« Si l’on pouvait en finir avec l’élection présidentielle ». La déclaration touche à un tabou français. Pour la comprendre, il faut s’être défait d’un amoncellement d’idées reçues et de faussetés qui imprègne les cerveaux français y compris les beaux esprits formés dans les meilleures grandes écoles. Tout l’intérêt de cette déclaration tient au fait qu’elle provient d’une source des plus inattendues: elle est de l’un des plus anciens compagnons de route du gaullisme, un très proche du Général en personne, M. Pierre Mazeaud (le Point de cette semaine). Manifeste-t-elle le début d’une prise de conscience? Elle touche à un pilier de la culture politique française. Elle le secoue, elle l’ébranle. Pour tenter de la comprendre, il convient de s’élever dix minutes au-dessus des lieux communs habituels. L’élection présidentielle favorise l’abêtissement d’une partie du pays (sur le plan politique). Elle pousse ce dernier à se donner un prétendu sauveur providentiel, un guide ou un maître au détriment d’un débat d’idées, d’un choix de société ou d’un projet. Elle est entièrement – entièrement- conditionnée par le pouvoir médiatique qui décide de mettre en valeur telle ou telle personnalité en la surexposant. Ce pouvoir médiatique, d’intelligence et de culture médiocre, va inévitablement se donner des marionnettes à son image, des personnages médiocres sur le plan de l’intelligence, de la culture comme de la morale. L’élection présidentielle, une élection entièrement soumise au spectacle politico-médiatique, valorise le talent de l’histrion, du comédien qui jubile ou pérore devant la caméra. Cette élection hors sol, coupée des réalités de terrain, favorise la grandiloquence, le mensonge et la manipulation, les slogans et les coups de théâtre, les promesses mégalomaniaques à l’image du « nouveau monde », donc l’illusion, la déception et le rejet de la politique. Elle éloigne le pays du bien commun ou de l’intérêt général mais favorise au contraire les déchirements, la division et l’hystérisation de la vie publique autour de la haine ou l’amour que suscitent les candidats (puis le titulaire du poste). Elle pousse la politique dans la voie du spectacle et du rêve au détriment de celle de l’action. Elle substitue le culte d’un homme au sens de l’engagement collectif. M. Pierre Mazeaud pense sans doute comme de Gaulle penserait aujourd’hui: l’élection présidentielle qui avait un but de prestige et d’autorité quand elle fut instaurée est devenue au fil du temps – 60 ans – un levier essentiel de l’impuissance, de la médiocrité et du déclin. Nul n’aura le courage de la remettre en cause, il ne faut pas compter là-dessus. Mais au moins en réduire les effets délétères, par exemple en revalorisant l’élection législative qui serait déconnectée de l’élection présidentielle et se traduirait donc par un rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement, le Premier ministre et l’occupant de l’Elysée. Cela, c’est très possible, sans même changer la Constitution. Et cela ne dépend que de nous, les électeurs.
MT