Eloge funèbre de Jean GERMAIN au Sénat


Marisol TOURAINE a prononcé l’éloge funèbre de Jean GERMAIN, mardi 7 juillet, lors de la cérémonie en hommage à sa mémoire qui a eu lieu au Sénat, présidée par Gérard LARCHER, Président du Sénat.

Vous pouvez lire ci-dessous le discours de la Ministre ou le télécharger en cliquant ici.

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Monsieur le président, je vous remercie de l’hommage que vous venez de rendre à Jean Germain, auquel s’associe l’ensemble des membres du Gouvernement.

Je voudrais à mon tour saluer la mémoire de celui qui fut un grand élu local, un parlementaire passionné, mais aussi, et pour moi surtout, un ami de longue date.

Jean Germain, c’est avant tout une histoire rare entre un homme et un territoire, histoire qui aura vu « le petit gars de Bourgueil » comme il aimait lui-même malicieusement s’appeler, car Jean Germain était un vrai malicieux, au regard qui pétille, au sourire qui réchauffe et au trait d’esprit qui, parfois, assomme, histoire qui l’aura vu remonter la Loire donc pour être élu maire de Tours, fonder et présider sa communauté d’agglomération puis devenir sénateur de l’Indre-et-Loire.

Remonter la Loire. Dans cette simple tournure tient une des clés du caractère de Jean Germain car remonter le courant, c’est ce qu’il aura eu le sentiment de faire toute sa vie durant, lui qui aura commencé avec un CAP de pâtissier et finira docteur en droit ; lui qui sera devenu président de l’université bien que n’étant que maître de conférence ; lui qui enlèvera une ville détenue depuis 36 ans par la droite et réputée inexpugnable. Jean Germain aura toujours eu à cœur de faire mentir les destinées écrites par certains pour d’autres qu’eux. Ce qu’il était parvenu à faire pour lui, il souhaitait ardemment que tous puissent le réaliser. Rien ne devait pouvoir entraver la volonté et le mérite.

C’était donc un tempérament profondément ligérien que celui de Jean Germain.

Telle la Loire, qu’il aimait tant, l’apparente quiétude cachait un cours que rien ne pouvait détourner, une liberté que rien ne pouvait forcer.

Telle la Touraine, terre de tempérance et de raison, il abhorrait les outrances, les excès et les dogmes.

De ces traits procédèrent naturellement les lignes de force d’un engagement politique au sein de la gauche républicaine et social-démocrate.

C’est ainsi qu’il rejoint, très jeune, les rangs de la convention des institutions républicaines au côté de François Mitterrand. Il sent dans ce mouvement et dans son leader cette capacité à concilier les idéaux et le réel, cet équilibre toujours précaire que la gauche a, dans ces années-là, tant de mal à atteindre. Et si Jean Germain n’a pas eu de mentor, François Mitterrand fut néanmoins pour lui une figure tutélaire avec laquelle il partageait l’amour des lettres, de l’histoire, une certaine forme de spiritualité et, il faut bien le dire, la conviction que l’habileté en politique n’est pas forcément un vilain défaut car Jean Germain était habile, avec ce que cela, parfois,  recèle de complexité et d’ambiguïté.

Mais Jean Germain n’était pas homme d’appareil. Il ne conçoit l’engagement que comme une manière de changer les choses et pour cela, il faut être sur le terrain, il faut pouvoir agir concrètement. En 1982, encore étudiant, il rejoint André Laigniel, tout nouveau président du conseil général de l’Indre en tant que directeur de cabinet. En plein élan de décentralisation, tout est à inventer et à redéfinir. Le duo s’y emploie, avec enthousiasme.  L’aventure est joyeuse et de cette collaboration naît une amitié qui durera 40 ans. Elle trouvera de nouveau à s’employer quelques années plus tard lorsque  Jean Germain redeviendra le directeur de cabinet d’André Laigniel mais là, en tant que secrétaire d’état à la formation professionnelle et à l’aménagement du territoire.

Jean Germain agit donc mais il voudrait tellement le faire chez lui, à Tours.

Seulement, en cette fin des années 80,  il est encore illusoire pour la gauche d’espérer créer une brèche dans la citadelle de Jean Royer. Qu’à cela ne tienne ! Si l’on ne peut encore s’occuper des affaires de la ville, alors commençons au moins par moderniser  son université !

Jeune maître de conférences en droit, il se met en tête de devenir président de l’Université François Rabelais, fonction pourtant traditionnellement dévolue au corps des professeurs et, comme à son habitude, il y parvient. Il conduira de nombreux chantiers avec toujours comme objectif de démocratiser l’accès à l’enseignement, de mettre l’université en prise avec la société et le monde du travail et de l’ouvrir sur l’Europe. Il trouve même un terrain d’entente avec Jean Royer sur un programme immobilier permettant de conserver l’université en centre-ville, montrant une fois encore que pour lui l’intérêt général devait primer sur ce qu’il appelait « les politicailleries ».

