La question se situe à plusieurs niveaux. Il est certain que cet incident n’aura pas de conséquences sur le noyau dur de ses sympathisants et des militants qui l’ont élu. Son attaque contre Darmanin et ses accusations envers le président Macron ne vont pas forcément déplaire à la droite qui le soutient et qui veut en découdre avec le pouvoir actuel. Au contraire, la virulence des critiques dont Wauquiez fait l’objet, y compris de la part de ses adversaires dans son propre camp, peut favoriser une réaction de solidarité autour de lui. Cependant, au-delà de ce cercle, l’impact de ses déclarations est plus complexe. Laurent Wauquiez s’est visiblement fait piéger dans des conditions qui surprennent pour un homme politique de son expérience. Ce faux-pas n’est pas favorable en termes d’image personnelle car il peut être interprété comme un signe de naïveté par rapport à l’état d’esprit dominant, qui fait peu de cas du respect de la parole donnée et du sens de l’honneur. De même, les attaques personnelles auxquelles il s’est livré ne donnent pas le sentiment de relever le niveau de la politique française. On reste dans les batailles de personnes et les conflits d’ego, bien éloignés des grandes préoccupations des Français : prélèvements obligatoires, pouvoir d’achat, immigration, sécurité, emploi. Pour l’image de M. Wauquiez, la séquence n’est pas franchement favorable.
- Beaucoup d’élus de LREM ou d’autres partis adversaires de LR ont dénoncé la « trumpisation » de Laurent Wauquiez, s’attaquant principalement au fond de ses déclarations. Ne manquent-il pas la vraie trumpisation, celle de « l’attitude », qui lui interdit notamment de s’excuser de ses propos, afin de ne surtout pas donner l’impression de céder à une pensée « politiquement correcte » ?
Oui, je suis bien d’accord. La suspicion envers M. Wauquiez d’avoir délibérément proféré ces propos en sachant qu’ils seraient enregistrés et largement diffusés ne résiste pas un instant à l’analyse. S’il l’avait fait exprès, il n’aurait sûrement pas porté une telle critique envers Nicolas Sarkozy dont il a dû s’excuser. Il est impossible de parler de « trumpisation » à ce niveau, c’est-à-dire d’une volonté délibérée de provoquer un tollé médiatique pour faire parler de lui. En revanche, par son refus de toute forme d’excuse et regret vis-à-vis de M. Darmanin et du chef de l’Etat, il envoie un message à l’opinion publique : fermeté, intransigeance, détermination dans le combat politique qui est engagé. Il refuse d’autant plus de s’excuser qu’il estime être victime de la diffusion de paroles qui n’avaient pas vocation à sortir d’un cercle restreint. Là, nous ne sommes pas au niveau du débat d’idées ni de la mis en cause du politiquement correct (sur les minorités, l’immigration, les frontières, etc.) Nous sommes plus dans une logique de pure politique politicienne, d’opposition envers une équipe et de conquête du pouvoir, de retour à la logique droite/gauche. .
3. Cette stratégie de la « trumpisation » formelle opérée par Laurent Wauquiez vous semble-t-elle stratégiquement viable ? N’est-elle pas inadaptée au système électoral français (notamment au deuxième tour) ? Peut-elle fonctionner après la restructuration de la vie politique opérée par l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République ?
Franchement, je suis assez sceptique à cet égard. Depuis 8 ans, les Français voient la vie politique qui ne cesse de sombrer dans les polémiques, les coups tordus, les petites phrases haineuses, les scandales retentissants et la fuite dans la posture. 83% des Français ont une image négative de la politique et ils ne sont que 9% à faire confiance aux partis (Cevipof janvier 2018). Le taux d’abstention a atteint 80% aux dernières élections partielles. Les Français ne supportent plus le grand spectacle politicien, le carriérisme obsessionnel, les batailles d’ego. Ils attendent de Laurent Wauquiez, et des hommes et femmes politiques en général qu’ils se penchent sur leurs difficultés, leurs souffrances et leurs préoccupations. Tel est le sens même de la démocratie : les responsables politiques sont les représentants de la nation à son service. Ils ne sont rien d’autre que des serviteurs du pays et ils ont un devoir d’exemplarité. L’impression de « cour de récréation » n’est pas de nature à réconcilier les Français avec leur classe politique. La première mission de l’opposition, que devrait aujourd’hui incarner M. Wauquiez, est de donner une autre image de la politique, tournée vers le seul bien commun et la préparation de l’avenir. Laurent Wauquiez a donné une excellente impression lors de son « Emission politique » sur France 2 par son sang-froid et sa maîtrise des sujets. Dans l’affaire de l’école de commerce de Lyon, il ne s’est pas montré à son avantage, sauf peut-être aux yeux de ses militants, mais ce n’est pas eux qu’il faut convaincre, c’est l’opinion dans son ensemble. Les élections sont encore loin. A lui de prouver qu’il saura tirer les leçons de cet incident.