Changement de ton, changement de style, offrons-nous une parenthèse, avec l’un de mes poèmes favoris. Il est de Charles Péguy. Ne l’ayant pas trouvé sur Internet, je l’ai saisi et le verse sur le blog, pour le plaisir de ses visiteurs, et aussi pour réparer une absence sur la toile.
« O nuit, ma plus belle invention, ma création auguste entre toutes.
Ma plus belle créature. Créature de la plus grande espérance.
Et aussi, et ainsi, au fond, créature de la plus grande Charité.
Car c’est toi qui berce toute la Création.
Dans un sommeil réparateur.
Comme on couche un enfant dans son petit lit.
Comme sa mère le couche et comme sa mère le borde
Et l’embrasse.
Comme sa mère le borde et rit et le baise au front
En s’amusant.
Et lui aussi rit, lui rit en réponse en dormant.
Ainsi, ô nuit, mère aux yeux noirs, mère universelle,
Non plus seulement mère des enfants (c’est si facile)
Mais mère des hommes mêmes et des femmes, ce qui est si difficile,
C’est toi, nuit, qui couches et fais coucher toute la Création
Dans un lit de quelques heures.
Nuit ma plus belle invention c’est toi qui calmes, c’est toi qui apaises, c’est toi qui fais reposer
Les cœurs endoloris
Les cœurs meurtris, les membres meurtris du labeur
Et de la peine et du souci quotidien.
O Nuit, ô ma fille la Nuit, la plus religieuse de mes filles
De mes filles, de mes créatures, la plus dans mes mains, la plus abandonnée.
O, ma fille aux yeux noirs, la seule de mes filles qui soit, qui puisse te dire, ma complice.
Nuit ô ma fille la Nuit, o ma fille silencieuse
Au puits de Rebecca, au puits de la Samaritaine
C’est toi qui puises l’eau la plus profonde
Dans le puits le plus profond
O nuit qui berce toutes les créatures
Dans un sommeil réparateur.
O nuit qui lave toutes les blessures
Dans la seule eau fraîche et dans la seule eau profonde
Au puits de Rebecca, tirée du puits le plus profond.
Amie des enfants, amie et sœur de la jeune espérance
O nuit qui panse toutes les blessures
Au puits de la Samaritaine toi qui tires du puits le plus profond
La prière la plus profonde.
O nuit, ô ma fille la Nuit, toi qui sais te taire, ô ma fille au beau manteau.
Toi qui verses le repos et l’oubli. Toi qui verses le baume, et le silence, et l’ombre.
O ma nuit étoilée je t’ai créée la première… »
Le porche du mystère de la deuxième vertu (1911)