« Le 4 octobre 2023 marquera le soixante-cinquième anniversaire de la Constitution de la Ve République, qui atteindra alors une longévité supérieure à celle de toutes les Constitutions de notre Histoire » a proclamé le Conseil constitutionnel qui accueillait une cérémonie de célébration en présence du chef de l’Etat. Illusoire anniversaire : de fait, la Constitution en vigueur en 2023 n’a plus grand rapport – en dehors de sa dénomination de Ve République – avec la loi suprême instaurée le 4 octobre 1958.
A l’époque, le général de Gaulle et Michel Debré dotaient la France de nouvelles institutions fondées sur un président, sage de la Nation, au-dessus de la mêlée politicienne, garant de l’unité et la continuité nationales et recours en cas de péril, un Premier ministre puissant chef de gouvernement, seul responsable de la politique au quotidien sous le contrôle d’une Assemblée souveraine et représentative du pays.
Cet équilibre a été balayé à l’issue d’une longue dérive dans la pratique du régime et de 24 révisions constitutionnelles, notamment celle de 2000 remplaçant le septennat par le quinquennat. Désormais, le régime politique français (au-delà des dirigeants actuels bien entendu) se fonde sur une tout autre logique. La France semble, depuis plusieurs décennies, dirigée par une seule créature médiatique, élue par défaut plus que par adhésion, unique détentrice, non pas du pouvoir, mais bien davantage de l’illusion du pouvoir, et communicant obsessionnel pour couvrir l’impuissance politique à traiter les souffrances et les angoisses d’une Nation. Il est difficile d’y voir le moindre rapport avec l’esprit du 4 octobre 1958.
D’ailleurs, à quoi sert une Constitution ? Elle est historiquement et philosophiquement la loi suprême qui détermine les règles d’exercice de l’autorité politique, la séparation des pouvoirs, et les principes fondamentaux d’une Nation, transcendant le mouvement des passions, auxquels ses dirigeants eux-mêmes sont soumis pour protéger les citoyens de l’arbitraire. La banalisation des révisions constitutionnelles – 24 fois en 65 ans – revient à nier ce principe. Si chaque président entend lui imprimer sa marque personnelle au cours de son mandat, la Constitution se transforme en un réceptacle fourre-tout et malléable des états d’âme de dirigeants successifs, perdant son caractère de texte sacré et protecteur des libertés.
Le président de la République a ainsi mis à profit cet illusoire 65e anniversaire pour présenter à son tour un projet de révision constitutionnelle dans un objectif certes louable : « remédier au malaise démocratique », c’est-à-dire à l’écœurement des Français qui ne se sentent plus représentés ni écoutés par leurs dirigeants élus et désertent les bureaux de vote à l’image des dernières législatives où ils ont été plus de 54% à s’abstenir – un record absolu. Il propose ainsi d’élargir le champ du référendum article 11, de renforcer l’autonomie de la Corse et des Outre-Mer, d’introduire l’IVG dans la Constitution.
Or, une réforme constitutionnelle supplémentaire est-elle le moyen le plus efficace de combattre la crise de la démocratie française ? Au fond, il suffirait d’un simple changement de pratique, sans passer par la grandiloquence d’une vingt-cinquième révision de la Constitution avec son Congrès de Versailles, pour donner un signal de réconciliation au pays : renoncer à l’usage fréquent de l’article 49-3 (adoption d’une loi sans vote de l’Assemblée) que les français jugent anti-démocratique ; utiliser le référendum sur des sujets essentiels comme les retraites car en vérité, le champ de l’article 11 est déjà largement ouvert à la politique économique et sociale, c’est-à-dire à des questions de société ; déconnecter le calendrier des élections présidentielles et législatives pour restaurer l’indépendance de l’Assemblée par rapport à l’Elysée; revenir sur les interdictions de cumuls de mandats qui se traduisent par un effondrement du niveau de la représentation nationale ; renforcer l’autorité et la responsabilité d’un Premier ministre sous le contrôle du Parlement. Nul besoin de révision constitutionnelle pour exprimer une volonté sincère de lutter contre le malaise démocratique.
Enfin, les Français sont aujourd’hui avant tout préoccupés par des enjeux concrets pour lesquels ils souhaiteraient des réponses politiques efficaces : inflation, chômage, pauvreté, dette publique, déclin du niveau scolaire, violence endémique, maîtrise des frontières, service public hospitalier… Aujourd’hui, leur priorité n’est sans doute pas de constitutionnaliser l’IVG que rien ne menace, ni l’autonomie de territoires qui bénéficient déjà d’un régime dérogatoire. Une nouvelle réforme constitutionnelle risquerait d’être ressentie comme un leurre et finalement contraire à l’objectif annoncé de réconcilier le pays avec la démocratie.
MT