Ci-dessous mon article pour Figarovox sur la démission de M. Griveaux de la mairie de Paris. Il convient de préciser les points suivants:
- M. Griveaux, en tant que responsable politique, est tout ce qui me révulse le plus au monde (incompétence, opportunisme, arrogance, démagogie). Cela est dit très clairement dans le papier: pas la moindre indulgence envers le politique.
- La chute de M. Griveaux était déjà actée. La jubilation qui ruisselle un peu partout ne relève en rien de la raison politique, mais de l’instinct de meute.
- Des adversaires de la Macronie se réjouissent d’un événement qui semble accélérer son naufrage. Cependant, aucune personnalité (même présumée la plus vertueuse) aucun parti n’est à l’abri d’un désastre de ce genre.
- Tout lynchage médiatique, phénomène de chasse à cour, déchaînement de la meute excitée par le sang sur les réseaux sociaux, m’est insupportable. Quel que soit le gibier de potence.
- Les mouchards et les délateurs sortent dans les périodes troubles. C’est la même histoire qui revient toujours.
- Ce n’est pas une affaire de mœurs répréhensible de type exhibition publique ou autre. Il n’a pas violé ni commis d’agression. La vidéo à destination privée a été volée et jetée en pâture à la foule à son insu.
- Sauf sainteté ou vertu parfaite, nul n’est à l’abri d’une diffusion honteuse d’une scène privée destinée à nuire (enregistrement dissimulé, caméra cachée, pornrevenge).
- Je ne connais pas de hauts responsables politiques de l’histoire irréprochables sur le plan de la rigueur morale. Ce qui change? les technologies et Internet.
- La banalisation de la délation, dans un grand concert d’approbations et de jubilation, rappelle les pires époques.
- Il n’y a pas d’affaire d’argent, de détournement de fond public. L’affaire est privée. Elle aurait dû le rester.
- Se satisfaire de ce genre de délation, c’est ouvrir la voie d’une société totalitaire où chaque geste chaque parole même des plus intimes, est exposé au risque d’être exhibé sur le Net.
- A travers l’image abominable de la politique qui est donnée par cette affaire, c’est la crédibilité de la démocratie française qui est une fois de plus atteinte.
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La démission de M. Griveaux de sa candidature à la mairie de Paris embrase ce matin la société politico-médiatique et les réseaux sociaux. En cause : une vidéo à caractère sexuel supposée compromettante pour lui. La nature des faits n’est pas connue ni la teneur du film. Pourtant, déjà, le lynchage-éclair bat son plein, impitoyable, foudroyant, implacable.
La tradition française de séparation de la politique et des affaires privées a volé en éclats sous les effets de l’américanisation de la société et des réseaux sociaux. Que reste-t-il de la traditionnelle indulgence nationale envers les frasques personnelles des responsables et dirigeants politiques ? Le secret, la notion même d’intimité ont disparu. Toute scène entendue, filmée et volée, a vocation à être diffusée au monde entier. En France, le puritanisme américain a désormais pris possession des esprits. Pire : la négation de la vie privée et la banalisation du lynchage global, dans la jubilation méchante, sont les symptômes évidents d’une nouvelle barbarie totalitaire à laquelle, potentiellement, nul n’échappe.
Les raisons loyales et politiques de l’opposition à M. Benjamin Grivaux ne manquent pas : son style arrogant, quintessence du supposé « nouveau monde », son opportunisme, ses promesses démagogiques et irréalistes sur le transfert de la gare de l’Est et la prime de 100 000 euros aux nouveaux acquéreurs, les montages photographiques ridicules supposés relancer sa campagne.
Cependant, au-delà du devoir de prudence (et sauf information jusqu’à présent inconnue), ce n’est sûrement pas sur M. Grivaux que doit rejaillir la honte du séisme qui secoue la campagne parisienne, mais sur les seuls auteurs de la fuite sur les réseaux sociaux. Ce geste exprime une banalisation de la délation qui fait froid dans le dos. Et si les réseaux sociaux avaient existé de 1933 à 1945 ? se demande-t-on.
Qui en est l’auteur et quel en est le mobile ? A ce stade, chacun en est réduit aux suppositions. Soit une manœuvre destinée à l’écarter définitivement de la course à la mairie, soit un règlement de compte de la part d’un « ami » assez proche pour avoir eu accès à la (supposée) vidéo compromettante.
Après une série d’affaires tonitruantes qui ont ébranlé la démocratie française, notamment « DSK » et Cahuzac, les élections présidentielles et législatives de 2017 – elles-mêmes faussées par le scandale – se sont jouées sur la promesse de l’exemplarité, d’un renouvellement général, d’un « nouveau monde », d’une « transformation » de la politique.
La preuve est faite aujourd’hui, à travers le séisme parisien touchant de plein fouet une personnalité emblématique de ce nouveau monde, que le naufrage de la politique française dans le psychodrame et le sordide n’a jamais interrompu sa course folle. Cette secousse intervient au pire moment, dans le contexte où le pouvoir politique est discrédité par une succession de fiascos dramatiques sur la taxe carbone ou sur la réforme des retraites qui ont jeté le pays dans la violence, le chaos et la division.
Même si l’opinion est largement blasée, ce nouveau psychodrame ne peut qu’aggraver l’image délétère qu’elle se fait de la vie politique. 79% des Français ont déjà une image négative de la politique. 39% éprouvent de la méfiance envers elle, 28% du dégoût et 10% de l’ennui (cevipof). Ce nouvel épisode lamentable ne peut que renforcer l’incrédulité envers la chose publique, l’abstentionnisme et le sentiment de la déconnection entre les élites dirigeantes et le peuple. Encore une élection importante qui sera dominée par le scandale. S’ajoutant à tout ce qui vient avant, celui-ci ne saurait faire qu’une seule victime à la fin : la démocratie. Mais n’est-ce pas au fond, ce qui est recherché ?
MT