Le nouvel AGLAÉ est inauguré le 23 novembre 2017 par Françoise Nyssen, ministre de la Culture et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
L’Accélérateur Grand Louvre d’Analyse Élémentaire, AGLAÉ, est installé depuis 1988 au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, Palais du Louvre). Il est l’unique accélérateur de particules dans le monde exclusivement dédié à l’étude d’objets du patrimoine culturel et accessible aux chercheurs extérieurs, français et européens.
En pénétrant la matière, il permet d’identifier tous les éléments chimiques présents dans les couches superficielles des oeuvres étudiées, de déterminer leur nature, leur concentration et leur localisation. Les oeuvres ainsi étudiées dévoilent leur histoire et leur authenticité.
Le nouvel AGLAÉ comprend un système de détection plus sensible et permet d’analyser des matériaux fragiles qui, sous l’action du faisceau de particules, auraient pu subir des modifications visibles. Il diminue l’irradiation des oeuvres d’art à étudier et offre la possibilité de réaliser des cartographies chimiques simultanément avec plusieurs techniques d’analyse.
Le nouvel AGLAÉ pourra désormais fonctionner en continuité 24 heures sur 24, grâce à un dispositif de stabilisation et d’automatisation réalisé par la société Thales.
Sa mise en oeuvre a fait l’objet d’un financement des Investissements d’avenir, du ministère de la Culture et de la Ville de Paris, et d’une collaboration scientifique étroite entre le C2RMF, le CNRS et Chimie ParisTech.
Pour célébrer le redémarrage du nouvel AGLAÉ, un colloque aura lieu le 30 novembre à l’auditorium du Louvre. Il sera l’occasion de présenter les nouvelles performances de l’instrument et de revenir sur quelques-unes des études phares réalisées avec AGLAÉ, comme celles de la tombe celtique de Lavau, de vitraux médiévaux ou d’objets préhistoriques en os colorés par les ocres. Chaque cas concret sera présenté par un duo composé d’un spécialiste de sciences analytiques et d’un archéologue ou historien de l’art.
Dossier
Pour percer les mystères des oeuvres ou authentifier des objets patrimoniaux, les spécialistes ont souvent besoin du soutien de la science. Installé depuis 1988 au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, Palais du Louvre), AGLAÉ est l’unique accélérateur de particules dans le monde exclusivement dédié à l’étude d’objets du patrimoine. Aujourd’hui, l’équipement d’excellence New AGLAÉ permet d’améliorer ses performances : automatisation de la ligne de faisceau, optimisation d’une imagerie chimique à l’échelle micrométrique et analyse jour et nuit rendue possible. En association avec le CNRS, le projet est soutenu par le ministère de la Culture, les Investissements d’avenir et la ville de Paris. Le nouvel AGLAÉ est inauguré le 23 novembre 2017 par Françoise Nyssen, ministre de la Culture et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Les objets du patrimoine culturel portent en eux des énigmes : d’où viennent les matériaux qui les constituent ? Quels sont leurs secrets de fabrication ?
Comment les conserver et les restaurer ? Des éléments de réponse peuvent être obtenus en explorant la surface des oeuvres, de manière non invasive, c’est-à-dire sans recourir à des prélèvements et sans endommagement. Depuis la fin des années 1980, la mise en oeuvre de l’Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire (AGLAÉ) dans les sous-sols du Palais du Louvre à Paris a été une étape majeure dans le développement de ces recherches.
AGLAÉ accélère des particules (des noyaux d’hydrogène ou d’hélium) à des vitesses de l’ordre de 20 000 km/s. En pénétrant dans la matière, ces particules ralentissent en cédant leur énergie aux atomes, qui émettent à leur tour des rayonnements (rayons X, rayons gamma, lumière) et/ou d’autres particules. Ces émissions permettent d’identifier, même à l’état de traces, tous les éléments chimiques présents dans les couches superficielles de l’objet. Leur nature, leur concentration et leur localisation dévoilent l’histoire de l’objet et permettent de l’authentifier.
D’AGLAÉ au nouvel AGLAÉ : enjeux multiples et collaboration innovante
L’instrument initial ne permettait pas d’analyser des matériaux « fragiles » : les matières d’origine biologique, comme les pigments organo-minéraux des oeuvres peintes, auraient pu subir des modifications visibles sous l’action du faisceau de particules. Le nouvel AGLAÉ inclut un système de détection plus sensible, qui permet de diminuer d’un facteur 10 l’irradiation des oeuvres d’art à étudier, et de réaliser des cartographies chimiques simultanément avec plusieurs techniques d’analyse. Le nouveau multi-détecteur d’AGLAÉ, réalisé grâce à un financement de la ville de Paris, a été mis en place à partir de 2013.
De plus, faute d’automatisation, l’accélérateur ne pouvait fonctionner que 8 à 10 heures par jour, limitant l’accès à cet outil très sollicité par des utilisateurs extérieurs, français et européens. Reconnue pour ses compétences en matière d’accélérateurs, la société Thales a présenté une offre innovante pour stabiliser et automatiser l’accélérateur et la ligne de faisceau. Cette partie du projet a été financée par les Investissements d’avenir et réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le C2RMF, le CNRS et Chimie ParisTech. À partir de fin 2017, le nouvel AGLAÉ pourra ainsi fonctionner 24 heures sur 24.
