Hôtel de Matignon
Mardi 18 juin 2019
Seul le prononcé fait foi
La réforme de l’assurance chômage que nous vous présentons aujourd’hui avec Madame la ministre du Travail s’inscrit dans une grande ambition que nous portons depuis deux ans.
Cette ambition, c’est d’arriver au plein emploi, pas en une fois, pas en un jour, mais progressivement au plein emploi. Je pense à l’emploi durable, celui qui permet d’envisager le long terme avec confiance et sérénité. C’est possible. Un grand nombre de nos voisins européens qui sont, eux aussi, attachés à un très grand niveau de solidarité, y sont parvenus. Rien ne condamne la France au chômage de masse.
Je ne m’y résigne pas, et je m’y résigne d’autant moins que partout en France, dans toutes les régions, dans tous les secteurs, il existe des offres d’emploi qui ne trouvent pas preneurs, ce qui constitue, à mon sens, à la fois une absurdité et un appauvrissement collectif. Je l’ai dit la semaine dernière à l’occasion de ma déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, le chômage, c’est une angoisse, c’est une épreuve, c’est un combat de tous les jours pour celles et ceux qui y sont confrontés.
Vous savez les transformations que nous avons déjà lancées pour rénover notre modèle social : celle du droit du travail, d’abord, pour favoriser la création d’emplois en cassant la peur d’embaucher, et puis d’autre part celle des réformes de l’apprentissage et de la formation, pour miser sur les compétences qui sont les meilleures alliées d’un emploi durable. Augmenter le niveau de compétence, assouplir le droit quand c’est nécessaire, donner de la prévisibilité aux employeurs, tout cela nous semble de nature à concourir au retour du plein emploi. J’ajoute qu’avec le plan pauvreté, nous avons considéré que l’insertion passait d’abord par le travail et nous avons engagé une réforme en profondeur de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Je le dis et je le redis, car j’ai déjà eu l’occasion de le dire souvent, nous ne considérons pas qu’un seul instrument serait de nature à nous permettre de revenir au plein emploi. Au contraire, pour trouver une solution efficace à cette question du chômage de masse, il faut intervenir sous tous les angles possibles: celui de la rémunération et du décalage des rémunérations, celui du droit, celui des compétences, celui de la mobilité, bref, sur tous les instruments nécessaires.
Nous avons en la matière obtenu des résultats. Vous savez que le taux de chômage a atteint son niveau le plus bas depuis 10 ans : 93 000 emplois supplémentaires ont été créés au premier trimestre de l’année 2019 et les intentions de recrutement sont au plus haut de la décennie. C’est un début encourageant, mais évidemment, ça n’est pas suffisant.
C’est pourquoi, aujourd’hui, nous ouvrons avec Muriel PÉNICAUD, le troisième temps de la transformation de notre marché du travail. La fonction de l’assurance-chômage, c’est d’inciter à retrouver un travail de qualité, tout en sécurisant financièrement nos concitoyens le temps qu’ils le trouvent. Or, le système actuel ne fonctionne pas correctement car les règles d’indemnisation incitent trop souvent au maintien d’emplois précaires, et pas suffisamment au retour à l’emploi.
Ces failles, nous les avons partagées avec les partenaires sociaux. Nous les avons incités et invités formellement à négocier, au mois de septembre 2018, pour trouver des solutions adaptées à ces enjeux. Ils ne sont pas parvenus, après une longue négociation, à un accord. Je le regrette même si je sais que c’était une négociation difficile. Il nous appartient donc, dès lors que cette négociation a échoué, à nous, au Gouvernement, de reprendre la main et de définir les solutions qui sont conformes au cadrage que j’avais donné aux partenaires sociaux dans leurs négociations et qui permettent de trouver les solutions que nous appelons de nos vœux.
