Discours à la Première Rencontre Nationale du plan « Action Cœur de Ville »

Discours d’Édouard PHILIPPE, Premier ministre à la Première Rencontre Nationale du plan « Action Cœur de Ville »
Paris, mardi 26 juin 2018

Seul le prononcé fait foi

Bonjour à tous.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs.

Je souhaite commencer par un constat, que je crois nous partageons et qui doit nous renvoyer à une très grande forme d’humilité. Notre pays – ce n’est pas propre à notre pays et ce n’est pas propre à notre époque – mais notre pays se transforme assez profondément. Il se transforme sous l’effet de choix publics, de choix conscients, qu’on approuve ou qu’on n’approuve pas, mais qui sont des choix démocratiques, publics, d’aménagement et depuis trente ou quarante ans, un certain nombre de choix institutionnels ou de décision relative à tel ou tel projet transforment la réalité de nos concitoyens et transforment notre territoire.

Mais un pays, quelle que soit l’époque, ne se transforme pas seulement à raison de choix publics qui sont assumés. Il se transforme aussi à raison de milliers de décisions individuelles qui créent un mouvement, créent une transformation et viennent s’inscrire dans des tendances très lourdes, auxquelles les décideurs publics que nous sommes peuvent au mieux s’adapter, peuvent au mieux prendre en compte, mais dont ils ne sont pas à l’origine.

Je voudrais en prendre un exemple. En 1931, la population française est devenue majoritairement urbaine. L’exode rural qui avait commencé une bonne centaine d’années auparavant et qui s’est poursuivi ensuite, a trouvé en 1931 le moment du basculement.
Aucun de ceux qui ne se sont inscrits dans ce mouvement, aucun des élus publics ne peut dire qu’il était à l’origine de ce mouvement ou même d’une certaine façon qu’il l’a organisé. Il a fallu s’y adapter parce que ces décisions étaient des décisions que nous devions prendre en compte, que les élus devaient prendre en compte parce qu’elles les dépassaient.
Aujourd’hui, la géographie de notre pays se transforme aussi très profondément. Quand je dis aujourd’hui, c’est sur des tendances qui sont déjà anciennes, je voudrais en évoquer quelques-unes avec vous, parce qu’elles impliquent pour nous tous des difficultés quotidiennes.

D’abord les répartitions géographiques sur notre pays. Il y a un phénomène qui fait que la France se développe démographiquement plus vite aujourd’hui à l’Ouest et sur les littoraux qu’à l’Est. Il y a la tendance qu’on observe dans beaucoup de pays de l’héliotropisme, qui nous pousse plutôt – il faut bien le reconnaître – vers le Sud que vers ma Normandie natale.
Il y a les phénomènes de métropolisation extrêmement puissants et pas récents – lorsque j’étais étudiant, on nous parlait encore de Paris et du désert français, de ce vieux concept qui avait été pensé, formulé, dont d’ailleurs on pouvait, je crois, au moment où il a été formulé, discuter de sa pertinence. Enfin, ce vieux concept de Paris et du désert français, il était encore enseigné lorsque j’étais étudiant, à la fin des années 80, au début des années 90.

Je doute qu’il soit aujourd’hui enseigné. Je doute qu’il représente quelque chose de valide pour expliquer la réalité des territoires français. Aujourd’hui, on ne parle pas de Paris et du désert français. On parle des phénomènes de métropolisation, lesquels posent d’autres sujets, d’autres questions, présentent d’autres avantages, peuvent impliquer d’autres risques, bien entendu, mais enfin la transformation est là.
Nous vivons désormais dans une France qui se voit, qui se pense, qui se vit comme un élément constitué, certes de Paris, mais aussi de grandes métropoles qui sont à la maille européenne et qui sont capables de rivaliser avec leurs grands homologues, concurrentes peut-être, européennes. Ce phénomène-là est nouveau. Est-ce qu’il résulte de décisions prises par les autorités publiques de façon consciente ? Je ne sais pas. On peut en discuter. Est-ce qu’il est amplifié par des décisions individuelles prises chaque jour par nos concitoyens ? C’est probable. En tout cas, ce phénomène est là.
Avec ce phénomène, vient un second, peut-être encore plus frappant que la métropolisation, mais qui l’accompagne de façon immanquable, c’est la centralisation régionale. Au moment où de grands ensembles urbains se créent dans toutes les régions, on assiste – nous l’avons tous vécu depuis vingt ou trente ans – à des processus de centralisation, qui ne sont pas nécessairement des processus de centralisation parisienne, mais bien des processus de centralisation régionale. Regroupement des grands services commerciaux d’entreprises privées dans quelques grandes métropoles régionales au lieu d’être distribués de façon plus uniforme sur le territoire. Regroupement d’un certain nombre de services de l’Etat, regroupement d’un certain nombre de services administratifs dans ces grandes métropoles régionales. Vous voyez bien que lorsqu’on regroupe dans ces grandes métropoles régionales l’ensemble de ces services, on crée une situation qui est fondamentalement nouvelle.