Les premières analyses seront réalisées sur des statuettes du Trésor des bronzes conservé au Forum antique de Bavay (Nord) afin de révéler leurs techniques de fabrication et ainsi d’enrichir l’exposition qui sera présentée en septembre 2018. Suivra le Trésor celte de Lavau (Aube), dont l’étude permettra d’orienter la conservation et la restauration.
Un instrument de pointe accessible aux chercheurs européens
Dans le cadre de projets européens successifs, AGLAÉ a été la première infrastructure de recherche au monde, entièrement dédiée au patrimoine culturel, accessible aux chercheurs européens. Elle constituera une contribution française décisive et l’un des piliers majeurs du projet d’infrastructure européenne pérenne E-RIHS (European research infrastructure for heritage science), inscrite sur la feuille de route européenne des futures infrastructures.
Pour célébrer le démarrage du nouvel AGLAÉ, un colloque a lieu le 30 novembre 2017 à l’auditorium du Louvre. Il sera l’occasion de présenter les nouvelles performances de l’instrument et de revenir sur quelques-unes des études phares réalisées avec AGLAÉ, comme celles de la tombe celtique de Lavau, de vitraux médiévaux ou d’objets préhistoriques en os colorés par les ocres. Chaque cas concret sera présenté par un duo composé de spécialistes en sciences analytiques et archéologiques ou de l’histoire de l’art.
Le nouvel AGLAÉ
En 2017, AGLAÉ devient le nouvel AGLAÉ. Cette évolution est l’aboutissement d’un projet pensé et conçu en 2010 par Joseph Salomon, ingénieur de recherche au ministère de la Culture, et écrit par Philippe Walter, directeur de recherche au CNRS et alors directeur de l’UMR associée au C2RMF. Sous la direction de Didier Gourier, directeur de la fédération de recherche New AGLAÉ, Michel Menu, chef du département recherche du C2RMF et Isabelle Pallot-Frossard, directrice du C2RMF, le projet est réalisé par l’équipe AGLAÉ (Quentin Lemasson, Brice Moignard, Laurent Pichon, ingénieurs machine et Claire Pacheco, chef du groupe AGLAÉ+). L’Agence nationale de la recherche, à travers le programme Investissements d’avenir, ainsi que la ville de Paris et le ministère de la Culture, ont financé les travaux de mise à niveau de cet équipement d’excellence. En outre, les Investissements d’avenir, le ministère de la Culture et le CNRS contribuent à ses frais de fonctionnement.
Les objectifs de ce projet sont triples : automatiser la ligne de faisceau permettant un fonctionnement jour et nuit ; concevoir et développer un multi-détecteur plus sensible, permettant l’analyse de matériaux fragiles comme les couches picturales composées de pigments inorganiques et de liants organiques ; mettre en oeuvre un système d’imagerie chimique systématique.
Sources d’ions et accélérateur
Des sources de particules génèrent des atomes chargés négativement (ions négatifs) introduits dans l’accélérateur électrostatique d’origine, où ils subissent une double accélération. Une haute tension est appliquée au centre de la colonne d’accélération, au maximum 2 millions de volts. La charge électrique positive créée au terminal attire d’abord les ions négatifs, qui sont « déshabillés » de leurs électrons en traversant un gaz. En sortie de l’accélérateur, les particules chargées positivement (noyaux atomiques) sont alors repoussées par la charge positive du terminal et ont acquis leur vitesse définitive de l’ordre de 10 % de la vitesse de la lumière soit 30 000 km/s.
Stabilisation en énergie et contrôle-commande
Innovation de Thales pour AGLAÉ, la stabilisation du faisceau en énergie est assurée par la combinaison de systèmes analogique et numérique. Le système modifie automatiquement les paramètres en cas de dérive de l’énergie des particules, rendant possible le fonctionnement de l’accélérateur jour et nuit avec une prise de contrôle à distance pour la mise en sécurité de l’accélérateur au moyen d’une interface homme-machine réalisée sur mesure.
Le prérequis à l’automatisation est la stabilisation de la position du faisceau. Celle-ci est assurée par l’introduction de quatre électro-aimants situés après l’accélérateur et qui font dévier le faisceau. En sortie de cette boucle, le faisceau est optimisé en position, en énergie et en focalisation.
Microsonde et faisceau extrait
La microsonde focalise les particules en bout de ligne, ce qui permet de travailler avec un faisceau de 20 μm de diamètre. Les contraintes spécifiques des objets de musées, comme leurs dimensions (par exemple statues précieuses sur lesquelles un échantillonnage n’est donc pas possible) ou leur état de conservation (par exemple un petit objet présentant une polychromie peu adhérente au support) ont amené l’équipe AGLAÉ à améliorer la technique permettant d’extraire le faisceau du vide de l’accélérateur pour l’amener à l’air libre. Une fine fenêtre de nitrure de silicium de 100 nm d’épaisseur est insérée en bout de ligne. Perméable au faisceau de particules, elle résiste mécaniquement à la différence de pression régnant des deux côtés de cette fenêtre (vide, d’un côté, pression atmosphérique de l’autre).