Jean Germain était un enseignant apprécié de ses étudiants, il devient un président estimé de ses collègues.

Mais en ce mitan des années 90, il ne sait pas encore qu’il va très bientôt devenir un maire aimé des Tourangeaux.

1995. L’imprévisible se produit. A la faveur de la désunion de ses opposants, Jean Germain remporte l’élection municipale et succède au « Roi Jean », celui avec qui il croise le fer en conseil municipal depuis plusieurs années déjà mais dont il respecte la droiture et reconnait la stature. La victoire est, il faut l’admettre, un peu une surprise. La fête n’en est que plus belle mais passée la liesse, le regard se décille vite. On savait que la  ville était devenue  indolente, on s’aperçoit qu’elle est en plus  dans un état financier critique !

Jean Germain est un homme de gauche, un gouvernant adroit mais aussi, et on le sait au Sénat plus qu’ailleurs, un spécialiste des finances publiques. Il parviendra à restaurer l’attractivité de la ville tout en la redressant financièrement avec toujours comme maître mot : réunir.

Réunir les tourangeaux quelles que soient leurs origines, leurs appartenances, leurs classes sociales ou leurs générations.

Réunir un territoire jusqu’ici fractionné. En emmenant les élus de l’agglomération à dépasser leurs clivages et parfois leurs vieilles rancunes pour bâtir la communauté d’agglomération, Jean Germain signa l’un des succès dont il était légitimement le plus fier. Il prolongera cette réconciliation des territoires en siégeant au conseil régional ou il sera le loyal et efficace premier  vice-président de Michel Sapin, Alain Rafesthain puis François Bonneau.

Réunir enfin les familles politiques autour d’une base la plus large possible. Il savait combien l’union est la meilleure garante des victoires électorales bien sûr, mais plus encore, combien elle prévient  de l’hégémonie stérilisante. La diversité était pour lui un impératif.

Elu avec moins de 43% des voix en 1995, il le sera avec plus de 62% en 2008. Tout est dit.

Cette trajectoire trouvera sa consécration avec l’entrée de Jean Germain au Sénat, en 2011. Cette chambre, moins sensible aux vibrations partisanes et aux soubresauts de l’opinion, lui correspondait parfaitement. Il était fier d’y siéger et heureux, je le crois, d’avoir pu réaliser ce qui pour lui était un accomplissement. Il y trouva la consolation lorsqu’il perdit sa ville, en 2014.

Je sais qu’il était ici un collègue estimé et une voix que l’on écoutait au sein de la commission des finances. Je ne doute pas qu’il était également pour beaucoup ici un ami apprécié.

Jean Germain aura donc été pour nombre d’entre nous une présence bienveillante. Il aimait transmettre et accompagner mais sans jamais étouffer les personnalités et les aspirations. Il prenait chacun comme il était, sans vouloir le changer mais juste l’amener, par petites touches, à s’accomplir. Le soleil doit briller pour tout le monde disait-il souvent et il faisait ce qu’il fallait pour ça en accordant sa confiance et en laissant une grande autonomie à ses équipes. Toute une génération a émergé autour de lui. Des jeunes mais pas seulement. Il aimait aussi à mettre en situation des personnalités issues de la société civile.

Cette bienveillance, j’en ai moi-même bénéficié quand je suis arrivée en Indre-et-Loire. Il m’y a accueillie et m’a encouragée lors des élections législatives de 1997. D’autres que lui auraient vu une potentielle concurrence, le monde politique n’aime pas toujours les nouvelles têtes… Lui y a vu une opportunité de faire avancer nos idées dans le département. Je suis heureuse d’avoir pu lui donner raison.

Cette bienveillance a pourtant été trahie.

Je ne reviendrai ni sur les circonstances, ni sur les protagonistes. Ils n’ont pas leur place ici. Je veux simplement exprimer la colère toujours aussi présente. La colère contre les cyniques et les cupides qui l’ont conduit à ce geste mais aussi colère contre nous, ses proches, qui n’avons pas vu la faille en lui s’élargir.

Pour conclure cet éloge, j’emprunterai les mots de François Mitterrand, des mots que Jean aurait reconnus et aurait appréciés.  « Je parle au nom de la France, lorsque je dis (…) qu’elle a perdu l’un de ses meilleurs serviteurs et qu’elle en prend conscience sous le choc d’un drame où se mêlent grandeur et désespoir, la grandeur de celui qui choisit son destin, le désespoir de celui qui souffre d’injustice à n’en pouvoir se plaindre, à n’en pouvoir crier.

Et je parle au nom de ses amis pour dire qu’ils pleurent un homme intègre et bon, pétri de tendresse et de fidélité, à la fois préparé à subir les épreuves que réserve le combat politique, et fragile quand ce combat dérive, change de nature et vise au cœur. »

Au nom du gouvernement, je présente à la famille de Jean Germain, à ses proches, à ses collègues sénateurs et aux habitants de Tours,  mes plus sincères condoléances.

Author: Redaction