L’ancien ministre de la défense Charles Millon a répondu à quelques questions de nos confrères du Figaro. Il plaide pour un sérieux rééquilibrage de nos institutions. Extraits :
La Ve République était à l’origine un régime mi-parlementaire, mi-présidentiel. L’élection du président de la République au suffrage universel direct, en 1962, puis l’instauration du quinquennat, en 2000 et l’inversion du calendrier de la présidentielle et des législatives, un an plus tard, l’ont fait dériver vers un régime en réalité totalement présidentiel.
La manière de gouverner a aussi contribué à ce dévoiement: le premier ministre est devenu un «collaborateur», comme le disait Nicolas Sarkozy, et les gouvernements ont dû recourir presque systématiquement à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter un texte sans qu’il ait été voté. Cette évolution a en fait commencé sous Valéry Giscard d’Estaing, quand le cabinet présidentiel s’est mis à grossir jusqu’à ce que tous les ministères importants aient un conseiller dédié à l’Élysée. Il aurait fallu mettre fin à cette hyperprésidentialisation mais le sens de la pente et le caractère des hommes l’ont accentuée.
Vous avez aussi parlé de la crise de la représentation. Quelles en sont les causes?
La principale est le fossé qui s’est creusé entre «l’élite» et le peuple, aggravé par l’interdiction du cumul des mandats et par toutes les réformes qui ont concerné les collectivités territoriales et qui se sont traduites par une centralisation à tous les étages. La fusion obligatoire des communes, l’apparition des métropoles, des communautés de communes qui doivent rassembler au minimum 15 000 personnes, sont antinomiques à la géographie politique de la France.
(…)
On a déraciné la démocratie en donnant le pouvoir aux fonctionnaires. Notre système valait par sa diversité. Avant toutes ces réformes, le maire était certes au four et au moulin, mais il servait de lien entre le peuple et les «élites». Il vivait avec tous les habitants de sa commune. Aujourd’hui, il n’a plus d’autonomie financière notamment suite à la suppression de la taxe d’habitation et l’échelle à laquelle les décisions se prennent fait qu’elles requièrent des compétences administratives que le maire d’une petite commune n’a pas. Les agences régionales de santé sont le prototype de cette mainmise technocratique. La loi Notre (Nouvelle organisation territoriale de la République, NDLR) de 2015, que François Hollande défendait comme une loi de rationalisation, a été catastrophique.
(…)
Le mondialisme s’oppose à l’attachement à une terre, à un pays, à sa nation, et s’impose par la législation et par le pouvoir des juges. Déjà en 1978, quand Raymond Barre tente de revenir sur le regroupement familial, le Conseil d’État le lui interdit. En janvier dernier, le Conseil constitutionnel censure ou altère 35 articles de la loi immigration, les 35 qui répondent le mieux à ce que demande la population!
Les Français, traumatisés par le fait que le président de la République leur avait imposé en signant le traité de Lisbonne, en 2007, ce que la majorité des citoyens avait refusé en disant non au référendum de 2005, ont l’impression qu’une machine infernale s’est mise en branle pour les déposséder de leur art de vivre. Personne ne se préoccupe de leurs problèmes quotidiens.
Pour en revenir aux institutions, comment sortir du blocage?
D’abord en réformant le mode de scrutin législatif. Je suis pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à un tour, pour obliger les grands courants politiques – appelons-les la droite et la gauche, pour faire simple – à gérer leurs extrêmes. Ce n’est pas à l’État de le faire. De cette façon, il y aurait une majorité stable et on en finirait aussi avec l’usage excessif du 49-3, qui est directement lié à l’absence de majorité. Inspirons-nous du système anglais, qui est très efficace. Voyez comme les récentes élections législatives se sont passées en Grande-Bretagne, dans le calme et la sérénité.
(…)
On a détourné les résultats du premier tour en faisant exactement ce que de Gaulle disait vouloir éviter: les petites soupes sur les petits feux, dans les petites marmites. Et c’est ainsi que Gérald Darmanin a été élu grâce aux Insoumis, sans que quiconque ne s’en émeuve réellement. Et que dire d’Édouard Philippe qui a fait voter pour le Parti communiste… Je suis estomaqué de voir qu’il n’est jamais question de «cordon sanitaire» avec LFI.
(…)
Faut-il revenir sur l’élection du président au suffrage universel direct, comme le propose Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel?
Je serais assez favorable au retour à un système indirect, mais je pense que le peuple français le refuserait. En revanche, il est possible de revenir au septennat, tout en gardant le mandat de cinq ans pour les députés. De cette façon, le président ne serait plus le chef de la majorité parlementaire. Pour qu’il redevienne le chef de l’État, il ne doit pas non plus être le chef du gouvernement, comme il l’est de facto actuellement. Pour que ce soit clair, le premier ministre devrait présider le Conseil des ministres et représenter la France lors des réunions des chefs de gouvernement à Bruxelles.
(…)
Le président peut-il être au-dessus des partis s’il garde l’arme de la dissolution?
Il faudrait à mon avis l’encadrer en créant une motion de «rejet de la dissolution», qui serait adoptée si au moins trois cinquièmes des députés la votaient. Je pense que si cette disposition avait existé, Emmanuel Macron n’aurait pas pu dissoudre l’Assemblée. Le président doit retrouver son rôle essentiel de garant de la paix civile et de la souveraineté de la France. Quand elle est grignotée, que ce soit au niveau européen ou par des juridictions nationales ou supranationales, il doit pouvoir s’y opposer. En fait, pour sortir de la crise, chacun doit retrouver sa légitimité.
(…)
Enfin, avant qu’un conflit grave et paralysant ne surgisse entre d’une part les pouvoirs exécutifs et législatifs et d’autre part l’autorité judiciaire (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour européenne de justice) une réflexion toute particulière doit être engagée afin de redéfinir compétences et champs d’intervention de chacun.
☛ Et pour en lire plus, penser à vous abonner sur La Lettre Patriote en cliquant sur ce lien.