Je voudrais vous rappeler les 4 objectifs que j’avais présentés le 26 février dernier et que j’ai rappelés récemment à l’Assemblée nationale. D’abord en finir avec le recours abusif aux contrats courts. Ensuite, respecter un principe simple selon lequel il faut que le travail paye toujours mieux que le non-travail. Troisième idée : il n’est pas légitime que notre système garantisse durablement des niveaux d’indemnisation pour les salaires élevés ou très élevés, très supérieurs à ce qui se passe chez nos voisins européens. Enfin, et c’est la condition sine qua non du succès de notre plan, il faut accompagner plus efficacement les chômeurs pour leur retour vers l’emploi, et en la matière, nous pouvons faire des progrès, notamment faire des progrès vers ceux qui se trouvent dans des situations de précarité, parce que ce sont souvent eux qui ont le moins bon accès à l’accompagnement vers un emploi plus durable.
Le premier objectif de la réforme, c’est d’inciter les entreprises à embaucher sur des emplois longs. Notre pays, qui aime la justice sociale mais qui n’en est pas à un paradoxe près, a laissé se développer le recours aux contrats courts jusqu’à l’excès. Au point qu’actuellement, 70% des embauches correspondent à des contrats de moins d’un mois et 85% de ces contrats sont signés chez le même employeur. Or, un contrat court, on sait ce que ça signifie pour nos concitoyens : l’impossibilité de contracter un prêt, l’impossibilité d’envisager l’accès à la propriété. Bref, la difficulté à bâtir sa vie sereinement. Le coût est énorme, sur les trajectoires individuelles et pour la collectivité. Et le pire, c’est que le recours aux contrats courts n’est pas dû aux contraintes de l’activité : dans un même secteur, des entreprises de même taille, confrontées au même cycle économique, ont des comportements très différents.
Certaines entreprises font l’effort de stabiliser l’emploi et utilisent les ordonnances travail pour trouver le bon équilibre entre leurs contraintes d’organisation et la stabilité de leurs effectifs. Mais d’autres n’ont pas cette démarche, ou ce réflexe. La conséquence, ce sont nos concitoyens qui la subissent, eux qui alternent les contrats courts et qui sont pris au piège de la précarité. Conformément à la promesse du Président de la République, nous allons instaurer un mécanisme de bonus-malus pour favoriser l’embauche sur des emplois de plus longue durée. Les secteurs économiques que nous avons choisi de cibler sont ceux qui abusent de la rotation des contrats de travail. La ministre du Travail vous en dira plus dans quelques instants.
Par ailleurs, depuis des années, rapport après rapport, la question du recours abusif aux CDD d’usage est posée sans qu’on trouve de solutions. C’est pourquoi nous avons choisi d’instaurer une contribution de quelques euros, forfaitaire et donc proportionnellement plus coûteuse pour un CDD d’un jour qu’un CDD de plusieurs semaines, afin de favoriser l’allongement de la durée de ces contrats. Là encore, il s’agit d’encourager les entreprises, de responsabiliser les entreprises pour que, dans toute la mesure du possible, elles allongent la durée du contrat.
Le deuxième objectif de notre réforme consiste à modifier les règles d’indemnisation pour que le travail paye toujours mieux que le non-travail. Car actuellement, le mode de calcul de l’allocation permet parfois aux salariés en contrats courts de gagner davantage, une fois qu’ils sont au chômage, que ce qu’ils touchaient en moyenne quand ils travaillaient. Ce n’est pas le cas pour la majorité des chômeurs indemnisés, bien entendu, mais c’est le cas pour plus de 20% des chômeurs indemnisés. Cette aberration favorise les contrats de moins d’un mois, et multiplie les allers-retours entre l’emploi court et le chômage. Nous proposons de reconstruire des paramètres d’indemnisation simples, justes et lisibles que détaillera la ministre du Travail.
Nous allons par ailleurs revoir les règles d’accès à l’assurance chômage en rehaussant la durée nécessaire à l’ouverture des droits. Les règles actuelles datent de 2009, c’est-à-dire d’une époque où il fallait amortir le choc de la crise économique et financière. Aujourd’hui, la conjoncture est meilleure. Les offres d’emploi sont plus nombreuses, les projets de création d’emplois sont bien plus nombreux. Il est donc normal que les règles d’accès changent aussi. Pour autant, je tiens à préciser que la France gardera l’un des régimes les plus favorables de l’OCDE.
