Réfléchir aux représentations des « mauvaises filles »

A l'occasion de la parution de ce beau livre aux éditions Textuel, Véronique BLANCHARD, responsable du Centre d'exposition "Enfants en Justice", co-auteure de l'ouvrage "Mauvaises filles : Incorrigibles et rebelles", revient sur son parcours et raconte avec passion la genèse et la construction du projet.
Véronique BLANCHARD © DPJJ/SCoREQuel est votre parcours ?

Véronique BLANCHARD ©DPJJ/SCoREJe suis d’abord une historienne. J’ai étudié l’Histoire à l’Université Paris IV avant de décider de devenir journaliste. J’ai fait des stages puis des piges dans des journaux féminins et dans de grands quotidiens mais cela ne me correspondait pas absolument. J’ai donc décidé de me diriger vers l’édition. J’ai travaillé pour une maison d’édition d’art. Mais à 25 ans je me suis rendue compte que ce n’était pas vraiment ce qui me convenait et que j’étais en fait beaucoup plus intéressée par les questions liées à l’adolescence et aux problématiques sociales. J’ai alors cherché quel métier pourrait me permettre d’être au plus près de mes préoccupations. C’est comme cela que j’ai découvert la PJJ. J’ai passé le concours d’éducatrice et ai ensuite travaillé en milieu ouvert, en foyer, en insertion, essentiellement en Seine-Saint-Denis et dans le Val-d’Oise. Au bout de dix ans de pratique, j’ai eu envie de revenir vers l’Histoire et je me suis réinscrite en Master II pour poursuivre un travail de recherche sur l’histoire des filles débuté lors de mes précédentes études. J’ai continué à allier la pratique en tant qu’éducatrice et la recherche dans les archives ce qui m’a permis de décrocher, en 2005, le poste de responsable du Centre d’exposition « Enfants en Justice » de Savigny-sur-Orge.

Comment est née l’idée de ce livre ?

Le projet a été initié suite à l’exposition « Mauvaises filles – déviantes et délinquantes – 19/21e siècles » qui a été produite principalement par l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) en 2015 et dont j’étais commissaire. Les éditions Textuel ont beaucoup apprécié l’exposition et m’ont proposé de faire un livre sur le sujet. J’ai souhaité que cet ouvrage soit rédigé à quatre mains et ai donc invité David NIGET* qui était aussi investi dans l’aventure de l’exposition à travailler avec moi. Notre collaboration a été très agréable et riche. Le livre doit beaucoup à l’exposition qui a été portée par l’ENPJJ et des partenaires universitaires et associatifs. Sans elle et sans le travail de son comité scientifique, ce beau livre n’existerait pas. On a en effet travaillé avec des experts de la thématique, des historiens, des sociologues, des anciennes éducatrices et d’anciens éducateurs. Ce sont ces échanges qui ont permis de trouver .l’idée des portraits sur laquelle est construit le livre et qui est l’une de ses richesses.

Comment ces portraits de jeunes filles ont-ils été dressés ?

L’idée de ses portraits composites figurait déjà dans l’exposition et avait provoqué un vrai enthousiasme. Camille, Valérie, Virginie, Lili... pour tous ces portraits, la première écriture a donc été celle menée par les historiens, les sociologues et les praticiens du comité scientifique. Pour le livre, tout notre travail avec David a été de réécrire certains portraits, d’en créer de nouveaux et de resituer ces jeunes filles dans des thématiques, dans des normes et dans des lieux traversés : des lieux de sociabilité, la rue mais aussi les lieux de la répression (Bon Pasteur, prison, asile). Ensuite, nous avons effectué une énorme recherche autour de l’iconographie en collaboration avec les éditions Textuels. Le livre contient plus de deux cents documents : des images inédites et des documents d’archives rares.

À partir de quelles archives avez-vous travaillé ?

Les archives écrites sont pour l’essentiel des sources judiciaires. Elles proviennent soit des tribunaux pour enfants soit des lieux d’enfermement des filles. Il y a également beaucoup d’archives de presse et d’archives du ministère de la Justice dont les photos d’Henri Manuel sur les écoles de préservation conservées au sein de la bibliothèque de recherche de l'ENPJJ. Nous avons également travaillé à partir de quelques archives privées.

