Sur la liberté d’expression à l’Assemblée nationale (pour Atlantico avec Mme Anne-Sophie Chazaud)

Bruno Le Maire « lâche » et Pap Ndiaye « communautariste » d’après des députés RN, lui même accusé d’être un parti à « l’ADN xénophobe » par une député Renaissance, les hostilités étaient de mise à l’Assemblée Nationale. Ces trois incidents ont eu pour effet un rappel à l’ordre de la présidente, Yael Braun-Pivet. Si l’on peut comprendre la volonté de comportements « respectueux », n’est-ce pas oublier ce que doit être au fond, la liberté d’expression, en particulier dans un contexte parlementaire ?

En vertu des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958, « aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Le principe est donc celui de la liberté d’expression totale à l’Assemblée nationale. Il n’est évidemment pas interdit au président de l’Assemblée nationale de rappeler des règles de courtoisie. Mais on ne peut pas censurer la parole des députés à l’Assemblée nationale, c’est une règle de la démocratie parlementaire.   

L’Assemblée nationale n’est-elle pas, par excellence, le lieu où doivent pouvoir s’exprimer le plus frontalement et avec virulence les débats politiques comme cela a été historiquement le cas ? 

Si : la violence des attaques personnelles pouvant dégénérer en insultes fait partie de la tradition parlementaire. Le tribun Georges Clemenceau, quand il s’en prenait aux ministres, ne lésinait pas sur les noms d’oiseau du genre « imbécile ». Jules Moch ministre socialiste fut traité « d’assassin des travailleurs, de bas-policier, mégalomane » en 1950 par Jacques Duclos leader du parti communiste. « Taisez-vous donc abruti ! » assenait Gaston Deferre à René Ribière un adversaire politique en 1967. Traître, criminel, bandit, etc. sont des termes qui ponctuent parfois les débats les plus houleux qui dégénèrent… Et pire : fasciste, nazi, collabo, etc. En 1998 Jean-Pierre Chevènement traitait un député de droite de « maurrassien » lors du débat sur la nouvelle loi immigration – avant de s’en excuser il est vrai. L’insulte fait partie de la tradition parlementaire et dès lors que la parole est libre, il est difficile d’éviter le risque qu’elle dégénère dans certains cas de tension ou d’excitation extrême. Faut-il s’en offusquer ?

Dans quelle mesure est-ce symptomatique d’une génération qui croit pouvoir apaiser le débat en ôtant du discours la violence verbale ? Quitte à oublier l’importance de l’exutoire verbal dans le processus de civilisation ?  

Derrière cette question est posée celle du sens de la politique. Jadis, les hommes d’Etat authentiques relativisaient l’importance de ces insultes. Peut-être qu’ils en souffraient intérieurement mais ils ne s’en offusquaient pas ouvertement au point d’en faire une affaire d’Etat. Au pire les échanges d’insultes se finissaient (du temps de Clemenceau) en duels privés généralement plus symboliques que sanglants…  Les insulteurs étaient parfois insultés et puis ils passaient à autre chose. Dès lors que les responsables politiques se comportaient en fonction d’un objectif qui dépassait leur personne, c’est-à-dire l’intérêt général de la Nation, les attaques contre leur personne n’avaient qu’une importance relative. Il en est tout autrement aujourd’hui dans le cadre de la politique hyper-narcissique. Leur image personnelle est l’obsession de la plupart des politiciens. Les paons vivent dans l’obsession de leur plumage. Dès lors que tout est dans le paraître, l’insulte devient insupportable. Mais autant l’invective elle-même que la surréaction des personnes qui en sont victimes donnent une image extrêmement délétère de la vie publique. Confrontés à mille souffrances quotidiennes et inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants, les Français ne peuvent que s’indigner de ce piètre spectacle de cour de récréation… D’où la poussée de l’abstentionnisme…

Author: Redaction