« Trop intelligent »

« Et une deuxième erreur a été faite : le fait d’avoir probablement été trop intelligent, trop subtil, trop technique dans les mesures de pouvoir d’achat. »

Cette phrase a été prononcée avant-hier par l’un des principaux leaders de la majorité politique issue du « nouveau monde », LREM, qui dirige aujourd’hui la France, produisant une micro-polémique. Elle est issue d’un contexte tragique, après 5 semaines du conflit des gilets jaunes qui a fortement ébranlé l’économie et la société française, à l’origine de spectaculaires destructions et de 6 morts, et un nouvel attentat islamiste qui a ensanglanté le marché de Noël de Strasbourg.

Les paroles de ce chef de parti, journaliste et entrepreneur de profession, sont révélatrices de toute une mentalité, tout un climat qui pèse sur le pays. Elle exprime la pensée profonde de la France supposée d’en haut, prompte à toiser les « sans dents »,  les « Gaulois réfractaires » ou la lèpre populiste (mot dérivé de celui de peuple). Elle reflète la prétention d’une caste dirigeante, auto-proclamée intelligente, éclairée par les lumières de la connaissance et de la raison, à dire et à faire le bien pour le compte d’un peuple obscurantiste. Elle traduit à merveille la sensibilité dominante d’un milieu qui se pense supérieurement instruit et détenteur de la vérité suprême à aller de l’avant sans état d’âme et sans se poser de questions voire sans écouter personne ni réfléchir, guidée par la seule illusion de sa propre intelligence ou subtilité.

Ce mode de comportement et d’agissement n’a qu’une faiblesse: se croire intelligent, et pire, se déclarer intelligent, par le « je » ou par le « nous », a toujours été, de tout temps, le signe de plus patent, le plus radical de la bêtise. Ce genre de proclamation porte en lui-même une explication de la tragédie française: Comment un groupe de personnes, bien au-delà du quinquennat actuel qui n’est que la quintessence de cet état d’esprit, engoncé dans son instinct de supériorité, entraîne le pays à l’abîme avec un bandeau noir sur les yeux, le bandeau noir de la prétention, de la bêtise infatuée et du mépris des autres. La révolte des gilets jaunes fut, tout au moins au début, dirigée contre l’arrogance obtuse.

La IIIe, la IVe République avaient certes des défauts. Mais comme la Ve République à ses débuts, elles ont pourtant su produire des dirigeants politiques qui tenaient la route. Qui imagine les Clemenceau, Poincaré, Herriot, Tardieu, Blum, de Gaulle s’auto-proclamant: « Trop intelligent? » Bien plus que les institutions, le drame contemporain de la France tient, depuis plusieurs décennies sans doute, à la médiocrité intellectuelle et morale de sa classe dirigeante.

Maxime TANDONNET

 

 

Author: Redaction