Discours du Premier ministre au Comité interministériel à l’Égalité et à la Citoyenneté, à Vaulx-en-Velin

Mesdames, messieurs les ministres,
Monsieur le préfet de région,
Monsieur le Haut-Commissaire à l’Engagement civique, cher François CHEREQUE, Messieurs les délégués interministériels,
Messieurs les parlementaires,
Monsieur le député de cette circonscription, cher Renaud GAUQUELIN,
Monsieur le maire, cher Pierre DUSSURGEY, merci de nous accueillir ici,
Mesdames, messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
 
Depuis plus de 30 ans – peut-être davantage, bien sûr – la question des quartiers populaires est au cœur de nos débats, de tous nos débats. Des générations d’habitants se sont succédé ; des élus locaux, que je veux saluer, des acteurs de terrain – bénévoles, la plupart du temps –, se sont mobilisés ; sans compter les ministres, depuis le premier d’entre eux, Michel DELEBARRE, qui ont œuvré au nom de cette grande ambition, dans une continuité républicaine qui fait honneur à notre pays.
 
Madame la ministre, chère Hélène GEOFFROY,
 
Vous avez coutume de dire que votre ville, Vaulx-en-Velin, a mis en œuvre tous les dispositifs issus de cette politique. Il faut bien reconnaître que ces dispositifs, utiles bien sûr, à travers leurs sigles, incarnent – ou désincarnent, plutôt – la politique de la ville : ZUP, ZUS, ZEP, ZSP, ZFU, tous les contrats et les programmes visant à répondre aux enjeux spécifiques de ces territoires.
 
Ces dispositifs ont parié d’abord – pas seulement, je ne veux pas être caricatural – sur la rénovation urbaine : les grands ensembles ont été démolis pour reconstruire de la ville –  et l’ANRU, sous l’impulsion de Jean-Louis BORLOO, a joué un rôle essentiel, nous le savons. Nous poursuivons et nous amplifions ce travail. Les transports en commun ont été amenés – même si, j’ai bien entendu le maire de la ville, il y a encore des revendications, sans aucune doute légitimes – pour connecter ces quartiers au centre. Et je salue le maire de Clichy, Olivier KLEIN, symbole aussi des grandes questions qui se sont posées au pays, dont le désenclavement est une affaire essentielle. Le cadre de vie a changé, les espaces publics ont été rénovés, des espaces verts remarquables, on l’a vu ici, ont été créés. Ce travail de titan a porté ses fruits. Et je ne veux pas laisser dire – et Patrick KANNER non plus – que la politique de la ville n’aurait servi à rien, et que le pays n’aurait pas été changé : il a été profondément changé grâce à ces politiques publiques.
 
Vaulx-en-Velin, avec son planétarium – nous l’avons visité avec ces enfants qui avaient des étoiles dans les yeux –, son tram, ses écoles, sa ligne de métro, ses écoles prestigieuses – et je veux remercier leurs responsables de nous accueillir – : l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon, ou, là où nous sommes, l’Ecole nationale des travaux publics, école nationale de l’Etat, fruit d’une volonté antérieure à la décentralisation – l’ancien maire d’Evry sait de quoi il parle –, au moment où l’Etat, l’Etat régalien, l’Etat jacobin, avec une volonté centralisatrice, décidait pourtant d’implanter aussi de grands équipements, souvent universitaires, pour donner de la force à ses territoires … Vaulx-en-Velin, donc, est aussi un exemple abouti, malgré toutes les difficultés – et vous les connaissez.
 
Cette réussite, c’est le fruit d’une volonté collective, et notamment celle de la métropole de Lyon, dont je veux saluer le président Gérard COLLOMB. Si nous avons choisi Vaulx-en-Velin, c’est précisément parce que nous savons quel a été l’engagement de la métropole : c’est un beau symbole de tenir cette réunion ici. Et je veux saluer tous les élus de la métropole : Jean-Paul BRET bien sûr, élu et maire de Villeurbanne, qui fait aussi un travail tout à fait remarquable dans sa ville. Et permettez-moi de saluer les élus locaux ici présents, mais qui par ailleurs jouent un rôle au sein du gouvernement : Najat VALLAUD-BELKACEM et Thierry BRAILLARD.
 
Ici, un grand chantier a été conduit avec détermination. Depuis 2005, 237 millions d’euros de travaux ont été engagés pour accrocher Vaulx-en-Velin au Grand Lyon – c’était la volonté de Gérard COLLOMB.
 
Vaulx-en-Velin, aujourd’hui, ne vit plus refermée sur elle-même.
 
