Objet de ma dernière lecture – Saint Just, Bernard Vinot, Fayard 1983 – Ce personnage qui fut l’un des chefs de la Convention, proche de Robespierre, réputé d’une exceptionnelle beauté et guillotiné à 26 ans, mérite un billet de réflexion. Il me semble en effet emblématique des contradictions d’un monde contemporain, partagé entre le culte du bonheur et la banalisation de la terreur. Issu d’une famille bourgeoise, orphelin d’un père militaire, il grandit à Blérancourt, dans l’Aisne, en révolte contre l’institution religieuse où il est placé à Soisson et son milieu d’origine à la suite d’une déception sentimentale. Fugueur, incarcéré pendant six mois à Paris à la demande de sa mère, il néglige ses études de droit et obtient son titre d’avocat à Reims dans des conditions douteuses. Convaincu de sa vocation littéraire, il se fait connaître par la publication d’un ouvrage médiocre à michemin entre la satyre politique et l’oeuvre pornographique: Organt. Installé dans sa ville d’origine, il se spécialise dans la défense des petits paysans contre les nobles et constitue ainsi un réseau étendu et efficace. Elu de la Convention le 20 septembre 1792, il s’impose pendant l’hiver, au côté de Maximilien Robespierre, comme l’orateur le plus déterminé à obtenir la mort de Louis XVI: "Il n’y a pas loin de la grâce du tyran à la grâce de la tyrannie!" Membre du comité de salut public à partir de juin 1793, il devient ainsi, au côté de son mentor, de Couthon, Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, Carnot, l’un des principaux dirigeants du pays dans la répression des opposants à la révolution et la conduite de la guerre contre l’Europe coalisée. Saint Just exprime une mystérieuse alchimie, entre quête utopique du bien absolu et cruauté infinie, noyau de tout l’esprit totalitaire : "que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français; que cet exemple fructifie sur la terre; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe". Mais en parallèle, il prend part à l’inspiration du décret du 22 Prairial an II, qui ouvre la voie à la grande Terreur: une dénonciation de sympathie contre révolutionnaire ou simple soupçon peut valoir l’échafaud, sans avocat ni droit à la défense. Lui-même encourage un maximum d’exécutions capitales, veille personnellement à l’efficacité du Tribunal révolutionnaire et à la composition des "charrettes, s’oppose à toute mesure de clémence (par exemple à l’égard d’un handicapé mental accusé d’avoir crié "vive le roi"), s’attache à l’efficacité de la répression dans son département d’origine et récompense les délateurs en leur distribuant les biens des victimes. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes (un tiers) montent à la guillotine. Quand il est conduit à son tour à l’échafaud au côté de Robespierre, le 10 Thermidor, dans une atmosphère de soulagement et de liesse, Saint Just apparaît à l’époque comme l’un des grands perdants de la Révolution. Ne vient-il pas cependant, à travers son énigmatique personnage, à la fois ange et démon, d’ouvrir une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité, celle de l’angélisme sanguinaire?
Maxime TANDONNET