Afrique, migrations, projection

L’INED vient de publier une étude intéressante sur l’avenir des migrations africaines. Ce travail a un véritable intérêt: les réflexions prospectives sur l’avenir sont trop rares pour ne pas se satisfaire de l’ouverture d’un tel débat de fond.

En résumé, selon cette étude:  » L’Afrique subsaharienne devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050 au lieu de 14 % aujourd’hui. Le nombre de migrants originaires de cette région devrait donc augmenter. Mais de combien et vers quelles destinations ? François Héran replace les migrations africaines dans le tableau mondial des diasporas.

Ses conclusions peuvent se résumer en quelques phrases: 1/comparée aux autres régions, l’Afrique subsaharienne émigre peu, en raison même de sa pauvreté ; 2/ lorsqu’elle émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15 % seulement en Europe, le reste se répartissant entre les pays du Golfe et l’Amérique du Nord ; 3/ si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU, les migrants subsahariens auront beau occuper une place grandissante dans les sociétés du Nord, ils resteront très minoritaires : tout au plus 3 % à 4 % de la population vers 2050 – très loin des 25 % redoutés. »

Cette vision qui a le mérite d’exister et d’ouvrir une nécessaire réflexion, est cependant discutable. Elle part du constat,sans doute réaliste, qu’il n’existe pas de mécanisme automatique de vases communicants liés au différentiel de taux de fécondité. Cependant, elle trouve ses limites dans une vision mécaniste, presque mathématique des réalités. En prenant en compte les statistiques actuelles, projetées dans l’avenir, elle débouche sur la leçon d’un scénario unique présenté comme acquis. Or, la réalité est sans doute différente.

Les flux migratoires du futur dépendent de circonstances de demain: la croissance économique de l’Afrique sera déterminante: si demain, les jeunes de ce continent trouvent du travail et des raisons de vivre sur place, ils seront moins enclins à partir. La croissance économique suivra-telle la croissance démographique? Aujourd’hui, nul n’a d’idée claire sur la situation économique de l’Afrique dans 30 ans.

Le contexte politique du continent aura un impact considérable. Les grands mouvements migratoires les plus massifs sont liés  aux conflits militaires et à l’instabilité politique. Un embrasement du continent africain, lié au partage des ressources, à l’explosion démographiques, aux conflits ethniques et religieux, entraînerait des flux migratoires incontrôlables. Nul n’a la moindre maîtrise sur cette donnée.

L’étude l’INED n’évoque pas le rôle des passeurs criminels. L’idée que la pauvreté est un obstacle à l’émigration est contestable dès lors que des filières poussent des millions de personnes démunies de tout à s’endetter pour émigrer, en leur vendant un Eldorado européen, avant de les contraindre à un véritable esclavagisme pour rembourser leurs dettes.

Enfin, les politiques suivies en Europe auront, elles aussi, un impact décisif. Il n’est pas question de préconiser une Europe forteresse, mais d’organiser les migrations en fonction des capacités d’accueil du continent européen tout en combattant avec le plus grande fermeté les formes nouvelles de la traite des personnes humaines. Les Nations européennes, individuellement et collectivement, en auront-elles la volonté et la capacité?

La réflexion engagée par l’INED est courageuse et respectable. Elle nous semble trop théorique, déconnectée du monde, de l’histoire et de ses incertitudes. Cette dimension aléatoire et incertaine est absente d’un document intéressant, mais trop universitaire.

Maxime TANDONNET

Author: Redaction