Venir ici, c’est adresser un démenti cinglant à ceux qui prétendent que la politique n’aurait pas le pouvoir de changer les choses. La politique de la ville, je le répète, a apporté des résultats, grâce à l’engagement de la puissance publique, incarnée par l’Etat et les collectivités locales.
 
Et, chère Hélène GEOFFROY, aujourd’hui, vous qui êtes ministre, ancienne maire de cette ville, vous incarnez cet engagement, ce double engagement de la puissance publique.
 
Mais – nous sommes lucides – cela ne suffit pas. Si le cadre de vie a changé, la réintégration des quartiers ne s’est pas accompagnée d’une intégration de tous. La politique de la ville n’a pas donné, partout en France, les mêmes opportunités. Pour les habitants, le quotidien est encore fait de blocages, de préjugés, d’injustices, d’inégalités, qui se rajoutent à une situation économique et sociale souvent plus difficile ici qu’ailleurs.
 
Habiter dans un quartier populaire en 2016, c’est bien souvent être condamné avant d’avoir eu sa chance ; assigné, d’une certaine manière, à résidence ; regardé avec suspicion par les employeurs potentiels.
 
Quand on croit à la République, on ne peut pas accepter cette réalité, celle de l’inégalité des possibles entre deux enfants selon la famille et l’endroit où il est né. Il faut donc être lucide, nommer les choses et se donner les moyens de changer les choses.
 
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L’enjeu, ce n’est pas seulement les quartiers populaires, mais notre cohésion nationale, qui n’a cessé de se fragmenter, malgré les efforts, malgré les investissements. Le chômage massif et structurel est un facteur. Le malaise des jeunes est un symptôme inquiétant.
 
On parle beaucoup des jeunes, aujourd’hui, et nous nous sommes résolument tournés vers eux : c’est le sens du texte de loi porté par Myriam El KHOMRI, c’est le sens des mesures que nous avons annoncées lundi avec Najat VALLAUD-BELKACEM, Patrick KANNER et Myriam EL KHOMRI. Mais de tous les jeunes, je pense aux jeunes de ces quartiers, qui connaissent un chômage souvent de plus de 40 %.
 
La défiance à l’égard des institutions, le refus de l’autorité, sont souvent un catalyseur. Beaucoup n’arrivent plus à se projeter dans un avenir commun ; demain leur semble devoir être toujours moins bien qu’hier ; et le voisin peut être même vu comme un concurrent, voire comme une menace.
 
Ce constat – trop rapide bien sûr – sur la fragmentation de notre société, je l’ai fait, nous l’avons fait, à de nombreuses reprises. Elle se traduit par des phénomènes massifs de repli sur soi, ou sur des intérêts communautaires. Il y a aussi ces manifestations de haine, la montée du racisme, de l’antisémitisme, des actes antimusulmans, de tous ces phénomènes dévastateurs pour notre pays.
 
Il existe, dans un certain nombre de nos quartiers – et les situations sont bien sûr inégales, différentes –, un mélange ravageur fait d’échecs scolaires et de difficultés sociales. C’est là, aussi, mais bien sûr pas seulement, que, sur fond de trafics, de délinquance, d’une forme de désespoir, naissent et grandissent les phénomènes de radicalisation, alimentés par les fanatismes religieux, les prêcheurs de haine, le salafisme, qui veulent imposer leur ordre et, disent-ils, leur détestation de la République et de nos valeurs. Certains individus, plus ou moins jeunes, franchissent le pas et basculent alors dans le djihadisme.
 
C’est là, aussi, que l’on connaît la plus grande désaffection au moment des élections, et où les taux de participation sont les plus faibles.
 
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La fragmentation de notre société, le repli, ne touchent pas seulement les quartiers. Il y a aussi, parfois – cela a été dit –, la sécession des plus riches de notre pays, qui préfèrent l’entre soi, quand ce n’est pas l’évasion fiscale, pour se soustraire à leurs obligations envers la communauté nationale. Il y a les stratégies d’évitement social, en contournant la carte scolaire, en se gardant d’aller dans certains quartiers ; et, au fond, la ghettoïsation arrange beaucoup. Les pauvres, les plus modestes, les couches populaires, ceux qui sont issus de l’immigration, sont loin des centres villes.
 
Et, disons-le : quand, sur certains territoires, on ne se croise plus, quand on ne se parle plus, c’est que l’on vit dans une société qui ne va pas bien. Et quand on ne partage plus les mêmes règles et les mêmes valeurs, c’est le signe que la République se désagrège et meurt.
 
