Le fond de l’abîme politique n’est pas loin pour les personnes de ma catégorie, de sensibilité libérale (au sens d’ami de la liberté), gaullienne et modérée. Il faut le dire clairement : nous n’avons plus de parti politique, nous sommes des sans parti. Nous accordions, parfois du bout des lèvres, nos faveurs et nos votes à ladite droite LR. Celle-ci a sombré dans le désastre en 2017 avec le Fillongate, prise au piège d’un lynchage médiatico-judiciaire. Après 2017, elle aurait pu se rétablir grâce à son excellente implantation locale et une tradition historique ancienne qui fait d’elle l’héritière présumée de Clemenceau, Poincaré, Tardieu, de Gaulle et Pompidou.
Or, elle a sombré dans l’opportunisme. La première vague de ralliements au macronisme de 2017 l’a fortement ébranlée. Les transfuges se sont justifiés en prétendant que la nouvelle équipe au pouvoir reprenait les fondements de la politique préconisée par la « droite ». C’est un mensonge. Bien au contraire, elle n’a fait qu’amplifier les travers du socialisme à la française : invraisemblable gabegie financière et explosion de la dette publique, nivellement scolaire se traduisant par l’effondrement du niveau (mathématiques), poursuite de la désindustrialisation se traduisant par une augmentation vertigineuse du déficit extérieur, affaiblissement de la filière nucléaire, perte de la maîtrise des flux migratoires et aggravation de l’insécurité et de la violence.
Certes, le macronisme s’est efforcé de brouiller les cartes en superposant aux défauts classiques du socialisme à la française un affichage de culte outrancier de la personnalité, d’autoritarisme de façade (confinements, couvre-feu, désormais SNU obligatoire), une belle dose de mépris et de quête du bouc émissaire (le passe vaccinal destiné à « emmerder » les non-vaccinés). Politique de droite ? Sur un seul point peut-être – la fiscalité – mais largement illusoire car les impôts qui ne sont pas payés aujourd’hui le seront par les contribuables de demain auxquels incombera le remboursement d’une dette publique astronomique.
Dans ce contexte intervient la réforme de la retraite. Je l’ai dit et répété mille fois. La mesure emblématique de cette réforme, les 64 ans, est rigoureusement inutile compte tenu d’un nombre d’annuités de 43 ans et du dispositif destiné à éviter de pénaliser des personnes ayant cotisé avant l’âge de 21 ans (sauf quelques poches d’injustice non réglées). Aucun des plus fervents partisans de cette réforme et spécialistes du droit social n’a pu me démontrer factuellement le contraire. « Tout le monde sait qu’il faut travailler plus longtemps ! » est l’argument qu’ils répètent comme des perroquets, mais qui relève davantage de la langue de bois que de l’analyse concrète. Cette réforme est essentiellement politique et emblématique. Elle vise à satisfaire l’image de réformateur de l’occupant de l’Elysée.
En la soutenant, en apportant leur concours à une opération politique au service du chef de l’Etat, les chefs actuels de la droite LR poursuivent le mouvement amorcé depuis 2017 de glissement progressif vers le macronisme. Ils invoquent une logique d’image : « avoir l’air » (sic) fidèles aux programmes de droite prônant les 65 ans. Mais qu’est-ce qui les empêche de réfléchir et de porter un regard critique sur un programme qui a contribué à dix années de défaites nationales ? Et toujours la langue de bois pour ne pas avoir à répondre sur le fond de l’intérêt concret des 64 ans : « tout le monde sait bien qu’il faut travailler davantage ! »
A travers leur ralliement de fait à la majorité présidentielle sur ce dossier emblématique, ils poursuivent et achèvent une logique politicienne et opportuniste à l’œuvre chez LR depuis au moins 10 ans. En choisissant le camp présidentiel contre les quatre-cinquièmes de la Nation hostiles à cette (mauvaise) réforme, il est évident qu’il se condamnent à sombrer dans l’impopularité avec la majorité présidentielle. Ils se réclament de « l’intérêt national ». Mais leur connivence avec un pouvoir qui n’hésite pas à jeter encore, une fois de plus, le pays dans la déchirure, la violence, la paralysie, ne leur sera jamais pardonnée.
Mais, il y a bien plus grave (à mes yeux). Ils se sont imprégnés en profondeur de l’esprit du macronisme, fondé sur la conviction qu’une élite éclairée, jupitérienne, a vocation à faire le bien des gens contre leur gré, même envers l’évidence et le bon sens le plus élémentaire – tout en s’enfonçant dans la mauvaise foi quand on leur demande de s’expliquer sur l’intérêt réél des 64 ans. Voilà pourquoi, hostile à la gauche Nupes comme à la droite lepéniste ou autres droites nationalistes, et désormais profondément dégoûté par la droite LR qui a trahi ma confiance avec le mauvais goût de se moquer du monde, je me considère désormais (et tant d’autres) comme un sans parti, orphelin de tout espérance dans les mouvements politique existants.
MT