Marisol TOURAINE a répondu aux questions de Solveig GODELUCK, journaliste aux Echos, pour une interview consacrée à l’hôpital.
Vous pouvez lire son interview ci-dessous ou sur le site des Echos en cliquant ici.
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INTERVIEW – La ministre de la Santé et des Affaires sociales défend « un engagement très fort pour l’hôpital ». Elle annonce qu’une « dotation modulée » sera créée à l’automne. Près de 150 groupements hospitaliers vont voir le jour d’ici au 1er juillet. Un quart des hôpitaux de proximité bénéficieront de financements spécifiques indépendants de leur activité.
Le 1er juillet, tous les hôpitaux publics devront s’être regroupés pour mutualiser certaines fonctions. Quel est le sens de cette réforme ?
L’hôpital public est une force et une fierté pour la France. Son excellence est reconnue et il soigne tout le monde sans distinction. Il est tout sauf immobile. Nous sommes en train de changer d’époque. L’hôpital doit se transformer. Il était tourné vers lui-même, il doit s’ouvrir sur son territoire, sur la médecine de ville, sur les maisons de retraite, pour mieux suivre les parcours des patients. On hospitalise moins, moins longtemps, et mieux.
Le médecin traitant est là pour les soins de premier recours. Il faut donc mieux organiser la relation entre l’hôpital et la médecine de ville, mais aussi entre les hôpitaux d’un même territoire autour d’un projet médical partagé. C’est pour cela que je mets en oeuvre les groupements hospitaliers de territoire [GHT], des coopérations obligatoires entre les établissements qui prennent en charge les patients. Un peu moins de 150 groupements vont voir le jour dans quelques semaines.
Je tiens à souligner que sans les réformes engagées à l’hôpital depuis quatre ans, la création de ces GHT n’aurait pas été possible. Je veux avant tout parler du virage ambulatoire. Plus de la moitié de la chirurgie se fait désormais sans dormir à l’hôpital. C’est une révolution silencieuse.
En 2009, la droite avait déjà tenté de faire travailler ensemble les établissements hospitaliers, mais les conflits de pouvoir l’ont emporté…
La volonté politique n’était pas suffisamment forte. Aujourd’hui, les GHT, ça marche. La réforme a été adoptée par le milieu hospitalier dans un esprit constructif, à partir des projets médicaux de territoire. Dans ma région, le Centre-Val-de-Loire, il existe des coopérations à l’échelle de chaque département, mais ailleurs les regroupements se font différemment : on part toujours des réalités du terrain. Chaque groupement s’organise avec un hôpital support, et mutualise des fonctions comme les achats, ou les systèmes d’information.
Pour soutenir cette transformation je vous annonce que je vais engager un nouveau plan d’investissement de 2 milliards d’euros sur cinq ans qui bénéficiera à l’hôpital, notamment pour le développement des systèmes d’information et l’innovation… C’est le signe là encore d’un engagement très fort pour l’hôpital !
Je rappelle que depuis 4 ans, nous avons déjà consacré 400 millions d’euros à l’informatique et à la télémédecine, et que les investissements réalisés depuis 2012 ont été évalués positivement, contrairement aux plans des années 2000 de la droite, qui ont entraîné un endettement non-maîtrisé.
Ces regroupements territoriaux iront-ils de pair avec des fermetures d’établissements ou de lits, dans un contexte budgétaire difficile ?
La création des GHT est tout sauf une réforme bureaucratique ou administrative : elle vise à garantir à chacun qu’il pourra être pris en charge dans un hôpital de proximité. Je ne cherche pas à fermer des hôpitaux de proximité, mais à mieux prendre en compte les besoins de santé de la population sur tout le territoire.
C’est une vision très parisienne d’imaginer que l’hôpital est immobile. Il bouge en permanence. Des services ferment, d’autres ouvrent. Les services d’hospitalisation de jour sont appelés à se développer, ainsi que la prise en charge à domicile. Je n’ai jamais fait un objectif de la fermeture de lits. Toutefois nous mettons en place des hôtels hospitaliers à proximité des établissements, parce que l’hôpital n’est pas là pour faire de l’hébergement.
Le mode de tarification des soins hospitaliers, en fonction du volume d’activité (T2A), ne favorise pas le raccourcissement des séjours…
Depuis 2012 nous avons déjà corrigé à plusieurs reprises la tarification à l’activité. Et cela se poursuit : pour conforter les hôpitaux de proximité, nous publions d’ailleurs ce mardi les textes qui vont permettre à 250 établissements de bénéficier de financements spécifiques indépendants de leur activité.
