Ci-dessous, ma tribune publiée par le Figaro du 2 juin.
Les « affaires » et l’exemplarité des hommes politiques tournent à l’obsession et étouffent toutes les autres questions. Dans une sorte de roulement continu, les scandales s’enchaînent les uns aux autres, écrasant la vie publique. Depuis 2011, une tornade sans fin de mises en cause du comportement des dirigeants semble emporter la politique française : DSK, Cahuzac, Thévenoud, « Merci pour ce moment » et ses suites, Bygmalion… Les primaires de droite ont été dominées, fin 2016, par la quête de la vertu : « qui imagine de Gaulle mis en examen ?». Les présidentielles de 2017 ont été broyées par le « Fillongate ». Et puis aujourd’hui, à peine un mois après l’élection d’un nouveau président, voici le gouvernement empêtré dans une série de mises en cause personnelles qui de nouveau, embrase la sphère politico-médiatique. Jamais, dans toute l’histoire, l’ébranlement par les affaires d’une nouvelle équipe issue du suffrage universel ne fut aussi soudaine.
La quête de pureté des dirigeants politiques semble écraser tout débat d’idées, et toute autre préoccupation. La France, en deux ans a été ensanglantée par le terrorisme. Le pays compte toujours 3,5 à 5,5 millions de chômeurs. Il est déchiré par l’exclusion, la crise des cités sensibles et de l’éducation nationale, la violence quotidienne, le danger du communautarisme, la pauvreté. Il est confronté à une situation internationale chaotique, au retour de la guerre froide, au risque d’une déstabilisation du Moyen-Orient et de l’Afrique par le djihadisme. Cependant, la question de la probité des élites politiciennes l’emporte sur tout le reste, y compris des sujets vitaux pour l’avenir du pays.
L’exigence absolue d’honnêteté en politique, par-delà toute autre préoccupation, s’impose comme un phénomène récent. Sous la société traditionnelle les dirigeants avaient peine à distinguer leurs intérêts personnels et ceux de l’Etat. Mazarin, au XVIIe siècle, ne fit-il pas fortune en servant la monarchie française ? Sous la République française, jusqu’à présent, les drames politico-financiers ont été légion, mais ils ne furent pas rédhibitoires pour les carrières. Le scandale de Panama n’a pas empêché Emile Loubet de devenir président de la République ni Georges Clemenceau d’accomplir son destin d’homme d’Etat. L’épouvantable affaire Stavisky en 1934 a eu peu d’incidence sur la carrière de Camille Chautemps porté peu de temps après à la présidence du Conseil. En ne parlons pas de Laval, le « maquignon », mêlant sans vergogne ses fonctions politiques et ses affaires privées dans l’imprimerie et la presse. Plus récemment, en 1990, une loi du gouvernement Rocard décidait l’amnistie générale des infractions liées à la corruption. Qui peut imaginer un tel scénario aujourd’hui ?
L’exigence de pureté absolue qui caractérise la vie politico-médiatique française actuelle pourrait se rattacher à une référence historique : la politique de Robespierre, l’Incorruptible, pourchassant toute trace de corruption dans sa quête de la vertu.
Que traduit l’obsession actuelle de la perfection des mœurs politiques, même au-delà de la défense des fonds publics? Elle est dans la logique d’une évolution souterraine de la vie politique française qui donne le sentiment de s’éloigner chaque jour un peu plus du monde des réalités, de l’action, du gouvernement des choses, pour glisser dans le virtuel. Sous l’effet du spectacle médiatique, elle glisse subrepticement dans le culte de l’image, de la posture, du paraître au détriment du faire. Son objectif essentiel est de vendre du rêve, de l’apparence, de l’illusion. Depuis des décennies, tous les gouvernements sans exception échouent dans la confrontation avec la réalité : chômage, violence, désintégration sociale, déclin international. Dès lors, la politique s’enfuit dans une sphère peuplée d’émotions, de superstitions, de héros et de monstres, une bataille entre le mal et le bien. Elle engendre un univers où se font face des héros providentiels et des parias, victime du lynchage médiatique, dans un climat d’abêtissement général. A cet égard, la marche dans l’utopie rejoint Robespierre, la guillotine et les fleuves de sang en moins évidemment.
La quête de pureté absolue en politique est la conséquence directe de ce fantastique bouleversement. Dès lors que la vie publique devient une affaire de posture et d’image personnelle, au détriment des sujets de fond et de l’intérêt général de la Nation, cette image ne saurait être que parfaite. La politique tend ainsi vers l’obsession de la propreté, de la perfection et de la pureté de l’image personnelle. Or, rien n’est plus fragile que l’image médiatique et le basculement de la sainteté républicaine au bannissement public quasi instantané. En soi, cette évolution peut paraître aller dans le sens du progrès de la démocratie, et l’exigence d’honnêteté chez les dirigeants politiques est parfaitement légitime. Toutefois, par son caractère obsessionnel, cette évolution est préoccupante car elle fait oublier tout le reste, y compris les questions les plus cruciales pour l’avenir du pays.