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Je suis élu d’Evry, toujours, après avoir été dix ans élu d’Argenteuil. Et moi, j’aime ces quartiers populaires, parce qu’ils sont aussi la France, dans sa force, dans son énergie, ses difficultés et ses questionnements. Comme tous les élus de ces quartiers, j’ai vu plein d’habitants qui avaient la volonté de réussir, de s’en sortir. J’ai vu notamment des mamans se battre pour l’avenir de leurs enfants, des jeunes qui poursuivent leurs études, parfois dans des conditions héroïques. Et j’ai vu, je connais, une jeunesse qui a cette énergie, cette soif de reconnaissance. J’ai vu de nouveaux arrivants qui avaient déjà la République chevillée au corps, des Français pour qui notre pays représente encore ce qu’il y a de meilleur – et je pense à ces belles cérémonies que nous organisons dans nos villes pour les naturaliser, pour les nouveaux Français – : l’espoir de l’ascension sociale, de l’égalité et de la solidarité ; bref, de la promesse républicaine.
 
Donner à chaque habitant de ce pays la possibilité de transformer cet espoir, cette promesse républicaine, est devenu le combat de notre vie ; et moi, c’est le combat de ma vie et de mon engagement politique.
 
Le combat de l’égalité, de la citoyenneté, c’est d’abord refuser toute hypocrisie, dire, même si les mots choquent quelquefois, les choses comme elles sont : c’est-à-dire un apartheid territorial, social et ethnique.
 
Et ces mots que j’ai souvent utilisés comme élu, comme maire d’Evry, je les ai utilisés il y a un an pour secouer et pour rappeler quelle était cette situation qui est, encore une fois, contrastée – parce qu’il y a ô combien d’aspects positifs.
 
Mais il y a une réalité. Et le combat de l’égalité de la citoyenneté, ce n’est pas renverser la table, c’est dénicher, un à un, chaque petit blocage, chaque frein, chaque préjugé, chaque injustice, et les lever méthodiquement.
 
La politique, ce n’est pas de la magie, ce n’est pas le commentaire. Ce n’est pas non plus une résignation à la dure réalité. Et c’est pour cela que nous sommes profondément réformistes : parce que nous savons que c’est par l’action qu’on change une société, pas par la proclamation.
 
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Nous portons donc une démarche qui complète la – nécessaire – logique des moyens par une logique de terrain, beaucoup plus fine. Nous assumons une gestion patiente du temps – la reconstruction humaine de ces quartiers, c’est l’affaire d’une génération. Et donc, il faut une forme d’abnégation, portant patiemment une vision – dans une époque où il faut tout régler en quelques semaines. Vous faites un comité interministériel où il n’y a pas de mesure, c’est que vous n’avez rien à dire. Vous faites un comité interministériel où il y a des mesures, c’est parce qu’il faut répondre à un mouvement social ou à je ne sais quelle protestation. Si vous faites un comité interministériel sans annoncer de moyens financiers, c’est que vous n’avez pas les moyens de vos mesures. Et si vous annoncez des moyens financiers, c’est parce que vous êtes en campagne électorale. C’est comme cela que nous vivons en permanence, sous ce regard permanent.
 
Moi, j’assume – nous assumons – une politique du « pas à pas », une politique de continuité, sans nier bien sûr les différences. Les élus, quel que soit leur bord politique, quand ils assument ces responsabilités dans ces quartiers, travaillent ensemble ; c’est comme cela qu’il faut faire si on veut avancer.
 
C’est une démarche qui s’adresse à tous les citoyens, ceux qui habitent en banlieue comme en zone périurbaine, en ville comme à la campagne. Et c’est sous ce quinquennat qu’on a très intelligemment redessiné la carte de la politique de la ville, avec François LAMY, Najat VALLAUD-BELKACEM, Myriam El KHOMRI quand elle assumait les responsabilités de la politique de la ville. Nous continuons ce travail, bien sûr, avec Patrick KANNER et Hélène GEOFFROY, où on a intégré les quartiers de villes moyennes, de petites villes, où ces phénomènes, aussi, existent. Nous réunirons un nouveau comité interministériel consacré aux ruralités en mai pour poursuivre ce travail.
 
Une démarche, donc, qui rassemble, parce qu’elle est construite avec tous, pour tous.
 
En mars et en octobre 2015, nous avions retenu 65 mesures concrètes. Ce troisième comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté – je me suis engagé à en réunir un tous les six mois – permet de montrer que les choses ont avancé. C’est cela, la politique moderne : c’est évaluer en permanence, corriger, se donner de nouveaux objectifs. Là, nous ajoutons une vingtaine d’engagements nouveaux, construits avec vous – élus, dirigeants d’entreprise, syndicalistes, militants associatifs. Et vous êtes légitimes, car je crois, moi, à la démocratie représentative, à ceux qui représentent la sève de notre société, les corps intermédiaires, les forces d’un pays ; car nous croyons au fait d’aller chercher les meilleures idées, d’où qu’elles viennent. Nous savons que nous ne réussirons que si tout le monde s’implique – et je veux remercier tous ceux qui se sont impliqués aujourd’hui et qui notamment, parmi d’autres, ont rapporté nos travaux.
 