Je vais encore faire évoluer la tarification à partir du rapport sur le financement hospitalier que vient de me remettre Olivier Véran. Un nouveau mode de financement, la « dotation modulée », soutiendra des activités qui ne relèvent pas d’une logique quantitative et qui sont mal pris en compte aujourd’hui : les soins de jour, les soins critiques comme la réanimation ou les soins intensifs, et enfin les soins palliatifs. Ces évolutions seront inscrites dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’automne. Nous pourrons ainsi tourner vraiment la page du tout-T2A.
Les directeurs d’hôpitaux ont l’injonction de réduire la masse salariale, mais sans licencier et avec une revalorisation du point d’indice et des carrières. La quadrature du cercle ?
Je veux saluer le travail de la communauté hospitalière. Les établissements ont pris à bras le corps la maîtrise des dépenses. Mais je rappelle aussi que le budget des hôpitaux augmente chaque année. En 2016, il a crû de 1,3 milliard d’euros. J’insiste : nous maîtrisons la dépense, mais l’engagement public augmente significativement chaque année contrairement aux idées reçues, et ce pour les soins, les investissements, la revalorisation du personnel hospitalier.
Oui, depuis 2012, nous avons mené des revalorisations importantes pour les fonctionnaires de catégorie C, et pour les infirmières, les sages-femmes… Nous avons lancé des mesures pour rendre l’hôpital attractif pour les médecins, avec des primes pour les jeunes et pour la mobilité. Quant au point d’indice global, c’est un effort structurant.
Je le reconnais, certains engagements supposent des efforts extrêmement importants pour tenir les budgets. Mais le service public hospitalier passe à la fois par une transformation de fond des hôpitaux, et par la reconnaissance des professionnels du soin.
Ne faut-il pas réduire les effectifs ?
Non ! Depuis que je suis là, nous avons créé 30.000 postes à l’hôpital, dont 23.000 soignants. Je tire la sonnette d’alarme quand je vois les candidats de la droite qui rivalisent d’ingéniosité pour imaginer comment demain ils diminueront le nombre de fonctionnaires à l’hôpital. Il faut vivre sur une autre planète pour imaginer que les professionnels hospitaliers se tournent les pouces ! Si l’on supprime des dizaines de milliers de postes, on fait prendre un risque majeur à l’hôpital public. Il y aura des fermetures massives. Je le rappelle, l’hôpital n’est pas étanche par rapport à ce qui se passe dans le reste de la société, où le Front national a progressé partout.
Où en est-on de la réforme des 35 heures à l’hôpital ?
La question a gagné en visibilité du fait de la réforme de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Martin Hirsch a réorganisé le temps de travail à l’AP-HP ; c’est sa responsabilité ; il a mon soutien. L’exercice était difficile. Il y a eu beaucoup de discussions, de concertation et en fin de compte la réforme peut se mettre en oeuvre.
Les réorganisations doivent se faire à l’échelle de chaque établissement, en tenant compte des besoins des services et de la qualité du travail des agents. Plus de la moitié d’entre eux l’ont fait. Les meilleures réformes sont souvent celles qui se font de façon déconcentrée.
Les cliniques se plaignent d’être exclues du service public hospitalier, et sont fragilisées par les efforts d’économies. Souhaitez-vous réduire leur place dans le système de soins ?
Les cliniques ont toute leur place dans notre système de santé, qui tire sa force de sa diversité. Comme le statut et la nature des établissements diffèrent, il est logique que les règles qui leur sont applicables ne soient pas les mêmes. L’hôpital public accueille 24 heures sur 24, 365 jours par an, sans dépassements d’honoraires ; il doit maintenir des urgences, ne pas sélectionner les patients en fonction des pathologies ou des revenus. C’est pour cela que j’ai mis fin à la convergence des tarifs.
Si les cliniques veulent appartenir au service public hospitalier, elles doivent respecter certaines règles. Les contraintes telles que la formation, la recherche, la permanence des soins ont un coût, qui est garanti par la collectivité. Ce n’est pas de l’ostracisme.
Quelles leçons tirez-vous de la faillite des cliniques dentaires low cost Dentexia, qui a laissé en plan de nombreux patients sans ressources ?
Ce n’est pas un échec des contrôles sanitaires, puisque ce sont au contraire ces contrôles qui ont permis d’identifier les difficultés ! Ce n’est pas non plus le principe des centres de santé qui est en cause. Un acteur, Dentexia, n’a pas respecté les règles. Nous avons mis en place des numéros de téléphones dédiés pour les victimes, et la Sécurité sociale prendra en charge les bilans de santé bucco-dentaires nécessaires à la poursuite des soins interrompus. L’inspection générale des Affaires sociales doit aussi me rendre son rapport en juillet sur les mesures complémentaires qu’il conviendrait de prendre.
Le problème ne découle-t-il pas surtout de la faible prise en charge des soins prothétiques ?
La question des soins dentaires me préoccupe. Leur prise en charge solidaire sera l’un des grands chantiers des années à venir. Mais ce serait faire injure aux autres centres dentaires que de les confondre avec Dentexia.