Un 8 mai sans le peuple (pour Figaro Vox)

A quoi servent les cérémonies patriotiques, en particulier le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre ? Elles expriment l’unité de la nation autour d’un événement fondateur : capitulation de l’Allemagne hitlérienne, Fête de la Fédération ou Victoire à l’issue de la Grande guerre. Elles représentent un instant de recueillement patriotique. Le public populaire n’y est pas en simple spectateur mais il prend toute sa part dans la cérémonie. La cérémonie manifeste un trait d’union entre les générations, un moment de transmission de la mémoire collective. La foule représente le peuple souverain en osmose avec son Armée et ses représentants élus, dont le chef de l’Etat.

Ainsi, le déroulement de la cérémonie du 8 mai 2023 sur des Champs Elysée quasiment vides, d’où tout public avait été évacué, prenait une connotation particulièrement dramatique. Jamais une image ne fut plus emblématique de la fracture entre la nation et ses dirigeants. Le peuple symboliquement écarté de la cérémonie, celle-ci devenait une sorte de ballet mondain, hors-sol, célébrant non pas l’unité nationale ou la France rassemblée, mais une sorte d’entre-soi courtisan en rupture avec le pays.

Pourtant, le 8 mai, comme le 11 novembre, appartiennent bel et bien au peuple dans la tradition française. Le Soldat Inconnu, dont la flamme est ravivée, représente un enfant du pays mort au champ d’honneur. Le 8 mai comme du 11 novembre rendent hommage à la France populaire qui a donné sa vie à la patrie et aux familles endeuillées. En vérité, une cérémonie patriotique sans le peuple perd l’essentiel de sa signification.

L’histoire du XXe siècle est riche en images de la foule en liesse sur les Champs Elysée. La plus célèbre est celle du 25 août 1944, célébrant la Libération de Paris, que Charles de Gaulle, dans ses Mémoires, compare à la mer. Depuis lors, entre cette explosion de joie collective rassemblant plus d’un million de Français et le pathétique 8 mai 2023, que de chemin parcouru ! Et quel contraste avec les cérémonies du couronnement en Grande-Bretagne ayant donné lieu à des manifestations de joie populaire !

Bien entendu, la tentation sera grande de mettre ce fiasco sur le compte de la désacralisation des institutions, d’une déliquescence et d’un nihilisme croissant d’une société qui ne respecterait plus les emblèmes nationaux. Tout au long de l’histoire du XXe siècle, en effet, les cérémonies patriotiques ont rarement été l’occasion de trouble ou de chahut. Quelques incidents sont restés dans la mémoire collective, comme cette insulte lancée au général de Gaulle le 11 novembre 1962 : « à la retraite ! ». Mais tout cela restait ponctuel. L’habitude de siffler et huer les chefs de l’Etat lors de cérémonies patriotiques remonte à une dizaine d’années notamment aux 14 juillet et 11 novembre 2013 de François Hollande.  

La nouveauté de 2023 tient à l’attitude des dirigeants au pouvoir qui consiste à éloigner le public de la cérémonie pour se protéger de ses quolibets ou « casserolades ». Cette attitude souligne la priorité absolue qui est accordée à la préservation de l’image personnelle des gouvernants. L’impératif est d’éviter le risque de la laisser salir par des signes de la colère populaire. Alors, pourquoi cette obsession du paraître ? La classe dirigeante est (de longue date) en échec dans tous les secteurs de la vie publique : déclin du niveau scolaire, explosion de la dette, poussée de la violence, de l’inflation et de la pauvreté, chômage et désindustrialisation, dégradation des services hospitaliers, etc. Le culte de l’image personnelle est le paravent d’un désastre collectif : la magnificence du chef est supposée couvrir l’impuissance à régler les problèmes, les souffrances ou inquiétudes de la société. C’est pourquoi, dans cette logique, il est tellement crucial de la préserver de toute salissure.

Le système du cordon sanitaire (entre la sphère dirigeante et le peuple) qui s’est imposée le 8 mai 2023, fait d’ailleurs l’objet d’une étrange acceptation dans la France dite « d’en haut », ou politico-médiatique. Les voix discordantes contestant la mise à l’écart du peuple (à Paris comme à Lyon) ont été rares et discrètes sur les médias nationaux. Cette allégeance ou résignation contraste avec l’indignation qui s’exprime sur les réseaux sociaux. Deux années de crise sanitaire, de confinements et de couvre-feu ont banalisé l’usage de la contrainte envers la population de ce pays. On imagine le formidable tollé de plusieurs semaines que de telles pratiques eussent déclenchées jadis (par exemple sous le mandat de Nicolas Sarkozy !) Cette accoutumance est particulièrement préoccupante pour l’avenir des libertés en France.

La politique du cordon sanitaire est le signe d’un immense malaise.  Les casserolades font peur aux dirigeants politiques. Même si elles sont le fait d’une poignée d’individus, elles bénéficient d’une vaste sympathie populaire selon toutes les enquêtes d’opinion. Elles expriment une colère qui s’est cristallisée sur le totem des « 64 ans » à propos de la réforme des retraites mais dont les raisons sont plus anciennes et plus complexes. La parade choisie – celle de cérémonies confinées – ne fait cependant qu’amplifier les maux du pays aggravant jusqu’au vertige l’impression du mépris des élites dirigeantes envers le peuple c’est-à-dire la fracture démocratique. Le pouvoir politique donne des signes de fragilité en révélant au grand jour sa phobie des casserolades – des signes qui ne peuvent qu’encourager la poursuite du mouvement. Une question s’impose à l’évidence : comment tenir quatre années dans de telles conditions ? 

MT 

Author: Redaction