Une dynamique est lancée. Il faut l’amplifier. C’est le sens aussi du projet de loi « Egalité, citoyenneté » présenté ce matin en Conseil des ministres par Emmanuelle COSSE, Patrick KANNER et Ericka BAREIGTS. L’objectif, c’est bien un maillage de mesures fines qui doit retisser l’égalité, promouvoir la citoyenneté, renforcer ce que nous avons de commun, redonner à tous le goût de la République.
 
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Retisser les liens, c’est se retrouver autour de quatre principes.
 
D’abord, l’ordre républicain. La République ne peut tolérer aucune zone de non-droit. Les lois, les institutions et les fonctionnaires doivent être respectés.
 
Nous agissons donc sans faiblir contre les incivilités, les violences, les trafics – c’est le travail conjoint de l’Etat et des collectivités, notamment dans le cadre des zones de sécurité prioritaire. Je les porte depuis 2012. Bernard CAZENEUVE a la même exigence. Et il y a des résultats. En 2015, dans les zones de sécurité prioritaire, en zone police, les vols à main armée ont baissé de 10 %, les cambriolages de 7 %, les interpellations liées au trafic de stupéfiants ont augmenté de 8 %. Je connais les réalités, elles existent, ici comme ailleurs ; mais les chiffres que je viens de citer nous encouragent à poursuivre notre action.
 
Nous agissons, aussi, contre le racisme et l’antisémitisme – et je veux saluer le travail notamment du délégué interministériel, Gilles CLAVREUL. L’arsenal pénal sera renforcé par la création d’une circonstance aggravante pour les crimes et délits commis avec un mobile raciste ou homophobe. Nous ouvrons également la possibilité pour les associations de se porter partie civile dans les délits d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.
 
Nous agissons, enfin, pour empêcher que ne s’enracinent des idéologies violentes et totalitaires, pour empêcher le basculement dans la radicalisation. Toute une politique publique voit le jour progressivement pour mieux détecter les situations dangereuses et pour éviter des départs, par exemple, vers des zones de guerre. Cette action doit se prolonger et s’amplifier ; elle doit emporter dans un même élan toute la société. Je présenterai dans quelques jours une nouvelle stratégie nationale de suivi et de prise en charge des phénomènes de radicalisation. Car ces phénomènes concernent des milliers de personnes aujourd’hui ; et ces phénomènes, nous les connaissons en France, mais aussi partout en Europe. Cette stratégie doit s’appuyer sur les recherches en humanités et sciences sociales. Un rapport a été remis, celui de l’Alliance ATHENA, animée par Alain FUCHS, le président du CNRS. Ce rapport fait des propositions très concrètes, et nous devons nous en inspirer ; mais nous devons créer une véritable école universitaire autour de ces questions pour apporter, là aussi, une réponse dans la durée.
 
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Le deuxième principe sur lequel nous devons être fermes, c’est la laïcité, qui fait que la France n’est pas une somme d’intérêts communautaires mais un projet collectif.
 
Il fallait réexpliquer – il faut toujours expliquer – les droits et devoirs qui découlent de ce principe à tous les fonctionnaires, acteurs locaux, qui peuvent être confrontés à sa remise en cause. Depuis le premier comité interministériel, 10 000 formations ont été réalisées pour tous ces acteurs. Et je veux saluer l’initiative de la ministre de la Fonction publique, Annick GIRARDIN : pour veiller au respect de ce principe, alerter quand il y a un problème, il faut réunir tous les acteurs professionnels et usagers – c’est le rôle des commissions qu’elle va installer.
 
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Le troisième principe – et moi je le crois fondamental – c’est l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est refuser ces logiques qui excluent de l’espace public, rabaissent la femme, l’enferment dans un rôle que dicterait je ne sais quelle morale ou pudeur. S’habiller librement, travailler, s’épanouir, vivre en somme, ce n’est pas le droit des hommes. C’est le droit français.
 
Et il reste un long chemin à parcourir pour que les femmes soient considérées à égalité avec les hommes. Mais sous la présidence de François HOLLANDE, des progrès considérables ont été accomplis, avec notamment la loi du 4 août 2014. L’égalité doit aujourd’hui s’appliquer, sur ce sujet comme sur tous les autres, dans tous les territoires. Il ne peut y avoir aucun compromis, qui serait pour la République un abandon.
 
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Dernier principe : la langue française. La manier, c’est entrer dans l’espace républicain commun.
 
