« Wesh, Madame?! » Le livre événement de Myriam Meyer , prof en banlieue

Myriam Meyer a la plume acérée. On pourrait considérer ça assez normal, vu son métier : professeur de Lettres. Mais finalement, ça ne vient pas forcément avec le job. Or, sa talentueuse plume ne s’arrête pas à la forme. Meyer est une implacable observatrice et une conteuse à l’ancienne : le lecteur vit réellement avec elle chaque instant dépeint dans le livre. Et des instants surréalistes, il y en a à chaque page. La vie n’est pas facile pour les garnisons de profs des camps retranchés du 93. Extraits :

Bilan du mois:

– un sixième s’est jeté sur un autre sixième pour lui lécher longuement l’oreille, la joue, le cou ;

– un troisième a mimé un coït sur un tapis de sport et, voyant que ça ne fonctionnait pas, a poursuivi l’essai sur un camarade d’une tête de plus que lui ;

– un cinquième a dessiné un pénis sur le sweat d’une camarade. Il a des excuses. Sa mère a été condamnée pour avoir tué son frère. Sortie de prison, mais pas privée de son autorité parentale, elle s’est installée avec une ancienne codétenue. Le père a disparu après avoir purgé sa peine pour complicité. Le gamin vit avec sa grand-mère.

(…)

Génération de charrieurs, enfants de Canal+ et de Cyril Hanouna, de la vanne pour tous et pour tout. Certes, ils sont encore capables de s’émouvoir, de rire et de frissonner. Mais ils charrient, voilà: ils pratiquent la dérision comme ils respirent, avec un naturel terriblement dur à démonter lorsque l’on s’engage dans ce métier avec, chevillée au corps, l’ambition disproportionnée de les toucher pour les conduire au cœur de la littérature. On s’époumone, on brûle, on tente pendant quarante minutes de les faire compatir aux malheurs de Fantine, qu’un élève assassine d’un sobre: «On dirait ma grand-mère avec ses sales dents

(…)

«Arrêtez avec ça! Je ne veux plus vous entendre dire: “Je m’en bats les c… .” C’est infernal.
– Mais madame, mais pourquoi?
– D’une, c’est d’une grossièreté sans nom. Vous valez beaucoup mieux que ce langage. De deux, vous êtes une fille, c’est donc antinomique.
– Antiquoi?!
– Antinomique. Totalement opposé.
– Bah, je dis quoi, du coup?
– Il y a plein de nuances possibles, selon la personne à laquelle vous vous adressez, notamment. “Je m’en fiche”, “Ça m’est égal”, “Je m’en bats l’œil”, “Ça me fait une belle jambe”, ou, si vous voulez épater la galerie, tiens: “Peu me chaut.”
– Madame, sérieusement, on peut pas parler comme vous dites, là, ça fait trop français. [Moment de réflexion intense.] Imaginez, je vais voir mon père, et je lui dis: “As-tu fait la vaisselle?” Il va paniquer, il va croire je suis malade.
– Non: il va croire QUE je suis malade.
– Madame, c’est pas grave, vous savez, si on utilise toujours les mêmes mots.
– Asma, si quelqu’un portait le même tee-shirt de septembre à juin, que diriez-vous?
– Ben, c’est un clochard, wesh.
– Eh bien, ne soyez pas un clochard de la langue française.
– C’est vrai ce qu’elle dit, Elsa, sur vous, madame.
– Et que dit-elle?
– Vous avez du flow.»

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Author: Redaction

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