Crise afghane et politique intérieure (pour Atlantico avec M. Edouard Husson)

1-Emmanuel Macron a accordé un entretien à TF1 ce dimanche après avoir participé à une conférence portant sur la stabilité au Moyen-Orient et la lutte contre le terrorisme dans le cadre de son déplacement en Irak et afin d’évoquer la situation en Afghanistan et dans la région, après le retour des talibans et l’attentat à l’aéroport de Kaboul, revendiqué par l’Etat islamique. Emmanuel Macron a également dévoilé sa stratégie sur la crise afghane auprès de la rédaction du JDD. Comment Emmanuel Macron tente-t-il d’imposer ses marques en cette rentrée ?  Quel bilan peut-on tirer de ses déclarations et de ses interventions au JT de TF1 et dans les colonnes du JDD ? Ses solutions pour tenter de résoudre cette crise (la poursuite des évacuations via des opérations humanitaires, la présence des soldats français en Irak ou l’instauration d’une « safe zone ») sont-elles crédibles et viables  alors même que selon des informations de France Info, un porte-parole des talibans rejette la proposition d’Emmanuel Macron de créer une zone sécurisée à Kaboul, mais assure que les Afghans pourront voyager après le 31 août, s’ils disposent d’un passeport et d’un visa ?  

« Puisque ces événements nous échappent, feignons de les organiser ». Jamais cette célèbre citation prêtée à Paul Valéry, ne fut mieux adaptée à la situation présente ! Les Etats-Unis et le monde occidental viennent de subir une défaite tragique en Afghanistan. Souvenons-nous. Les événements actuels ont leur source directe dans les attentats du 11 septembre 2001, qui firent plus de 3000 morts aux Etats-Unis. L’Amérique à la tête d’une coalition de pays occidentaux, dont la France, lance l’assaut contre les talibans qui dirigent l’Afghanistan, accusés de protéger Ben Laden, l’inspirateur de ce massacre. Le régime du Mollah Omar est renversé et les occidentaux s’installent à Kaboul avec le projet d’ancrer ce pays dans leur mouvance. Aujourd’hui la capitulation des occidentaux ne marque pas moins que la revanche posthume de Ben Laden et de Mollah Omar. Du chaos Afghan, la pire défaite du monde occidental en ce XXIe siècle, M. Macron s’efforce de tirer malgré tout une image positive et volontariste. Il propose de « parler » avec les talibans, d’instaurer une « safe zone » d’ailleurs rejetée par ces derniers. Mais les talibans vainqueurs de fait des Etats-Unis et du monde occidental, sont en position de force. Ils feront ce qu’ils veulent et sans doute ne faut-il pas en attendre la moindre concession de leur part.

2 – En se positionnant sur les sujets internationaux, le chef de l’Etat ne risque-t-il pas de s’éloigner des préoccupations des Français en cette rentrée ? Emmanuel Macron s’était déjà engagé dans la crise du Liban sans obtenir de réelles avancées. Le dossier afghan ne La situation afghane ne va-t-elle détourner le chef de l’Etat des enjeux majeurs de cette rentrée, notamment sur le plan politique hexagonal ?

L’orientation internationale des dernières prises de paroles élyséennes n’est en aucun cas déconnectée de la scène politique nationale. L’Afghanistan et l’Irak sont aussi des prétextes pour parler aux Français des sujets qui les préoccupent, immigration et terrorisme. La mise en scène du chef de l’Etat à l’étranger s’adresse à l’opinion intérieure. Le 17 août, le président Macron tenait un discours droitier, évoquant la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine à propos de la déstabilisation de l’Afghanistan. Il provoquait ainsi un tollé à gauche. Hier soir, il soulignait que l’accueil des réfugiés était un devoir absolu et mettait en garde contre tout amalgame entre immigration et risque terroriste. Après un coup de barre à droite le 17, le chef de l’Etat s’efforce, le 29, de séduire à gauche conformément au « en même temps ». L’image du chef de l’Etat en déplacement au Moyen-Orient s’insère dans le spectacle politique franco-français. Mme le Pen en profite pour donner de la voix et se positionner en opposante attitrée. C’est aussi l’effet recherché au moment où l’opposition de droite, infiniment plus menaçante pour la réélection du président Macron, essaye de revenir dans le jeu.  Nous sommes en pleine politique intérieure et pré-campagne présidentielle.

3 – Alors qu’Emmanuel Macron a été vivement critiqué par la gauche pour ses prises de position sur la crise migratoire, le dossier afghan va-t-il permettre à Emmanuel Macron de donner des « gages » et lui permettre de convaincre l’électorat de droite (sur les flux migratoires, la situation des réfugiés, la coopération européenne contre le terrorisme, le sens de la présence au Sahel) ? 

A cela s’ajoute une volonté présidentielle de donner l’image d’une prise de hauteur, de s’extraire de la morosité nationale et de l’image ambiguë voire délétère donnée par l’imposition du passe sanitaire. Pourtant, l’effet de ces prises de parole est incertain et probablement mineur sur le plan des sondages et des élections. L’opinion est déchirée sur ces sujets. Elle est en plein accord pour l’accueil des Afghans ayant servi les intérêts français et menacés de mort par les talibans. Au-delà, elle redoute une nouvelle crise migratoire. L’identification de quelques partisans (isolés) des talibans parmi les arrivants d’Afghanistan n’est pas de nature à la rassurer sur la question sécuritaire.  Les Français sont bien plus lucides et réalistes que ne le pensent les dirigeants du pays. Ils sentent bien que les événements en cours au Moyen-Orient sont d’une extrême gravité et que la France – seule – pèse de peu de poids dans un tel dossier. Ils font le constat du naufrage et de l’implosion du monde occidental dans son ensemble dont la France, partie prenante à la coalition de 2001, ne peut se dissocier. La multiplicité des apparitions médiatiques du président de la République et ses prises de position, dominée par le principe du en même temps, n’est probablement pas de nature à rassurer l’opinion dans sa globalité ni à influer sensiblement sur la donne électorale.

MT

Lire la suite sur le blog perso de Maxime Tandonnet ...

Author: Redaction