Nous allons adapter les règles d’indemnisation pour prendre en compte la capacité des personnes les plus qualifiées à retrouver un emploi. Les personnes qualifiées ayant les plus hauts revenus bénéficient du plus faible taux de chômage, à un niveau proche du plein emploi de l’ordre de 3,8%. Mais leur plafond d’indemnisation est très largement supérieur à la moyenne européenne et aux grandes démocraties sociale-démocrates qui nous inspirent, puisqu’il atteint 7 550 € bruts contre moins de 2 500€ en Allemagne ou au Danemark. Maintenir durablement ce niveau d’indemnisation n’est pas légitime, car les salariés qui la perçoivent ont plus de facilités à retrouver un emploi, notamment grâce à leur niveau de compétences. En un mot, ils ont une marge de de liberté et de rebond plus importante que les autres. Nous ne modifierons pas le plafond d’indemnisation et son niveau restera identique les premiers mois. Mais nous avons décidé d’instaurer une forme de dégressivité simple, avec un seul palier à 6 mois et qui ne concernera que les revenus les plus élevés. Elle ne touchera pas les seniors qui ont plus de difficultés à retrouver un emploi.
Enfin, nous allons renforcer très substantiellement l’accompagnement des demandeurs d’emploi, qui est au cœur de notre réforme. Nous allons consacrer des moyens sans précédent, depuis plus de quinze ans, à cet accompagnement. Les effectifs de Pôle emploi ne seront pas réduits, alors que le chômage baisse, et alors que la numérisation permet de nombreux gains d’efficacité. Je le dis donc très clairement : nous avons décidé, avec la ministre, de consacrer tous ces gains, non pas à des économies, mais à un renforcement de l’accompagnement. Les moyens de Pôle emploi seront stabilisés sur les trois ans à venir et bénéficieront même de renforts.
Passer à la vitesse supérieure en matière d’accompagnement, ça ne se décrète pas ici, à Matignon. Ça doit se vivre au quotidien, au plus près du terrain, en fonction des différences entre les bassins de vie et les bassins d’emploi. C’est tout le sens de la mobilisation territoriale que nous avons lancée le mois dernier avec les élus locaux, avec les partenaires sociaux. Les partenaires sociaux et les pouvoirs publics se réuniront pour adapter les plans d’accompagnement aux enjeux de chaque territoire. Nous ferons un point d’étape sur cette démarche au début du mois de juillet, comme je m’y étais engagé. J’ai entendu les remarques formulées par un certain nombre de partenaires sociaux, selon lesquels cette mobilisation n’aurait pas encore atteint le niveau d’intensité que nous espérons, et je veux dire, à cet égard, que je rappellerai à l’ensemble de nos partenaires notre niveau d’ambition, de façon à ce que, territorialement, on soit en mesure de trouver les mesures d’accompagnement adaptées et efficaces. La ministre du Travail vous présentera en détail les priorités de cet accompagnement qui se traduiront dans la convention tripartite Etat / Unédic / Pôle emploi, finalisée d’ici à l’automne.
Avec cette réforme nous visons une baisse du nombre de chômeurs de 150 000 à 250 000 sur les trois ans à venir. Loin d’une approche comptable et d’une logique de rabot, cette transformation de l’assurance chômage devrait nous permettre, en effet, de faire des économies, mais d’abord et avant tout, de transformer le marché du travail, et des économies devraient en résulter. Nous visons 3,4 milliards d’euros d’économies sur la période 2019 à 2021. Je rappelle, pour que chacun ait un ordre de grandeur à l’esprit, que la dette globale de l’Unedic est de l’ordre de 35 milliards pour un volume annuel de dépenses de l’ordre de 40 milliards.
Je suis convaincu que ces mesures contribueront efficacement à lutter contre le chômage de masse et que nos concitoyens comprendront le souci d’équité et d’équilibre qui nous anime Notre objectif, c’est de mettre fin à une sécurité illusoire qui prend en vérité au piège d’une vraie précarité. La vraie sécurité, c’est d’être pleinement inséré dans la société grâce à un emploi stable.