Comme l’histoire l’a souvent prouvé, chaque nouveau conflit apporte son lot d’innovations. Les opérations aériennes contre la Libye — opération Harmattan pour la France et opération Unified Protector pour l’OTAN conduite suite à la résolution 1973 de l’Onu — en sont un des exemples les plus récents, épisode qui a mis en avant les performances insoupçonnées d’une nouvelle munition française, l’AASM (ou Armement Air-Sol Modulaire) HAMMER mis au point et produit par Sagem.
Utilisée discrètement pour la première fois en combat par l’Armée de l’air au-dessus de l’Afghanistan au printemps de 2008 dans sa version 250 kg, l’AASM fait aujourd’hui partie intégrante de la panoplie de combat du chasseur omnirole Dassault Rafale F3. Pièce essentielle de l’armement tactique air-sol de l’aviation de combat française — de l’Armée de l’air comme de l’Aéronautique navale —, l’AASM a également été choisi par l’Armée de l’air royale marocaine dans le cadre de la revalorisation en cours de sa flotte de Mirage F1. C’est une arme à moyenne portée qui se joue de la nuit et des conditions météorologiques difficiles, ce qui n’est pas le cas des bombes guidées laser courantes dont le guidage balistique se fait à proximité des menaces sol-air et est, de surcroît, susceptible d’être rendu difficile voire impossible par un manteau de nuages ou un rideau de pluie. Déjà commandé par la France à près de 1500 exemplaires en version 250 kg, l’AASM est une bombe propulsée à guidage terminal capable d’atteindre avec une précision quasi chirurgicale des cibles distantes de plus de 60 km, c’est-à-dire qu’elle peut être tirée par un Rafale ou un Mirage à une distance de sécurité confortable qui n’expose pas son vecteur aux moyens de défense sol-air ennemis — en anglais, on parle dans ce cas d’armes “stand-off”. Sa singularité est d’être aussi un armement modulaire parfaitement autonome et imbrouillable qui va résolument vers sa cible, une fois les coordonnées géographiques de celle-ci rentrées manuellement par le pilote sur son calculateur interne. Le pointage final peut également être modifié au besoin pour atteindre des objectifs mouvants à partir de versions plus évoluées de l’AASM (actuellement en cours de validation finale). Arme de type “fire and forget” (tire et oublie), l’AASM pourrait être qualifiée, à juste titre, de véritable missile air-sol, ne serait qu’en raison de ses performances exceptionnelles qui en font un système tout à fait unique à l’heure actuelle.
L’AASM actuel fait partie d’une famille de munitions de précision déclinées en bombes ne se différenciant que par leur masse et leur mode de guidage terminal respectifs et par la taille de leur partie arrière contenant un propulseur fusée et quatre ailettes déployables au moment du largage. Baptisée “Hammer” (pour Highly Agile Modular Munition Extended Range), cette famille se compose de munitions dotées d’un corps de 125 kg, de 250 kg, de 500 kg ou bien de 1000 kg, cette dernière étant surnommée « bunker buster » puisqu’elle est capable de pénétrer des redoutes en béton armé de plusieurs mètres d’épaisseur.
Actuellement, l’arme standard d’utilisation courante est l’AASM en version SBU-38 à guidage hybride inertiel recalé par GPS. Il existe aussi la version SBU-54, qui combine le guidage inertiel (INS) avec le recalage GPS et la détection terminale par imageur infrarouge (IIR), et enfin la version SBU-64 qui associe INS/GPS au guidage laser en phase terminale, ceci afin de pouvoir frapper des cibles mobiles ou plus fugaces.
Le mode d’attaque final très particulier de l’AASM permet d’employer cette munition dans des conditions parfaitement impossibles aux bombes guidées laser traditionnelles, puisque l’AASM aborde sa cible en coordonnées géographiques pures avec un angle de quasi 90°, c’est-à-dire à la verticale, ce qui lui permet d’atteindre, par exemple, un char protégé derrière un merlon de sable ou une restanque en béton, voire un objectif dans une ruelle ou une tranchée.