Qu’est-ce qu’une « mauvaise fille » ?

L’idée n’est vraiment pas définir les « mauvaises filles » mais de réfléchir à leurs représentations à travers le temps. On n’est pas la même « mauvaise fille » au 19e, au 20e et au 21e siècle. Tout dépend du regard que l’on pose sur elle. Une mauvaise fille est toujours définie en comparaison de ce qu’est une « bonne fille » c’est-à-dire de ce que l’on attend d’une fille. Avec ce livre, nous avons aussi voulu montrer qu’il n’y a pas une mauvaise fille mais qu’il y en a plusieurs et qu’elles ne sont jamais équivalentes aux « mauvais garçons ». Nous ne voulons ni les héroïser, ni les victimiser. Elles ne sont pas que victimes, elles sont complexité et bien souvent éprises de liberté, d’émancipation et de désir de vivre.

Qu’apprend-on sur le traitement qui leur était réservé ?

À quel point il fallait "s’en protéger et les protéger" comme l’explique l’historienne Michelle PERROT, préfacière du livre. Ce double langage est extrêmement pertinent sur toute la période. La majorité des interventions autour des jeunes filles consistait à les enfermer pour s’en protéger parce qu’elles pouvaient être perçues comme une menace pour l’ordre social et, en même temps, il s’agissait bien de les protéger d’elles-mêmes parce qu’elles pouvaient être considérées comme faibles, agies par le corps, par leurs pulsions. Ce qui était perçu comme normal pour les garçons ne l’était pas pour les filles aux périodes dont il est question.

Est-ce un livre féministe ?

Oui. Le féminisme est pour moi une notion positive, pas synonyme de violence, d’agressivité ou d’intolérance. Le féminisme se doit d’être universel. Il est l’affaire de tous. Être féministe c’est juste défendre une place égale des femmes vis-à-vis des hommes.

 

*David NIGETest maître de conférences en histoire à l’université d’Angers. Ses travaux portent sur l’histoire de la jeunesse et de la justice en Europe et en Amérique du Nord. Il est membre du comité de rédaction de la Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière ».

 

« Mauvaises filles : Incorrigibles et rebelles », Véronique BLANCHARD, David NIGET, éditions Textuels, 192 pages, 39 euros.

Préface de Michelle PERROT et postface de Coline CARDI

"Mauvaises filles : Incorrigibles et rebelles""Emprisonnées, infantilisées, médicalisées pour les faire se tenir tranquilles. Voici 20 portraits de jeunes filles qui sortent du cadre. Si les "mauvais garçons" ont leurs héros, de Gavroche à Joey Starr en passant par James Dean, les "mauvaises filles" sont les invisibles de l’histoire. Dans cet ouvrage, Véronique BLANCHARD et David NIGET dévoilent ces ombres fugaces qui surgissent au détour d’archives médicales ou judiciaires : "vagabonde", "hystérique", "fille-mère", "prostituée", "fugueuse", "cheffe de bande", "punk", "crapuleuse"…

Par le biais d’une vingtaine de portraits incarnés de "mauvaises filles" jugées immorales, de 1840 aux années 2000, ils rendent un visage et une histoire à ces destins orageux. Ils cartographient les lieux qu’elles traversent ou qui les enferment – lieux de perdition (fête foraine, guinguette, bal), de coercition (internat, couvent, prison, asile), de soumission (maison close, foyer familial).

Étouffées et contraintes depuis des décennies par le poids des normes juridiques, religieuses, médicales, familiales, ces mineures « incorrigibles et rebelles » ont néanmoins fini, par leurs résistances, par devenir des actrices du changement social, culturel et politique.

Alors, déviantes ou dissidentes?"

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A noter que l’exposition « Mauvaises filles. Déviantes et délinquantes, 19-21e siècles » est présentée aux Archives départementales du Nord (Lille) jusqu’au 16 décembre 2016.  Plus d'info

 

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Author: Redaction