Le deuxième grand mouvement dont je ne sais pas dire s’il correspond à des décisions publiques ou à une accumulation de décisions individuelles – en vérité, probablement un peu des deux – c’est l’autre couple très structurant de la rurbanisation et des décisions en matière d’équipement commercial. Rurbanisation qui a poussé de façon progressive et un peu partout en France – probablement partout en France – nos concitoyens à s’installer, à cinq, dix, quinze, vingt kilomètres du centre de la ville ou de l’agglomération où ils avaient choisi de résider. Cela a provoqué un étalement de l’espace urbain, le faisant se marier avec les franges agricoles des métropoles et dans le même temps la constitution de grands ensembles commerciaux en périphérie des villes, pour des raisons qui sont parfois excellentes, pour des raisons qui ont parfois été moins bonnes, qui ne sont presque plus dicibles aujourd’hui, mais qui ont été extrêmement puissantes à l’époque.
La métropolisation et la centralisation régionale, rurbanisation et essors commerciaux des périphéries, nous avons là des transformations de nos territoires, provoquées parfois, subies parfois, qui s’auto-entretiennent et qui ont eu un impact considérable sur les élus locaux. Quand je faisais ce constat en forme d’humilité, c’est qu’au fond nous nous inscrivons dans des phénomènes qui à bien des égards nous dépassent, qui trouvent des origines bien avant nous, se complètent partout sur les territoires, s’auto-entretiennent, et nous, élus locaux, élus nationaux, nous devons faire avec, nous devons faire en sorte de contrecarrer les effets les plus néfastes et d’essayer de créer de nouvelles dynamiques, lorsque celles-ci, celles qui prévalent donnent le sentiment de nous écraser.

C’est fondamentalement l’objectif du plan, du projet, de la démarche qui a été initiée par Jacques MEZARD, le ministre de la Cohésion des territoires. L’idée a été de partir de ces deux ou trois grandes transformations qui affectent notre territoire et de constater que pour toute une série d’ensembles urbains qui n’étaient pas à l’échelle des métropoles, qui n’étaient pas d’ailleurs dans ces métropoles, il y avait un impact de ces mécanismes qui était extrêmement dur à vivre, extrêmement déstabilisant et qu’en déstabilisant ce tissu urbain, on déstabilisait l’ensemble des territoires qui le faisait vivre.
Ça a été le constat que depuis plus de trente ans, près de quarante ans, aucune politique publique spécifique ne s’était tournée vers les communes dont je viens de parler. Elles relevaient du droit commun et c’est très bien ainsi, mais elles n’avaient jamais été identifiées comme relevant d’une nature tellement particulière, qu’il aurait fallu inventer des mécanismes, des outils, une politique publique spécifique pour faire face aux difficultés et aux constats que je viens de faire.

Sur ces 222 communes, cibles à certains égards, vit un bon quart de la population française. Ce n’est donc en rien négligeable. C’est même très largement structurant. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé nécessaire de concevoir une politique spécifique et une politique d’accompagnement.
Cette politique spécifique se traduit par au fond des concepts simples, qui vous ont été présentés et sur lesquels je voudrais simplement revenir pour vous dire dans quelle logique nous nous inscrivons pour les faire vivre.

le premier élément, ça a été de mettre en place une politique d’accompagnement. Il ne revient pas au ministre de la Cohésion des territoires et il revient encore moins au Premier ministre de définir une stratégie pour les 222 villes en question. Quand bien même nous le voudrions – nous ne le voulons pas – nous en serions incapables.
L’idée, c’est d’accompagner la stratégie des maires, des élus qui promeuvent le développement ou la renaissance à certains égards de leur centre-ville parce qu’à cette échelle, se joue la possibilité non pas de venir contrecarrer les évolutions que je mentionnais au début de mon propos, mais de s’adapter à ces évolutions pour redonner une chance à des territoires qui sont ou se vivent parfois en perte de vitesse.

