise l’attention des médias autour d’un mystère : sera-t-il candidat à la présidentielle de 2022 ?

L’engouement autour de l’ancien Premier ministre ne doit rien au hasard. Le chef de l’Etat et son gouvernement sont empêtrés dans la crise du covid-19. Les statistiques officielles font état de près de 95 000 victimes. La succession des confinements et du couvre-feu a eu pour effet de restreindre gravement la liberté individuelle. La démocratie parlementaire a été suspendue de fait. Les déficits publics et la dette ont pris des proportions titanesques. Sous le couvercle d’un « absurdistan » bureaucratique, des millions de Français ont été précipités dans la détresse : commerçants, restaurateurs, gens de la culture, étudiants… L’exaspération gagne et la crise sanitaire menace de dégénérer en crise politique. Seuls un tiers des Français font encore confiance au gouvernement (IFOP-JDD). La cote du chef de l’Etat est de nouveau en chute libre. Pis : plusieurs sondages récents ont semé le doute sur la perspective de sa réélection à l’occasion d’un second tour de présidentielle face à la candidate lepéniste.

Tout se passe comme si le pouvoir médiatique cherchait dès lors un remplaçant potentiel à l’actuel occupant de l’Elysée et voyait en Edouard Philippe un recours. Et pour la première fois depuis des années, une personnalité politique – autre que le télévisuel M. Hulot – effectue un raid solitaire au sommet des sondages. Mais par-delà son exposition médiatique, le personnage d’Edouard Philippe ne manque pas d’atouts dans ce rôle de sauveur providentiel. Son profil de sage, de raisonnable et de modeste contraste avec celui du président-Jupiter. Consensuel, il rassure une partie de l’électorat de droite et LREM mais aussi à gauche. Il sait cultiver une apparence sobre, sérieuse et intègre. Patient, il attend son heure sans précipitation ni le moindre signe de déloyauté ou d’ambition débridée. Le personnage, jusque dans son emblématique barbe blanche et noire, devenue familière aux Français, ne manque pas d’allure ni de noblesse, ni de stature… Eloigné du pouvoir, il bénéficie même d’un effet de victimation lié à son éviction de Matignon l’an passé.

Véritable adhésion populaire ou simple feu de paille sondagier comme la France en connaît avant chaque élection présidentielle ? Si la politique n’est plus qu’une affaire de séduction, de posture et d’image médiatique, M. Edouard Philippe a toutes les chances de rester durablement au sommet des sondages voire de s’imposer tôt ou tard dans la conquête de l’Elysée. En revanche, si la raison critique y garde encore une place, sa position peut s’avérer plus complexe. En effet, la difficulté pour lui est, en toute bonne foi, de se démarquer du bilan de l’actuel quinquennat dont il fut pendant trois ans le principal acteur auprès du président Macron. Comment faire oublier la limitation de vitesse à 80 km/h et la taxe carbone qui furent le éléments déclencheurs de la crise des Gilets Jaunes ? Puis les reculades ? Et le fiasco de la réforme des retraites après deux mois de blocage du pays ? Un bilan plus que préoccupant en matière de maîtrise de l’immigration, de violence, d’ensauvagement de la société et de poussée de la misère ? Et les errements initiaux dans la crise sanitaire (masques, tests, confinement). Bref, comment faire oublier le chaos de trois années d’un quinquennat ? … Au fond, l’avenir politique proche de M. Edouard Philippe dépend avant tout du niveau de la mémoire collective.

MT

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Author: Redaction