Défendre des convictions, des valeurs, une vision de la société et du vivre-ensemble, au risque d’alimenter une polémique qui n’a que trop empoisonné le débat public. Ou se taire, en espérant l’apaisement mais en risquant l’embrasement, en laissant libre champ à la pente glissante sur laquelle est engagé notre pays. Cette interrogation m’a moi-même saisie à l’occasion de ce qui est devenu la « polémique burkini ». Mais aujourd’hui, se taire, c’est laisser croire qu’il n’y a pas d’autre chemin possible que celui des arrêtés d’interdiction qui ont été pris.
La Conseil d’Etat se prononcera en droit. Mais quoi qu’il en soit, le droit n’épuise pas le débat qui renvoie à nos valeurs, à notre conception de la société.
Disons-le tout net : voir des femmes se baigner habillées sur des plages françaises au XXIème siècle, c’est perturbant pour la femme de gauche, la féministe, que je suis. Comment ne pas y voir un retour en arrière ? Même si je constate, une fois de plus, que c’est sur les femmes que l’injonction de « discrétion » vient peser.
Mais faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l’ordre public et les valeurs de la République, c’est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité. C’est oublier que la laïcité n’est pas le refus de la religion : c’est une garantie de liberté individuelle et collective. Elle ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d’une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays.
Ce climat de haine, ces divisions attisées, le fanatisme en fait son carburant. Il est plus facile de convaincre des individus de se retourner contre un pays dont on leur fait croire qu’il les rejette. Et quand j’entends un ancien Président de la République mélanger immigration, religion et terrorisme, pour appeler à l’assimilation, j’enrage. Ce débat sur l’identité relancé ad nauseam est pernicieux et dangereux, précisément parce qu’il permet toutes les dérives.
L’intransigeance sur les principes de la République ne se discute pas. La fermeté totale quant au maintien de la religion comme un choix privé ne se brade pas. Le refus absolu des prêcheurs de haine, des mises en cause de nos valeurs et de notre laïcité, ne se négocie pas. Il y a un extrémisme islamiste dangereux, il doit être combattu dans le cadre de notre Etat de droit. Mais faire du port du voile l’expression d’un refus de la République, non. La vérité est que trop souvent, c’est la porte ouverte à tous les excès, à toutes les stigmatisations. Ce n’est pas la République pour laquelle je me bats.
Marisol TOURAINE