La place et le rôle du chef de l’Etat, voilà un sujet qui me passionne, auquel j’ai beaucoup réfléchi, enrichi par l’expérience de 4 ans et demi, comme conseiller à l’Elysée, et par d’innombrables lectures destinées à l’écriture d’un livre sur l’histoire des vingt-quatre présidents. L’idée n’est pas de livrer les clés de la réussite. Ce serait à la fois horriblement prétentieux et vain, mais de s’interroger sur les meilleurs moyens de ne pas échouer, garder l’estime des Français, faire au mieux ou au moins mal, dans une situation épouvantablement difficile. Voici quelques principes de bon sens:
- Tenir absolument ses engagements de campagne sur tous les points. On ne recule jamais, on ne plie pas, on respecte sa parole. Mieux vaut démissionner que renoncer à une réforme annoncée. Un contrat présidentiel est le socle d’un quinquennat, le déchirer revient à se condamner à l’échec et les Français ne pardonnent jamais ce genre de trahison. Mieux vaut réfléchir avant de se lancer sur des promesses qu’on ne pourra pas tenir et de cibler quelques propositions clés qui tiennent à l’avenir du pays, plutôt que de s’engager sur un long catalogue détaillé.
- Ne jamais se moquer des citoyens, manipuler ou dissimuler les chiffres, les informations, communiquer pour faire semblant d’agir ou lancer des réformes creuses destinées à donner le sentiment de l’action. Il existe un instinct populaire extrêmement affuté – ignoré de la classe dirigeante – par lequel les « gens » perçoivent aussitôt la manipulation ou la moquerie et ne la pardonnent jamais.
- Renoncer à toute forme de partialité. Il est scandaleux qu’un chef de l’Etat soit aussi un leader partisan. Il doit être le président de tous les Français, l’élu de la Nation. Cela ne l’empêche pas de faire des choix politiques, au sens noble du terme, dans l’intérêt national, mais il lui est interdit de favoriser tel ou tel camp, par exemple, comme le font tous les présidents depuis Mitterrand, d’inviter les parlementaires ou les leaders d’une majorité à l’Elysée. Le meilleur moyen de lutter contre les déchirements et les communautarismes est de donner soi-même l’image de l’unité.
- Ne jamais penser à la réélection: il est impardonnable de dévoyer un quinquennat en en faisant le tremplin d’une hypothétique réélection. Cela revient à détourner l’intérêt général au profit d’un intérêt de destin personnel et entrer dans un engrenage dramatique: toujours plus de démagogie et de manipulation. Un chef de l’Etat ne doit jamais chercher la popularité, ou vouloir être aimé, car tel est le meilleur moyen de se faire haïr et mépriser. Les citoyens le sentent parfaitement: d’où l’escalade de l’impopularité. J’approuve les candidats à la présidentielles qui se sont engagés à ne pas se représenter en 2022.
- Un devoir de modestie, de discrétion et de sobriété: rien n’est pire que le bavardage ou la gesticulation au sommet de l’Etat. L’une des premières vertus d’un président est d’inspirer la confiance, incarner la sagesse. Or, le silence et le mystère sont la source de toute forme d’autorité naturelle et du prestige. Le chef de l’Etat doit s’adresser aux Français deux ou trois fois par an, mais pas plus. Il ne doit pas fanfaronner à longueur de journée dans les médias et noyer le pays de paroles. Moins il apparaît dans les écrans de télévision, plus ses apparitions sont rassurantes. Moins il parle et plus sa parole est précieuse et écoutée.
- Respecter le domaine présidentiel: il est mensonger de laisser croire que dans un monde d’une infini complexité, un seul homme peut s’occuper de tout. Le chef de l’Etat est responsable de la politique internationale, des grandes options européennes, de la défense et du destin à long terme du pays, donc des grandes orientations et priorités de la nation. Il faut en finir avec l’illusion du président touche-à-tout. L’exercice de la présidence suppose du recul et de la hauteur, avant tout une vision de l’avenir.
- Savoir déléguer au maximum: le président de la République est le gardien de la Constitution. Il doit impérativement respecter son principe fondamental: le Premier ministre est le chef du gouvernement, responsable devant le Parlement. Il est seul comptable, sous la double tutelle du président et du Parlement, de la politique intérieure, de l’emploi, de la sécurité, etc. Il doit aussi en assumer les échecs. Le chef de l’Etat n’a pas le droit de se substituer au chef du Gouvernement et à ses ministres, par exemple en parlant à tout propos de l’emploi et de la vie gouvernementale dans les moindres détails, sinon, non seulement il trahit la Constitution mais il décourage le Premier ministre et les ministres de travailler et en outre, il entre dans l’engrenage fatal de l’impopularité. Le rôle du président est de nommer le Premier ministre, de lui confier une mission de deux ans, puis de le laisser assumer sa responsabilité avec la majorité parlementaire. Et lui rendre des comptes au bout de deux ans.
Voilà des idées toute simples, évidentes, presque des lapalissades, qui ont hélas peu de chance d’être comprises et surtout appliquées. Pourtant, je ne vois pas d’autre moyen d’éviter un nouveau désastre présidentiel entre 2017 et 2022, qui déboucherait alors sur l’arrivée au pouvoir de l’extrémisme de droite ou de gauche.
Maxime TANDONNET