Schengen et la force de l’histoire

sans-titreAprès le séisme européen auquel nous assistons, rien ne sera plus jamais comme avant. Le règlement européen du 15 mars 2006, ou code frontière Schengen, est en réalité un texte extrêmement contraignant pour les Etats. Dans l’hypothèse d’un afflux migratoire massif tel que celui qui vient de se produire, il n’autorise le rétablissement des contrôles frontières intérieures que sur la base d’une procédure précise, prévue à l’article 26. Cette mesure doit être impérativement autorisée au préalable par Bruxelles, le Conseil des ministres statuant sur une proposition de la Commission européenne:

« 1. Dans des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures et dans la mesure où ces circonstances représentent une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures ou sur des tronçons de cet espace, des contrôles aux frontières intérieures peuvent être réintroduits pour une durée n’excédant pas six mois. Cette durée peut être prolongée, trois fois au maximum, pour une nouvelle durée n’excédant pas six mois si les circonstances exceptionnelles persistent.

2.  Lorsqu’aucune autre mesure ne peut effectivement atténuer la menace grave constatée, le Conseil peut, en dernier recours et à titre de mesure de protection des intérêts communs au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, recommander à un ou plusieurs États membres de décider de réintroduire le contrôle aux frontières à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci. La recommandation du Conseil se fonde sur une proposition de la Commission. Les États membres peuvent demander à la Commission de présenter une telle proposition de recommandation au Conseil. »

Face à l’urgence, poussés par l’événement, les Etats, à commencer par l’Allemagne, ont bafoué cette disposition en réinstaurant de manière spectaculaire leurs contrôles aux frontières intérieures européennes, sans tenir compte de cette procédure et en l’absence de tout accord préalable de Bruxelles. Face à la force de l’histoire, les constructions humaines, les plus tatillonnes, les plus bureaucratiques volent comme des fétus de paille. Charles Péguy écrit dans Clio: « C’est ici le plus grand mystère peut-être de l’événement, mon ami, c’est ici proprement le mystère et le mécanisme même de l’évènement, historique, le secret de ma force, mon ami, le secret de la force du temps, le secret temporel mystérieux, le secret historique mystérieux, le mécanisme même temporel, historique, la mécanique démontée, le secret de la force de l’histoire, le secret de ma force et de ma domination… » Les dirigeants politiques et les eurocrates n’ont pas lu Péguy. Ils ne connaissent pas l’histoire, sauf exception, n’en ont sans doute pas la moindre idée. Ils fonctionnent au jour le jour, le nez dans leurs règlements, noyés dans leurs dogmes, leurs routines  et leurs procédures, sans la moindre idée de ce grand monstre tragique qui sort parfois de sa torpeur, l’histoire, et alors emporte tout sur son passage. Ils se réveillent alors dans la panique et l’improvisation. L’histoire est une force que l’on ne dompte pas, n’apprivoise pas. Encore faut-il cesser de l’ignorer, de vivre comme si elle n’était qu’une grande endormie, la connaître et la sentir pour l’anticiper au mieux et tenter d’en canaliser la violence en évitant de s’enfermer dans des logiques débiles à l’image de cet article 26.

Maxime TANDONNET

Author: Redaction