Depuis le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltram, le mot « héros » est au cœur de l’actualité, de tous les éditoriaux et des commentaires médiatiques. Donner sa vie pour sauver un inconnu est la quintessence d’un héroïsme à connotation chrétienne, de celui qui accomplit le sacrifice suprême pour sauver celle de l’autre, et à travers lui, l’humanité. Les héros, dans le sens le plus authentique du terme, ne sont pas légion dans l’histoire contemporaine. Ce mot renvoie naturellement à la mémoire des résistants qui donnent leur vie pour la libération de millions de compatriotes, et au premier d’entre eux, fusillé par la Wehrmacht à 41 ans, un autre militaire, un marin, Honoré d’Estienne d’Orves. Le geste du lieutenant colonel renvoie inévitablement à une autre image, celle de saint Maximilien Kolbe, prêtre polonais exécuté par les nazis à Auschwitz après avoir pris la place d’un otage père de famille.
Le frère d’Arnaud Beltram a trouvé les mots justes: « Je pense que ce qu’il a fait va au-delà de l’engagement de son métier. Il est parti en héros. Il a donné sa vie pour un inconnu, il savait qu’il n’avait pratiquement aucune chance. Il a quand même été très conscient de ce qu’il faisait, il a gardé ses réflexes, notamment en laissant allumé son téléphone. (…) Si on ne le qualifie pas de héros je sais pas ce qu’il faut faire pour être un héros. Il n’a pas hésité une seconde, il a fait ce qu’il fallait. Grâce à lui, on a sauvé de très nombreuses vies. » La mère de l’officier a eu des paroles bouleversantes : « Je savais que c’était forcément lui. Il a toujours été comme ça. C’est quelqu’un qui, depuis qu’il est né, fait tout pour la patrie. C’est sa raison de vivre, défendre la patrie. Il me dirait : « Je fais mon travail maman, c’est tout. » Cela fait partie de sa façon d’être. »
Les échos de la presse ne reflètent sans doute que partiellement l’émotion qui étreint le pays depuis trois jours. Tout un pays est bouleversé, comme il l’a rarement été, par le sacrifice du lieutenant colonel. Arnaud Beltram a donné sa vie pour des inconnus; mais combien d’inconnus, dans les foyers de la France dite d’en bas, la majorité silencieuse, dans les villes, les banlieues, les campagnes, n’ont pas pu retenir leurs larmes en apprenant la nouvelle de sa mort? Cette émotion collective est impossible à mesurer, mais chacun sent bien à quel point la secousse est profonde et la France ébranlée.
L’acte d’héroïsme d’Arnaud Beltram intervient comme un miroir inversé de la société française visible, médiatique, officielle. Les valeurs qu’il exprime sont à l’inverse de l’air du temps dominant. Son sacrifice, au paroxysme du don de soi et du courage absolu, contraste étrangement avec le spectacle quotidien que donne la France supposée « d’en haut »: naufrage dans l’égoïsme, dans le cynisme, la course à l’argent facile ou à la notoriété médiatique, le mépris des gens, l’individualisme absolu, la dictature de la vanité obsessionnelle, la lâcheté de ceux qui tournent les yeux face à la violence, l’indifférence, le culte de la délation, du lynchage médiatique et de la calomnie… Le geste du lieutenant colonel exprime l’humilité du don de soi opposé à l’exubérance narcissique qui s’est emparée des esprits.
La France est un aujourd’hui un pays plongé dans le chaos, privé de repères, comme déboussolée. Elle ne voit son salut et son avenir nulle part. Une méfiance généralisée s’est emparée des esprits. Elle en croit plus en rien. La parole politique est décrédibilisée, tout autant que celle des experts et des intellectuels. Les Français n’espèrent plus rien de leur démocratie – d’où l’abstention –, ne croient plus en l’impartialité de la justice et rejettent les personnalités politiques nationales (enquête CEVIPOF janvier 2018). Les événements de ces trois dernières années, l’incapacité des gouvernements face à la crise migratoire et la vague du terrorisme islamiste qui a ensanglanté le pays, ont jeté une ombre sinistre sur l’avenir.
Dans ce contexte lugubre et infiniment délétère, que seuls les imbéciles ne veulent ou ne peuvent pas voir, le sacrifice du lieutenant-colonel se présente comme un message d’espoir, à l’image des dernières paroles des Résistants fusillés par les nazis. Nous pouvions légitiment en douter, mais nous le savons maintenant: l’héroïsme, le sens du devoir et du sacrifice, exactement le même que celui des héros de l’histoire, est toujours vivant, comme une ultime braise, enfouie sous les cendres de la médiocrité, mais prête à rejaillir et à redonner un sens aux mots vie, espérance, destin…
Maxime TANDONNET