Accompagner la stratégie des élus, ne pas leur proposer une stratégie, ne pas imaginer qu’on serait en mesure de leur proposer ou de leur imposer une stratégie et veiller, si cette stratégie n’est pas encore élaborée alors, faire en sorte de les accompagner et de laisser le temps à cette stratégie de Cœur de Ville d’être pensée par ceux qui le doivent et la mettre en œuvre.
Le résultat, c’est que parmi vous, si j’ose dire, il y en a qui sont très prêts et il y en a qui seront bientôt très prêts et c’est tant mieux et ce n’est pas grave ! Il n’y aurait rien de pire que d’imaginer que, parce que nous, nous sommes prêts à mettre en œuvre cette stratégie, il faudrait que vous soyez prêts à un niveau de préparation qui serait identique. Ce n’est pas comme ça que ça marche, ce n’est pas comme ça que fonctionne le pays. Et donc, avec le ministre de la Cohésion des Territoires, nous voyons bien que dans certains lieux, dans certaines villes, nous allons pouvoir aller très vite dans la signature, le financement et la mise en œuvre de ces projets et que dans d’autres, ça prendra un peu plus de temps et ce n’est pas grave. On va ouvrir cette fenêtre de temps pour permettre l’élaboration, la maturation de ces projets.

Et accessoirement, puisque nous sommes pour l’essentiel entre responsables politiques, la maturation et l’élaboration de ces projets, c’est aussi la capacité qu’on a à partager ces projets avec des populations, à faire en sorte qu’ils soient l’expression d’une volonté d’organisation collective.
Le deuxième élément sur lequel repose cette logique, c’est la mobilisation, la mobilisation d’acteurs qui, pour beaucoup d’entre eux, existent déjà, ont des financements organisés, ont des ingénieries redoutablement complexes parfois mais au point, ont des compétences, des équipes et dont les missions commandent qu’ils vous accompagnent et qu’ils vous aident et nous allons donc les mobiliser. Le directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations étaient sur ce podium avant moi. L’ANAH, l’ANRU, la Caisse des Dépôts, la Banque des Territoires, tous ces organismes qui existent doivent être mobilisés dans leur ingénierie, dans leurs compétences, dans leurs financements aussi pour permettre aux élus de mettre en œuvre la stratégie sur laquelle nous aurons décidé de vous accompagner.
Le troisième élément, ce sont des nouveaux instruments car, au fur et à mesure que nous avançons, nous pouvons en mobiliser et en créer de nouveaux. Dans le cadre de la loi ELAN qui est présentée et défendue par le ministre de la Cohésion des Territoires, vous avez peut-être observé que vous pourrez disposer de quelque chose qui s’appelle les opérations territoriales. Ce nouveau cadre, ces nouveaux instruments, ils vont vous permettre de préempter plus facilement lorsque c’est nécessaire, d’agir plus facilement pour transformer la réalité qu’est la vôtre et mettre en œuvre la stratégie que vous aurez définie.

Les préconisations pour l’Agence nationale de cohésion des territoires vont nous permettre là encore de créer un cadre, de créer un système, de créer des instruments sur lesquels vous allez pouvoir vous appuyer, que vous allez pouvoir utiliser, qui vont permettre de multiplier l’ingénierie à laquelle vous aurez accès et donc, là encore, de vous accompagner.
En matière de services, parce qu’on voit bien qu’il y a un aspect stratégie urbaine, renouvellement, on voit bien qu’il y a un aspect stratégie commerciale, recentralisation et revitalisation des équipements commerciaux de centre-ville, il y a aussi un aspect service. La ministre de la Culture est entrée en contact avec un certain nombre d’entre vous et il faut impérativement que nous puissions avancer, par exemple, sur la question de l’ouverture un peu plus tard dans les journées et un peu plus tard les week-ends des bibliothèques car on sent bien qu’il y a là un service. Tous les élus qui ont su avancer en la matière, on voit bien les difficultés que ça pose en pratique mais on voit bien aussi les services que ça offre et le dynamisme que ça suscite et l’incroyable caractère attractif que ça peut susciter dans une ville.

