#PJLRenseignement : « Cette loi donnera à nos compatriotes des garanties concrètes qu’ils n’ont jamais eues jusqu’à présent »
Il est exceptionnel qu’un Premier ministre défende un texte dans l’hémicycle. A cette occasion, Manuel Valls a rappelé, lundi 13 avril, que « dans une démocratie, le renseignement est une activité exclusivement tournée vers la protection des citoyens et de leurs libertés ». Il a également assuré que le projet de loi n’était « en rien une réponse préparée dans l’urgence », après les attentats terroristes qui ont endeuillé la France début janvier.Fruit d’une longue concertation à la hauteur des enjeux, ce projet de loi, présenté en Conseil des ministres du 19 mars, vise à donner un cadre législatif à la politique publique de renseignement. La législation en vigueur date de 1991, « avant la téléphonie mobile et internet : elle n’est plus adaptée aux enjeux de la société numérique. Elle n’encadre les activités de renseignement que de manière très incomplète ».
Pour la première fois, le projet de loi définit les domaines susceptibles de faire l’objet d’une action de la part des services. La loi prévoit ainsi que les opérations de surveillances sont strictement focalisées « sur la prévention des menaces graves contre la vie de la Nation ». Il répond à la nécessité d’améliorer notre capacité à identifier les activités des djihadistes sur les réseaux numériques : parmi 800 personnes détectées en Syrie ou en Irak, seule la moitié étaient connues avant leur départ.
Adapter les techniques de renseignement à la société numérique
Partout dans le monde les libertés d’information, d’expression, d’opinion sont menacées. En témoignent les événements tragiques survenus en Tunisie, au Kenya ou encore au Moyen-Orient. En France, trois mois après les attaques terroristes, la chaîne de télévision française TV5 Monde a fait l’objet, le 9 avril pendant plusieurs heures, d’une cyberattaque.
Emblématique d’une nouvelle menace, cette agression montre que « notre société numérique présente des vulnérabilités inédites ». De plus, elle a fondamentalement changé les capacités d’organisation des personnes représentant une menace. Si les seuls moyens de se contacter étaient autrefois la rencontre physique, le courrier papier ou l’appel téléphonique filaire, aujourd’hui « n’importe qui peut depuis son domicile communiquer et planifier des actions avec d’autres personnes en tout point du globe. Il dispose d’une multitude de moyens de dissimulation et d’outils de cryptologie », a insisté manuel Valls. Ces évolutions technologiques obligent à adapter les mesures de surveillance pour éviter de « geler les méthodes des services renseignements à celles des années 80 ». Ainsi, le recours à certaines techniques d’intrusion informatique, à la sonorisation de lieux privés ou encore la géolocalisation en temps réel des personnes doit permettre aux services de renseignement d’agir plus efficacement. Le Premier ministre a ainsi souligné l’importance d’innover dans les méthodes. Sur ce point, il a tenu à rassurer sur l’expérimentation de la détection par algorithme. Cette surveillance sera ciblée strictement sur les comportements menaçants et les données tierces ne seront pas accessibles ou exploitables par les services. L’autorité de contrôle interviendra dans toutes les étapes de la mise en œuvre de ce dispositif. De plus, le Gouvernement s’interdit absolument toute possibilité de filtrage des contenus. Un amendement prévoit que ce dispositif sera temporaire, pour une durée de 3 ans. Son prolongement sera soumis à la décision du Parlement sur la base d’une évaluation détaillée des conditions de sa mise en œuvre.
Un contrôle indépendant garant des libertés publiques
En aucun cas le projet de loi n’installe « un appareil de surveillance policière de la population ». Seul demeure « le principe de ciblage de toute surveillance sur des personnes menaçantes », a insisté Manuel Valls. Le projet de loi détaille davantage qu’en 1991 les procédures et les limites de ce qu’il sera possible de faire en matière de renseignement. Si les services de renseignement travaillent par nature dans la discrétion, voire dans le secret qu’implique la Défense nationale, le projet de loi est l’assurance que toute opération de surveillance régalienne fera désormais l’objet :
- d’une autorisation hiérarchique extérieure au service,
- d’un contrôle approfondi par une autorité indépendante,
- d’un recours juridictionnel effectif pouvant enjoindre au Gouvernement d’y mettre fin.
Cela vaut aussi pour le recueil des données dont les conditions d’exploitation, de transcription, d’extraction et de conservation seront particulièrement renforcées. A noter également que le recours aux techniques telles que l’intrusion informatique ou domiciliaire sera exceptionnel et ne pourra intervenir que si les autres techniques sont inopérantes. Des règles plus strictes sont prévues avec notamment une durée d’autorisation plus courte. Le projet de loi prévoit enfin des conditions de traçabilité et de suivi centralisé des mesures de surveillance. Le contrôle indépendant sera ainsi en mesure d’agir à un triple niveau : « avant l’exécution de la mesure, pendant l’exécution de la mesure et après, pour vérifier que les règles d’exploitation et de conservation sont respectées ».
Le renforcement du contrôle
Le projet de loi prévoit des instances de contrôle indépendantes et plus fortes. Ainsi, une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), sera créée et composée de 9 personnes (contre 3 aujourd’hui) : 4 magistrats, issus aussi bien de l’ordre judiciaire qu’administratif, 4 parlementaires, issus de la majorité comme de l’opposition et un spécialiste en communications électroniques. Elle remplacera l’actuelle Commission de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Le contrôle juridictionnel sera confié au Conseil d’État. Pour la première fois, dans notre système juridique, le secret de la défense nationale ne sera pas opposable à un juge. « Ce dernier pourra de surcroît enjoindre l’exécutif à cesser une opération de surveillance, voire à détruire les renseignements recueillis ou à indemniser les victimes éventuelles », a expliqué le Premier ministre. « Cette loi donnera à nos compatriotes des garanties concrètes qu’ils n’ont jamais eues jusqu’à présent dans le domaine du renseignement ».
Face à une menace terroriste imprévisible, le projet de loi met également en place des procédures d’urgence opérationnelle permettant aux services en certaines circonstances de réagir très rapidement. « Le Gouvernement va solliciter le rétablissement d’une procédure d’urgence absolue, c’est-à-dire sans avis préalable de la CNCTR. Le recours à ce dispositif sera strictement exceptionnel, je m’y engage solennellement », a précisé Manuel Valls.
« S’agissant des capteurs de proximité, il n’y aura pas davantage d’aspiration massive de données », a-t-il affirmé, expliquant qu’il est techniquement possible de garantir que seules les données ciblées sur les personnes recherchées seront exploitées et conservées, les autres seront écrasées. La loi introduit également des opérations de surveillance des communications internationales – uniquement si la communication a son origine ou sa destination en France – qui ne pourront s’effectuer que « sur la base d’instructions précises, seloin un filtrage rigoureux et dans la limité des finalités prévues par le projet de loi ». Un amendement du Gouvernement pour créer un fichier de suivi des teroristes permettant de leur imposer la déclaration de leur domicile et de leurs déplacements à l’étranger sera également déposé.
Les débats parlementaires sur le projet de loi s’achèveront jeudi. Le vote est prévu le 5 mai.