La première étape, c’est l’apprentissage du français à l’école, qui a été une priorité de la refondation de l’école engagée par Vincent PEILLON et poursuivie aujourd’hui par Najat VALLAUD-BELKACEM. Les nouveaux programmes de l’école maternelle et élémentaire renforcent la maîtrise des fondamentaux. Nous développons également la scolarisation des moins de trois ans – c’était traité dans l’un des ateliers il y a un instant – ; c’est un enjeu fondamental pour ceux dont la langue à la maison n’est pas le français.
 
L’apprentissage du français, c’est aussi l’objectif des cours pour ceux qui arrivent en France, et la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers renforce le niveau de langue requis. Car il n’y a pas d’intégration possible sans compréhension de notre langue, et donc des règles du pays dans lequel on s’installe.
 
La réalité, au-delà des enfants et des primo-arrivants, c’est qu’en effet, six millions de nos compatriotes ne sont pas à l’aise avec notre langue. Comment, dans ce cas, trouver sa place, prendre part à la vie de la cité ? Plus concrètement, comment accomplir des formalités administratives, accompagner ces enfants, participer à la vie sociale, discuter avec l’enseignante d’une classe, travailler ?
 
Ce comité interministériel tire les conséquences de la mission d’évaluation et de proposition lancée il y a un an, cher Thierry LEPAON, et crée une Agence de la Langue française pour la Cohésion sociale. Dans les cinq ans qui viennent, toutes celles et ceux qui éprouvent des difficultés dans le maniement de notre langue pourront ainsi trouver la formation ou le projet qui leur permettra de les dépasser.
 
Le français est la langue de la République. C’est un droit. C’est aussi un devoir. Et c’est le seul chemin possible vers la citoyenneté.
 
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Mesdames, messieurs,
 
Retisser du lien, c’est faire que les règles trop souvent bafouées soient respectées, c’est réaffirmer des valeurs parfois ignorées. C’est aussi ouvrir des opportunités pour chacun.
 
Nous le savons : tout se joue dès les premières années d’apprentissage. C’est pourquoi nous avons réinvesti massivement dans le système scolaire. Il paraît que, parfois, certains s’interrogent sur les différences entre tel ou tel camp … La refondation de l’école, au fond, illustre ce que peut être une politique différente.
 
Cette refondation de l’école se poursuivra à la rentrée prochaine, avec 6 600 nouveaux postes, le renouvellement des programmes et le déploiement du dispositif « plus de maîtres que de classes », qui permet d’aider, d’abord, les élèves les plus en difficulté.
 
Nous avons refait du budget de l’Education nationale la grande priorité, et d’abord pour lutter contre les inégalités.
 
Nous allons également, à la rentrée 2016, accompagner des jeunes de milieux modestes qui le souhaitent tout au long du lycée. Nous guiderons ainsi – et c’est concret, c’est pratique, c’est attendu – 8 000 élèves, soit 20 % des collégiens de troisième de REP+, vers l’enseignement supérieur. C’est le « parcours d’excellence ».
 
Nous consacrerons aussi, en lien avec les collectivités, les financements nécessaires à la rénovation des écoles, afin que chaque enfant soit accueilli dignement. Nous traiterons les situations les plus urgentes pour cette rentrée. Demander le respect du savoir, de la République, à des enfants, c’est aussi agir pour qu’ils se sentent respectés.
 
Et comme être parent, c’est essentiel dans la réussite d’un enfant, nous aiderons les parents qui le souhaitent à mieux surveiller les devoirs, à rencontrer les enseignants, à s’impliquer davantage dans la scolarité de leurs enfants. Beaucoup est fait déjà dans ce domaine, grâce à l’engagement des collectivités ; beaucoup d’ « écoles des parents » ont été mises en œuvre. 5 000 services civiques seront mobilisés pour cela.
 
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Ouvrir des opportunités, c’est aussi faire sauter les verrous qui empêchent d’accéder à un emploi – et Myriam El KHOMRI en parle avec raison et passion.
 
Trop de jeunes jouent le jeu, vont à l’université, obtiennent un diplôme, et malgré cela ne trouvent pas de travail. C’est une grande souffrance, une énorme frustration. Et c’est aussi un message terrible envoyé aux plus jeunes, et dans les quartiers. Faire des efforts, des études – et souvent les parents ont sacrifié beaucoup pour eux – ne permettrait pas d’obtenir des résultats, alors que ceux qui trafiquent, en quelques jours, gagnent plus que ce que leur père gagne en une année ? C’est ce sentiment-là auquel il faut répondre.
 
