Les quinquennats se suivent et se ressemblent à certains égards. L’étape des « Cent jours » qui survient vers le 15 août est toujours le moment du premier bilan, généralement dominé par le désenchantement après « l’état de grâce. » 2017 ne faillit pas à la règle, au vu des derniers sondages.
Cette tradition remonte aux Cent jours de Napoléon. Elle fait référence à la brève période de trois mois au pouvoir de l’Empereur qui suit son évasion de l’île d’Elbe le 20 mars 1815. Ces événements, du « vol de l’Aigle » jusqu’à l’abdication définitive, sont au cœur de la légende napoléonienne.
Le rituel des Cent jours pourrait donner lieu à une réflexion sur un phénomène clé de la vie politique française : le culte de la personnalité. Il avait atteint son paroxysme sous l’Empire napoléonien autour du mythe du sauveur. Mais par un formidable paradoxe, il semble avoir traversé les siècles, les guerres, les révolutions et les crises, pour s’imposer aujourd’hui au cœur de la « politique spectacle » contemporaine.
Aujourd’hui, le culte de la personnalité, autrement dit le « présidentialisme », attisé par la médiatisation, n’est pas seulement un mode de fonctionnement du pouvoir. Il est, dans la France du XXIe siècle, une véritable idéologie, un système d’idées destiné à légitimer le pouvoir en place. Cette idéologie procède de « l’ère du vide »: la personnalisation à outrance recèle l’absence de projet collectif et d’un destin commun à bâtir. Elle se développe sur les ruines de la politique, au sens noble du terme, le gouvernement de la cité, la capacité à agir, choisir, décider, gouverner la Nation.
Comme masque d’un néant collectif, elle consiste à sublimer un personnage, le président, à le désigner comme l’incarnation unique du pouvoir d’Etat, étouffant dans son reflet médiatique toute autre source de responsabilité publique, le gouvernement, les ministres, le Parlement, les collectivités territoriales, la Nation. Fondé sur l’émotion – d’amour ou de haine – qui entoure un visage, le culte de la personnalité donne prise à toutes les manipulations possibles : idolâtrie d’un jour, lynchage du lendemain. Cette idéologie repose sur des bases précaires. Il suffit d’un faux pas, pour que l’adulation bascule dans l’exécration.
Contrairement aux apparences qui entourent la notion de chef, elle est foncièrement inefficace et contraire au principe d’autorité. Le culte de l’image personnelle, dans le monde moderne, est incompatible avec le risque de la décision, de l’action authentique et de la transgression parfois nécessaire. L’obsession du paraître étouffe le faire.
La personnalisation du pouvoir est aussi vivace aujourd’hui qu’il y a deux siècles, mais elle a changé de signification. Napoléon incarnait la puissance, avant de faire naufrage. Nos présidents surmédiatisés du XXIe siècle incarnent au contraire l’impuissance et l’impopularité.
Est-il possible de rompre avec cette logique, cette idéologie ? La France aurait tout intérêt à redécouvrir un autre message issu lui aussi de sa tradition historique, celui des grands républicains, les Ferry, Gambetta, Waldeck Rousseau, Millerand, Poincaré, etc., qui tenaient en horreur la personnalisation narcissique du pouvoir, considérée comme une réminiscence monarchique ou impériale de mauvais goût. La politique, chez eux, n’avait pas de sens en dehors de l’intérêt général, le destin de la cité, l’action et les choix de gouvernement. Ils apparaissaient au grand jour, certes, en tant qu’auteurs de décisions issues d’un travail d’équipe, dont ils assumaient la responsabilité individuelle et collective, mais seulement le temps nécessaire, sans mégalomanie ni prétention de « leur trace dans l’histoire ».
Leur modèle n’est sans doute pas transposable tel quel dans la France moderne. Mais il devrait au moins servir de référence et de contrepoids à l’obsession narcissique qui a, depuis trop longtemps, envahi la politique et les médias français au détriment de l’intérêt public.
Maxime TANDONNET