Tout part de l’article 6 de la Constitution, issu de la réforme constitutionnelle de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » à la présidence de la République. Les successeurs potentiels de l’actuel président se bousculent déjà au portillon. Et comme la vie politique française semble pencher plutôt à droite en raison de l’importance des questions de sécurité et d’immigration, l’aile droite du macronisme, venue de LR, pense être assez bien placée pour lui fournir un successeur : Le Maire, Philippe, Darmanin, et désormais, il est même question de Castex… L’affrontement des ambitions paraît inévitable, même s’il est aujourd’hui masqué par leur commune allégeance au chef de l’Etat, à des degrés divers. (Ces calculs sont d’ailleurs hypothétiques dès lors que le président Macron pourrait aussi adouber en 2027 un successeur venu de son entourage proche.)
Dans quelle mesure, les appétits sont-ils, aussi, aiguisés du côté des actuels Les Républicains tentés par le macronisme à l’occasion de la réforme des retraites ?
Les leaders actuels de la droite LR anticipent sur un second tour des présidentielles de 2027 qui opposerait, pour la troisième fois, une candidat prétendument respectable, fréquentable, autrement dit « républicain », à un « épouvantail » populiste ou extrémiste, qu’il soit issu de la Nupes ou du RN. L’intérêt de la droite LR serait dès lors, selon eux, de se rapprocher de la majorité présidentielle pour espérer qu’un candidat issu des rangs de LR émergera d’une grande force centrale « de gouvernement » ou « responsable » pour succéder à M. Macron. L’emblématique réforme des retraites, présentée par les macronistes comme la mère des réformes, est un prétexte pour afficher, non pas une alliance qui prêterait le flanc au reproche de compromission, mais une connivence, ou une image politique commune fondée sur le sérieux et la responsabilité (la capacité à gouverner) avec Renaissance et la majorité présidentielle. Ils ont à l’esprit de se placer dans le sillage idéologique de la « macronie » contre les « extrêmes ». Les leaders actuels de la droite LR espèrent ainsi couper l’herbe sous le pied des premiers ralliés, ex-LR, de 2017.
A qui bénéficierait la concurrence des anciens (et nouveaux) transfuges de la droite vers le macronisme ?
Les leaders de LR offrent un cadeau en or à Mme le Pen et au RN. Cette réforme des retraites est extrêmement impopulaire. Au moins 70% des Français ne veulent pas de cette réforme et pire, 90% des actifs, selon de multiples enquêtes d’opinion. Ce rejet populaire est réel (pas seulement une illusion sondagière comme ils le prétendent) et largement fondé. Compte tenu du nombre d’annuités fixé à 43 ans et d’un âge moyen d’entrée sur le marché du travail nettement au-dessus de 21 ans, sa mesure emblématique, le report de l’âge du départ à la retraite à 64 ans, se limitera à pénaliser les personnes ayant travaillé avant cet âge, c’est-à-dire les travailleurs manuels, la France populaire ou périphérique. Certes, le parti LR déploie des efforts pour neutraliser cet effet d’injustice. Mais s’il ne devait rester des 64 ans, à la fin, qu’une coquille vide, pourquoi jeter le pays dans une crise sociale et la paralysie ? De fait, sur un sujet aussi emblématique, LR donne le sentiment de choisir son camp : la majorité présidentielle contre le peuple. Ce parti ouvre un boulevard au RN dans sa course à la respectabilité, au profit duquel il libère l’espace d’une opposition de centre-droit.
D’aucuns semblent se dire que cela permettrait le retour des idées de droite au pouvoir pour succéder à Macron. Est-ce une fausse solution ? Cela risque-t-il plus de condamner la droite que de la sauver ?
Par le plus grand des paradoxes, la droite LR est en train de lier son destin à celui du macronisme voué à faire naufrage dans l’impopularité. L’omniprésence médiatique du chef de l’Etat sert à couvrir une réalité dramatique. La France est un pays qui souffre dans sa chair : vertigineux effondrement scolaire, spectaculaire poussée de la violence et de l’insécurité, crise du système de santé, perte de la maîtrise des flux migratoires, montée de la pauvreté (touchant près de 10 millions de personnes), chômage massif de 3 à 5 millions de personnes, inflation qui frappe de plein fouet les familles, vives inquiétudes autour de l’explosion de la dette publique qui obère l’avenir des générations futures et face au risque d’être entraîné dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Après dix ans au pouvoir, les Français ne manqueront pas d’en tenir l’équipe actuelle pour responsable et plus généralement, des politiques d’inspiration socialiste menées depuis quinze ans. Il est invraisemblable que LR, élu comme parti d’opposition, ait fait le choix de s’associer à cette débâcle.
Quelles conséquences politiques et idéologiques cela peut-il avoir ?
Elles sont nombreuses. LR, en brouillant son image, risque de renforcer le RN. Mais aussi il laisse le monopole de l’opposition non-RN à la gauche. Voyez comme le parti socialiste, et non la droite, a mis le gouvernement face à ses contradictions sur le nombre de bénéficiaires de la retraite minimale de 1200 €. Le RN et la gauche ne peuvent que sortir requinqués de cet épisode. Les leaders LR donnent une image d’obséquiosité envers le pouvoir dont ils auront du mal à se remettre. Mais surtout, pour une réforme à la fois inconsistante, confuse et injuste, il se coupent d’une partie de leur électorat qui les a élus en tant que parti d’opposition. Ils reconstituent de fait une majorité absolue que la Nation a refusé au chef de l’Etat aux législatives de juin dernier, tournant le dos à la France populaire. L’argument de la cohérence à leur programme de 2017 et 2022 prônant un report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans est incompréhensible : en quoi un programme, ayant contribué à deux reprises à la défaite, serait-il gravé dans le marbre, comme s’il était interdit de réfléchir et de se remettre en question ? La principale conséquence sera d’aggraver l’écœurement des Français envers la politique, le désengagement et l’abstentionnisme.
MT