Les jeunes diplômés en recherche d’emploi – 8 400 dans les quartiers, soit trois fois plus que la moyenne nationale – bénéficieront donc, d’ici juin, d’un accompagnement personnalisé, et seront mis en relation avec des clubs de parrains mobilisant les réseaux RH, les chefs d’entreprise, la haute fonction publique – et je remercie tous ces acteurs de se mobiliser pour cette belle cause. 8 400, ce n’est pas énorme, mais c’est symboliquement majeur. Faire que le travail, le mérite soient toujours récompensés, c’est aussi cela : mieux accompagner les jeunes qui en veulent, leur donner les contacts, les réseaux qu’ils n’ont pas.
 
Il faut également miser sur l’entreprenariat, alors que c’est dans les quartiers que se créent le plus d’entreprises en France. Myriam El KHOMRI et Martine PINVILLE le savent bien. L’Agence France Entrepreneurs – et nous venons d’entendre son nouveau président, Mohed ALTRAD, entrepreneur de Montpellier et président, par ailleurs, d’un grand club de rugby – accompagnera ceux qui veulent y lancer leur activité. Il faut des résultats : il faut que cela se mette vite en œuvre.
 
Des convictions, des combats, des déterminations, il en est de toutes sortes et dans tous les domaines. Chacun doit être encouragé à mener ses projets, à se relever s’il échoue. Encourager, donc, le travail, le mérite, l’effort : voilà l’exigence.
 
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Ouvrir des opportunités, faire sauter les verrous qui empêchent d’accéder à l’emploi, au-delà déjà de toutes les mesures qui ont été mises en œuvre ou qui sont intégrées dans la loi sur le Travail, c’est aussi lutter avec la plus grande force contre les discriminations. Des discriminations sur lesquelles notre société détourne le regard depuis trop longtemps, et qui sont, je le rappelle, punies par la loi.
 
Je veux très sincèrement que nous sortions de cette hypocrisie collective. Il faut renverser la table et faire respecter le droit, avec une détermination sans commune mesure avec ce que nous avons fait jusqu’à maintenant. Il faut que les élites de notre pays, dans les secteurs publics comme privés, soient à l’image de notre société. La République, notre pays, en sortiront plus forts.
 
J’ai demandé en juin 2015 à une équipe de chercheurs, pilotée par Yannick L’HORTY, d’évaluer les discriminations dans l’accès à la fonction publique. Il me remettra ses conclusions, que je rendrai publiques, au mois de juin. De premiers testings ont été réalisés et les faits sont là : en France, selon que vous vous appelez « Laure BERNARD » ou « Anissa ALI », le traitement de votre candidature pour être infirmière ne sera pas le même. La jeune « Anissa ALI », même si elle a autant de compétences, recevra un tiers de réponses en moins.
 
Parfois, on nous interroge sur ce qui reste à faire d’ici la fin du quinquennat ; parfois on nous interroge sur le sens de la politique ; parfois on nous interroge sur quel est le contenu de la République. Parfois, même, on nous interroge sur ce qu’est la gauche. Là, nous avons un chantier considérable ; et s’il y a un objectif que nous devons nous donner, une mobilisation de toute notre société, c’est autour de ce combat contre les discriminations.
 
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L’Etat et la fonction publique doivent être exemplaires, et aujourd’hui ils ne le sont pas. Or, l’exemplarité, c’est donner confiance ; c’est aussi la condition pour que chacun consente des efforts au service de la collectivité. Il faut tout changer, en commençant par le haut. Et de ce point de vue-là, le Gouvernement, par la parité, par ses couleurs, par ses origines, donne, me semble-t-il, l’exemple. Mais l’Etat lui-même, sa fonction publique, doivent s’ouvrir davantage ; et Annick GIRARDIN y veillera tout particulièrement.
 
Je l’ai annoncé en novembre, le travail est lancé : les 75 écoles permettant de devenir fonctionnaire – l’ENA, les IRA, les écoles de sécurité sociale … – mettront en œuvre, dès la rentrée 2016, un plan d’action pour diversifier les profils, en développant des classes préparatoires intégrées, en revisitant leurs concours. Et nous serons intransigeants, même si des résistances ne manqueront pas de se manifester.
 
10 000 contrats d’apprentis seront, en parallèle, ouverts dans la fonction publique de l’Etat – contre 4 000 en 2015 – pour permettre aux jeunes d’apprendre le métier, d’être plus à l’aise, de s’approprier, avant le concours, les codes que d’autres possèdent dès l’enfance. Le projet de loi permettra, plus généralement, d’ouvrir le recrutement dans la fonction publique à une plus grande diversité de parcours.
 
Et je souhaite aussi que l’on ouvre le débat – il était présent tout à l’heure – sur la capacité des élus et ministres à cumuler durablement leur fonction élective avec un statut de haut fonctionnaire. Ouvrir la fonction publique, renouveler le personnel politique, c’est aussi sortir de l’asphyxie des élites et de la reproduction entre les mêmes.
 