Donc ce sont des discussions que nous devons avoir. Je sais que les sénateurs POINTEREAU et BOURQUIN, ont préparé une PPL qui est intéressante. Je ne dis pas que j’en partage avec enthousiasme toutes les dispositions mais il y a un certain nombre de choses qui sont très intéressantes dans cette PPL et qui nous permettront là aussi de nous doter de nouveaux instruments et donc, forcément, d’avancer.
D’autres éléments nous permettront là aussi de créer des instruments. Je sais qu’une réflexion est engagée sur les espaces de coworking. Je sais qu’une réflexion est engagée avec André MARCON sur le volet commercial et sur les aspects commerciaux. Je sais aussi combien sont indispensables les éléments relatifs à l’équipement numérique des territoires et notamment l’équipement numérique de ces 222 villes qui maillent le territoire national. Sur tous ces sujets et sur bien d’autres, nous aurons l’occasion d’avancer.
Au fond, ce que je veux vous dire, c’est que l’humilité que j’évoquais au début de mon propos face à des mouvements tellement profonds, tellement anciens, tellement puissants que nous ne pouvons pas faire comme s’ils n’existaient pas, que nous devons d’une certaine façon nous y adapter, elle n’est pas incompatible avec un niveau de détermination extrêmement élevé. L’humilité face à un phénomène puissant, ça ne veut pas dire qu’il n’y aurait rien à faire. Au contraire d’une certaine façon, ça veut dire qu’il faut le comprendre avec lucidité, qu’il ne faut pas se mentir sur les raisons de ces transformations, qu’il faut les comprendre intensément pour pouvoir agir efficacement.
Notre pays, il est et il a toujours été et nous voulons faire en sorte qu’il demeure marqué par une très grande diversité. Certains ici m’ont déjà entendu le dire, le début de ce formidable livre de Fernand BRAUDEL sur l’identité de la France, c’est : « La France est diversité. » Et fondamentalement, la France est diversité et entend bien le rester d’ailleurs. Il n’y a rien de plus insupportable aux Français d’imaginer qu’il faudrait nier ces différenciations, cette diversité de nos territoires, de nos cultures, de nos habitudes d’une certaine façon.
Elle est diversité et elle est maillée. Quand on survole la France, quand on la parcourt, on se rend compte qu’elle présente cette caractéristique assez rare d’une certaine façon, y compris en Europe, d’être incroyablement maillée par des réseaux de villages, de villes souvent plus petits que dans d’autres territoires, dans d’autres Etats, mais que le maillage territorial français est une donnée historique et géographique. On ne peut pas renoncer à cette donnée, on n’en a pas envie et il faut s’appuyer sur cette donnée qui peut présenter des inconvénients mais qui est aussi à certains égards une force et qui est en tout cas une caractéristique.

C’est donc pourquoi, avec les associations d’élus qui ont voulu nous accompagner dans cette réflexion – je vois Madame la Présidente CAYEUX, je la salue parce que votre association, enfin celle que vous présidez, Madame la Présidente, nous a beaucoup accompagnés dans cette logique de travail sur le maillage sur ces 222 communes – nous voulons préserver ce maillage, nous voulons le renforcer et nous voulons permettre aux élus de développer la stratégie dont ils ont besoin pour donner toutes leurs chances aux concitoyens qui vivent dans leur territoire.
C’est ça le projet Cœur de Ville. Je crois que c’est une logique exigeante mais je pense qu’elle est prometteuse et je voudrais remercier tous ceux qui ont participé à l’élaboration de cette action, tous ceux qui vont s’inscrire dans cette action pour discuter, pour penser, pour élaborer, tous ceux qui ont permis l’élaboration de cette politique publique spécifique à ces 222 villes et à ces territoires français au premier rang desquels, évidemment, le ministre de la Cohésion des Territoires, Jacques MEZARD. Et puis je voudrais nous souhaiter collectivement bonne chance et beaucoup de travail pour nous permettre non pas d’inverser les tendances, mais de profiter des tendances pour faire en sorte que la France que nous aimons soit toujours plus forte. Merci beaucoup.

Discours d’Édouard Philippe – Première Rencontre Nationale du plan « Action Cœur de Ville »

Author: Redaction