Toutes les bombes utilisées en combat par l’aviation française — soit un peu plus d’une centaine à ce jour — sont du modèle SBU-38 INS – GPS avec kit de guidage de base utilisant trois gyroscopes inertiels dont les impulsions directionnelles sont gérées par un filtre de Kalman et recalées en temps réel par un récepteur GPS (Global Positioning System) de qualité militaire. Outil d’aide à la précision, un filtre de Kalman peut se résumer à un faisceau d’algorythmes mathématiques réunis sous la forme d’un dispositif électronique à réponse impulsionnelle infinie qui estime les divers états d’un système dynamique, à partir d’une série de mesures incomplètes ou brouillées. Les ingénieurs de Sagem ont particulièrement travaillé cette question, de telle sorte que la trajectoire de vol de l’AASM est lissée en permanence et recalculée selon une course prédictive qui lui permet d’atteindre une précision finale (ou erreur probable à l’impact) de quelques mètres. Et cela au bout d’un vol d’une cinquantaine, voire de soixante à septante kilomètres, comme cela a été démontré sur le théâtre d’opérations libyen ces dernières semaines !
Pour faire encore mieux sur le registre de la précision, Sagem a mis au point et valide actuellement les versions de l’AASM qui s’affranchissent des erreurs de coordonnées de la cible, soit la SBU-54 complétée par un mode imagerie infrarouge capable de reconnaître une cible fixe préalablement enregistrée dans sa mémoire interne et la SBU-64 utilisant un mode de ralliement terminal sur tache laser lui permettant de détruire des cibles mobiles au sol (un essai à démontré l’efficacité de cette version face à une cible évoluant à 80 km/h) avec une très grande précision, évaluée ce coup-ci à moins d’un mètre !
Le Rafale équipé de MICA et de HAMMER démontre sur le théâtre Libyen une souplesse d’utilisation qui dépasse les espérances des opérationnels. En effet le système d’arme est « swing rôle » comme prévu entre les missions air-air et air-sol, mais la configuration 4 MICA + 6 Hammer lui donne la possibilité de « Swing rôle » entre les différentes missions air-sol. Une patrouille « taskée » dans cette configuration pour une mission préparée de BAI (battle air interdiction) peut en vol changer de mission air-sol pour faire du « dynamic targeting » sur des objectifs de type très différents, tels des sites sol-air ou des blindés arrivant au contact sans le souci des conditions météos.
Laissons la parole aux aviateurs de l’Armée de l’air et de la Marine qui utilisent quotidiennement l’AASM SBU-38 à côté de la bombe guidée laser GBU-12 Paveway — la bombe de 250 kg standard utilisée par les aviations de l’OTAN. « Sur le théâtre d’opération libyen, dès qu’il y a un soupçon de présence de défenses sol-air, et comme celles-ci sont toujours diffuses en Libye, nous retirons les Paveway pour configurer les Rafale en AASM, car cette arme nous donne la capacité d’engager efficacement l’adversaire, hors de ses défenses sol-air, ses « SAM rings » mortels », nous déclare le commandant P. très satisfait du comportement de sa nouvelle arme. « En mode TST (Time Sensitive Targeting), la portée de l’AASM nous permet, de plus, de frapper une cible sans être repéré depuis le sol, comme ce peut être le cas dans le combat asymétrique. Et un seul Rafale peut emporter jusqu’à six AASM. Toutes ces caractéristiques sont donc très intéressantes pour nous. De plus, comme on peut tirer nos armements de plus loin que les Paveway sans avoir à effectuer de manœuvres d’approche, au final, nous économisons notre carburant. Et en mission de combat, le carburant est toujours compté ! » ajoute le commandant P. « Le guidage de l’AASM s’effectue de manière autonome après le largage, une fois obtenues les coordonnées de la cible, qu’elles aient été rentrées en mémoire avant le départ en mission ou au dernier moment en vol. En mode TST, les coordonnées des cibles sont généralement fournies par les moyens optroniques du Rafale, l’OSF, ou bien le pod Damoclès. Pour l’emploi de l’AASM SBU-38, le Damoclès doit être considéré comme un très intéressant capteur d’extraction de coordonnées. Depuis le cockpit, nous pouvons aussi déterminer l’angle d’arrivée sur la cible. En vingt ans, la guerre a complètement changé de nature : l’ennemi est diffus et les risques de dommages collatéraux sont une de nos préoccupations. Il nous faut donc de nouveaux moyens, pour être discret, et pouvoir traiter plusieurs cibles simultanément. C’est dans tous cela que réside l’intérêt de l’AASM pour cette opération en Libye, pouvoir être utilisé en combat symétrique comme dans les situations de guérilla et les situations asymétriques. »
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