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Nous agissons, également, pour combattre les discriminations dans le secteur privé. Pôle emploi accompagnera désormais les TPE et les PME qui le souhaitent à développer des méthodes de recrutement non discriminantes. Et nous avons souhaité, lors du dernier comité interministériel, qu’une campagne de testing soit lancée par l’Etat – c’est la première fois – sur une quarantaine d’entreprises de toutes tailles. Les résultats seront publiés, chère Myriam El KHOMRI, en septembre. Et nous tirerons ensemble tous les enseignements de cette campagne.
 
Nous avons également souhaité ouvrir les actions de groupe en matière de lutte contre les discriminations, dans le cadre du texte Justice du 21ème siècle. L’objectif, c’est de donner à chacun des recours simples et efficaces pour que l’injustice soit reconnue et réparée. Pour que la République apparaisse pour ce qu’elle est, diverse, confiante et généreuse. Certains diront : « ce sont des mots ». Non, ce sont des actes, et nous avons besoin d’une République en actes. C’est essentiel, car c’est là, notamment dans ces quartiers, et dans tout le pays, que se joue, au fond, l’avenir de la République.
 
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Ouvrir des opportunités, c’est bien sûr casser l’apartheid en matière de logement, en nous dotant d’outils à la hauteur.
 
Un an après la création du poste de délégué interministériel à la mixité sociale dans l’habitat, les résultats de l’engagement de Thierry REPENTIN sont là. La volonté politique fait bouger les choses. Les mentalités ont évolué. Sur les 221 communes ne respectant pas leurs obligations en matière de logement social, plus de 11 000 logements ont été construits ces deux dernières années, grâce à 110 préemptions et 21 permis délivrés par les préfets. Plus de 200 Contrats de Mixité sociale ont été ou sont en cours de négociation dans ces communes, pour les aider à accélérer la construction de logements sociaux. Par ailleurs, sur l’année 2015, l’État et ses opérateurs ont cédé 80 terrains. À la clé : près de 9 000 logements, dont plus de 40 % de logements sociaux. Et je rappelle que l’habitat social, ce n’est pas seulement pour ceux qui sont les plus en difficulté ; c’est pour répondre aussi à l’attente des travailleurs de ce pays et des couches moyennes.
 
Un débat va s’engager à l’Assemblée. Je sais votre mobilisation, chère Emmanuelle COSSE, pour convaincre de l’utilité de mesures puissantes et d’application immédiate. Notre projet de loi renforce, ainsi, encore le pouvoir de l’État de se substituer aux communes défaillantes.
 
Il prévoit également – pour que la pauvreté ne soit pas concentrée toujours au même endroit – que les organismes de logements sociaux attribuent au moins 25 % des logements situés dans les quartiers les plus prisés aux ménages les plus pauvres, les loyers étant adaptés à leurs revenus.
 
La richesse de la République, son avenir – nous le portons tous –, ce sont ces mondes qui se recroisent enfin.
 
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Nous voulons, également, rétablir le « pouvoir d’agir » des habitants et des citoyens. C’est, bien sûr, le plus difficile. Nous vivons une crise de la démocratie et de sa représentation. C’est l’antidote, pourtant, au repli ; et je veux que chacun puisse se confronter à la réalité de faire, de participer, que chacun comprenne les exigences et ressente l’immense satisfaction de l’engagement. Ce besoin de s’engager, des millions de Français l’ont ressenti très profondément suite aux attentats de janvier et novembre.
 
Dans les 1 500 quartiers prioritaires de la Ville, nous avons misé sur la mobilisation des habitants des quartiers eux-mêmes. J’en connais la difficulté pour avoir, dans ma ville, mis en place des conseils de quartier. C’est le sens de la création des conseils citoyens. Ce sera le sens, également, de la réforme du 1 % culturel, chère Audrey AZOULAY, que nous allons engager.
 
Et nous agissons, aussi, pour encourager l’engagement civique.
 
Dès l’école, dans le cadre d’un parcours reconnu lors du brevet des collèges.
 
Pendant les études : chaque étudiant qui s’engage bénévolement pourra le valoriser dans son diplôme.
 
Grâce au service civique – quelle belle idée ! –, qui concernera, en 2018, 350 000 jeunes, soit la moitié d’une génération. C’est une grande avancée portée par le président de la République. « Priorité à la jeunesse » … certains en doutent ? Regardez ce qui a été fait en matière d’école ! Regardez ce qui a été fait avec les emplois d’avenir. Regardez ce que nous faisons avec la prime d’activité. Regardons ce qui est engagé grâce à la Garantie Jeunes. Mais regardons, aussi, à travers l’engagement, ce qui est fait en matière, par exemple, de service civique.
 
