La légitimité est une notion distincte de celle de légalité. Légalité veut dire conforme au droit en vigueur, à la loi. La légitimité est un concept différent. Elle exprime le fait qu’une autorité est reconnue comme fondée. En démocratie, elle signifie que tel dirigeant ou telle assemblée est généralement (par le plus grand nombre) considérée comme effectivement représentatif de la communauté politique ou nationale, et à ce titre, dispose de l’autorité morale ou de la confiance, nécessaire pour exercer sa mission. A propos des manifestation d’hier contre les retraites, le discours politico-médiatique répète sur un ton consensuel que la légitimité démocratique, du chef de l’Etat, du gouvernement et du parlement, prévaut sur les sondages et la « rue ». Qu’en est-il vraiment?
Certes mettre en cause la légalité de l’élection de dirigeants politique se présente comme une accusation extrêmement grave portant un doute sur la régularité des opérations électorales. Ici, il n’en est évidemment pas question. En revanche, rien n’interdit de contester leur légitimité – c’est-à-dire leur représentativité démocratique réelle telle qu’elle est ressentie dans le pays – au regard notamment de la manière dont ils ont été élus et dont ils se comportent.
Nous savons dans quelles conditions l’occupant actuel de l’Elysée a été élu. Cette élection s’est déroulée sans campagne, sans le moindre débat de fond, entre les terreurs covidesques et le déclenchement de la guerre d’Ukraine. L’élection présidentielle s’est faite par défaut, essentiellement motivée par les peurs et la crainte de voir M. Mélenchon ou Mme LP parvenir à l’Elysée, et en aucun cas par adhésion à un projet qui n’existait pas. Il est vraisemblable que l’élection de M. Macron au 1er comme au 2d tour, s’est jouée sur un choix fermé de personnes ou pour tout dire, que la plupart des électeurs ont vécu comme n’ayant pas vraiment de choix.
Certes à un moment de la campagne, pour couper l’herbe sous le pied de la candidate de droite, le candidat-président a annoncé un report de l’âge de la retraite à 65 ans (tandis que quelques mois auparavant, il fustigeait cette mesure comme hypocrite). Mais il est totalement abusif et mensonger d’affirmer que les électeurs (globalement) avaient cette mesure à l’esprit quand ils ont voté, en fonction d’un contexte global extrêmement anxiogène. Qui l’a oublié?
Quant aux législatives qui ont suivi, elles soulèvent aussi la question de leur légitimité. Quelle est la légitimité réelle (la représentativité) d’une Chambre élue avec seulement 46% de participation? Peut-on parler de démocratie – le pouvoir du peuple – quand nettement plus de la moitié de ce peuple, une majorité absolue, décide de de ne pas cautionner par son vote le pouvoir de cette assemblée? Mais il y a mieux: quel unique message est ressorti du déroulement et des résultats du scrutin législatif ? Que les votants (ou non abstentionnistes…) ont voulu dire clairement, sans la moindre ambiguïté, qu’ils refusaient au président une majorité absolue pour imposer verticalement des réformes – notamment les fameux 65 ans.
Ainsi, le système politique tel qu’il fonctionne aujourd’hui (personnalisation outrancière au détriment des idées, abstentionnisme gigantesque) soulève un authentique problème de légitimité démocratique. Si les sondages qui montrent que les ¾ des Français et les 4/5e des actifs sont hostiles à cette réforme, si les manifestations prennent une telle importance dans le débat, c’est parce que la nature a horreur du vide. C’est parce que la démocratie française telle qu’elle s’exprime dans les urnes, à la présidentielle et aux législatives, est en crise profonde que d’autres formes d’expression de la volonté populaire (sondages et manifestations) prennent une place laissée vacante. C’est pourquoi aujourd’hui, il est parfaitement vain d’opposer les institutions « à la rue » et aux sondages. C’est parce que la légitimité formelle est à l’agonie que d’autres sources de légitimité s’affirment et rien n’est plus inévitable.
MT