Pourquoi ne pas le dire? En pensant aux larmes de parents qui ont perdu un enfant, aux amis qui ne verront plus jamais l’un des leurs, le seul fait de penser, de réfléchir, d’écrire prend une connotation absurde, presque obscène. Le deuil passe par le silence. Mais la parole est là, foisonnante, envahissante, pour occulter l’angoisse collective. Et je ne parle même pas du grand spectacle politicien… J’aurais tant de respect pour des dirigeants politiques, quel que soit leur parti, qui gouvernent, tiennent un cap, plutôt que de parler! Mais je suis comme tout le monde, bavard, à vouloir m’exprimer pour garder la sensation de vivre et d’exister, écrire pour occuper la nuit, détourner la tristesse. Les attentats du 13 novembre 2015 marquent l’entrée de la France dans une autre époque, comme si l’histoire, dont tant de faux-prophète avaient prédit la fin, venait de resurgir des ténèbres. A l’image des Etats-Unis le 11 septembre 2001, nous venons de basculer dans une ère nouvelle. Tout un bloc de valeurs, une idéologie issue de la fin de la guerre froide s’est effondrée: l’angélisme, le culte de la différence, de l’ouverture absolue, sans limite et du communautarisme, la haine des frontières, de l’Etat et de la Nation. D’autres chocs collectifs qui ont ébranlé le pays n’avaient pas produit un tel effet, en particulier les émeutes d’octobre et novembre 2005 et les événements de janvier dernier. Toute une époque vient de s’achever. Il est sidérant de voir ainsi la déchéance de nationalité préconisée et portée au pinacle par les socialistes qui la considérait, cinq ans auparavant (discours de Grenoble) par définition comme une monstruosité pétainiste. Nous vivons sur un champ de ruines. Les espérances de ces dernières décennies ont volé en éclat. Il ne reste plus rien que des ruines de l’Europe de la libre circulation, du multiculturalisme, du dépassement des Etats Nation, qui fut quand même le socle de la vie publique depuis le début des années 1990 en dehors d’une poignée de grands esprits à l’image d’un Philippe Séguin prophète dont la carrière politique fut irrémédiablement brisée. Nous assistons à l’agonie d’une société construite sur la négation de l’autorité, la sublimation de « l’interdit d’interdire », de l’individualisme absolu, ni dieu ni maître, l’exaltation de l’autre et la haine de soi, le culte de la table rase, le rejet des traditions, des principes, du passé, du communautarisme contre la Nation. Nous avons atteint l’ extrémité d’un monde qui s’était construit sur l’individu-roi, le libre arbitre absolu, l’homme interchangeable. Nous sortons d’un univers mental d’angélisme, de foi aveugle dans la nature humaine et de progrès de l’humanité en marche vers le bien suprême. Comme il nous semble déjà loin, le temps d’avant, celui d’un autre siècle, celui d’avant le 13 novembre 2015. Mais aujourd’hui, au plus profond du chaos, tout est à reconstruire. Il ne suffit pas de se réunir dans un hall de lycée avec un drapeau tricolore et de chanter la Marseillaise, même si ce geste nous fait chaud au cœur. La France est de retour, comme principe supérieur, dans l’âme des Français, notamment des jeunes. Mais reste l’essentiel, lui donner un contenu. Quelle France? Il faut tout repenser, notre modèle de société, nos valeurs, nos institutions, notre destin collectif, notre conception de la politique et du bien commun, la France dans son contexte international et européen. L’heure n’est plus au mea culpa, à ressasser jusqu’au vertige les décennies de fautes et les lâchetés qui nous ont conduits où nous en sommes. Allons nous ouvrir cet immense chantier de l’avenir ou nous contenter de survivre dans les ruines?
Maxime TANDONNET