Grâce à la réserve citoyenne, qui permettra de se mobiliser dès 18 ans et tout au long de sa vie.
 
Le projet de loi « Égalité, citoyenneté », comme le projet de loi Travail, encouragent, enfin, l’engagement des actifs dans des associations culturelles, mais aussi sportives, chers Patrick KANNER et Thierry BRAILLARD – et les associations constituent le principal lieu d’engagement des Français : 12 millions de bénévoles et plus de 20 millions d’adhérents.
 
Il y a toujours ceux qui parlent de l’engagement et des associations sans connaître la réalité. Cette réalité, elle est là. C’est pour cela que nous avons rétabli les moyens qui avaient été supprimés il y a quelques années pour soutenir le monde associatif, même si nous savons que, dans les quartiers populaires et dans les grands ensembles, cette vie associative est parfois en difficulté. Et nous savons combien c’est important : là, rétablir une association sportive, à condition qu’elle respecte les lois de la République, là, des locataires qui s’organisent pour créer cet engagement citoyen.
 
Un Haut-Commissaire à l’Engagement a été nommé ce matin. Il est placé auprès du Premier ministre pour qu’il y ait une mobilisation de toute la société civile en faveur de l’engagement. C’est une belle mission, n’est-ce pas, François CHÉRÈQUE !
 
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Mesdames, messieurs,
 
Il y aurait tant à dire … beaucoup a déjà été dit, et je conclus.
 
Ce comité interministériel, vos travaux d’aujourd’hui, sont autant d’espoirs, malgré les doutes, le scepticisme, pour faire changer la France.
 
Nous sommes venus à Vaulx-en-Velin pour dire que la France s’affaiblit quand elle accepte la discrimination, quand elle accepte l’injustice, quand elle succombe à l’entre soi.
 
Et nous sommes venus à Vaulx-en-Velin pour porter une conviction, un projet : celui de l’égalité, une égalité réelle, chère Ericka BAREIGTS, pas une égalité fantasmée, pas une incantation de bonne conscience, une égalité active et exigeante avec chacun, celle-là même qui doit être le défi et la grandeur de la France. C’est par l’égalité que nous construirons une société plus juste, plus respectueuse de chacun, plus forte face aux menaces. Une société plus humaine. Une société de progrès, tout simplement.
 
Nous sommes venus ici exposer une méthode qui consiste, en partant à l’écoute des acteurs de terrain et des citoyens, en vous écoutant, à utiliser tous les leviers disponibles. Et nous l’avons fait, à travers cette plateforme qui a permis à de nombreux participants de faire leurs propositions et de participer directement, à travers leur vote, à la préparation de ce comité interministériel. Nous continuerons ce travail, cet engagement, pour la loi et pour l’enrichir, au-delà de l’engagement des parlementaires.
 
La loi, quand c’est nécessaire, l’action résolue du Gouvernement, le contrat, quand c’est suffisant. C’est ainsi que nous réussirons et c’est ainsi, c’est comme cela que nous redonnerons l’espoir, l’optimisme et la fierté qui manquent trop souvent à notre pays.
 
Pourquoi je suis fier, non seulement d’être chef de ce Gouvernement, mais fier aussi d’être français ? C’est parce que, comme je l’ai souvent dit, il n’y a pas beaucoup de pays au monde où le chef du Gouvernement peut être né à Barcelone, dans un autre pays que celui qu’il dirige, naturalisé. Jamais je n’aurais pu imaginer pouvoir assumer ces responsabilités il y a quelques années. Avoir, dans un Gouvernement, des femmes et des hommes qui eux aussi viennent d’autres pays : c’est cela, la France !
 
Mais cette image que nous donnons, il faut qu’elle se répercute dans tous les réseaux, dans toutes les veines de la société française. Et au fond, nous devons réussir cette belle synthèse entre le métissage de la société, où chacun apporte ses origines, ce qu’il a de plus personnel, au pot commun ; et, en même temps, réussir une forme d’assimilation. Je connais les mots, ils sont piégés : intégration, assimilation. Nous vivons avec cela. Mais, métissage et assimilation : c’est cela la synthèse de ce que nous souhaitons pour la République. Et pour faire avancer la République, nous le faisons en actes et nous le faisons encore aujourd’hui.
 
Nous sommes sur cette voie. Et cette voie, nous devons la poursuivre. C’est pour cela que nous devons être fiers d’être français, et c’est pour cela que nous devons rendre pleinement la fierté à tous nos compatriotes, notamment à ceux qui souffrent, mais qui espèrent.
 
Je vous remercie.
Discours du 13 avril 2016, Comité interministériel à l'Égalité et à la Citoyenneté, à Vaulx-en-Velin

Author: Redaction