Multi-détecteur
Une fois dans l’air, les particules pénètrent dans l’objet à analyser et sont rapidement ralenties en cédant leur énergie aux électrons ou aux noyaux des atomes de la matière constituant l’objet à analyser. En retour, ces atomes restituent une partie de cette énergie sous forme de rayons X et de lumière UV-visible et de rayons gamma qui sont détectés par des détecteurs spécifiques situés en bout de ligne. Les particules incidentes peuvent aussi être repoussées
vers l’arrière par les noyaux et également détectées. Tous ces rayonnements détectés donnent des informations sur la nature et la concentration des éléments chimiques, même présents à l’état de traces, rencontrés sur le trajet des particules.
Conçu et développé dans le cadre de l’Equipex New AGLAE, le nouveau multi-détecteur est constitué de plusieurs détecteurs de rayons X à large surface de détection, permettant de diminuer le nombre de particules incidentes sur des matériaux fragiles ou, dans le cas de matériaux insensibles au faisceau, de diminuer drastiquement le temps d’analyse par rapport au système précédent. Des détecteurs de particules, un détecteur de rayons gamma et une fibre optique
reliée à un spectromètre permettent l’enregistrement simultané de tous les événements générés par l’interaction particule-matière. Chaque événement est enregistré en lien avec la position précise du faisceau sur la cible, rendant possible l’imagerie chimique systématique et simultanée par différentes techniques.
Perspectives
D’ici 2019, le multi-détecteur sera encore optimisé. Certains outils de cartographie sont opérationnels, d’autres actuellement en cours de développement. Les modifications les plus infimes des matériaux sous le faisceau de particules seront également un axe de recherche majeur de l’équipe AGLAÉ, en particulier sous l’impulsion de l’IAEA.
Ce nouvel accélérateur reste à ce jour le seul au monde dédié exclusivement au service de l’art, de l’archéologie et des collections des musées. Plus performant, plus autonome, sa renommée dépasse dorénavant largement les frontières. Ainsi, dans le cadre du programme européen H2020-Iperion CH, un appel à propositions d’expériences pour des analyses sur AGLAÉ a été ouvert, permettant à des chercheurs de l’Union de bénéficier de temps d’analyses sur l’accélérateur.
juillet – octobre 2016 | Démontage et déménagement d’AGLAÉ |
octobre 2016 – mars 2017 | Travaux de radioprotection et de rénovation de la salle AGLAÉ |
mars – août 2017 | Montage de la ligne de faisceau et tests unitaires |
septembre – octobre 2017 | Premiers faisceaux de protons et de deutons, réglages de la ligne |
01/11/17 | Derniers réglages et première recette du nouvel AGLAÉ
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23/11/17 | Inauguration du nouvel AGLAÉ par Françoise Nyssen, ministre de la Culture et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation |
30/11/17 | Colloque Le patrimoine sous le faisceau des particules : AGLAÉ, de nouvelles performances au service des oeuvres |
01/12/17 | Premières applications et nouveaux utilisateurs |
décembre 2017 – mars 2018 | Mise en route du faisceau d’hélium et derniers réglages
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01/03/18 | Recette finale |
Le nouvel AGLAÉ en chiffres
- Longueur de l’accélérateur : 27 mètres
- Diamètre du faisceau de particules : 20 micromètres
- Vitesse des particules à la sortie : 20 000 à 30 000 km/s
- 1,6 million de données produites par seconde en mode imagerie.
- Une équipe technique de 4 ingénieurs
- Un budget initial (2012-2019) de 2,1 millions d’euros, provenant des Investissements d’avenir (1 100 000 € pour l’accélérateur et l’aménagement de la salle, 348 000 euros pour le fonctionnement), du ministère de la Culture (550 000 € pour l’aménagement de la salle et 400 000 € pour le fonctionnement), la Ville de Paris (207 000 € pour le multi-détecteur X) et le CNRS (40 000 € pour le fonctionnement).
Le Trésor des bronzes du Forum antique de Bavay
Le Forum antique de Bavay, musée archéologique du Département du Nord, conduit depuis 2016 un projet de réexamen du dépôt d’objets en bronze qui constitue la pièce maîtresse de ses collections : le Trésor des bronzes de Bavay. Ce dépôt, enfoui à la fin du IIIe s. ou au début du IVe s. sur le forum désaffecté de l’agglomération antique de Bagacum, rassemblait plus de 300 objets hétéroclites dont des statuettes de divinités et des fragments de grandes statues. Mis au jour en 1969 lors des fouilles conduites sur le forum par l’abbé Henri Biévelet, le caractère exceptionnel de cet ensemble a conduit à la création du musée municipal, inauguré en 1976. Bien que présenté au musée de Bavay depuis son ouverture et objet d’une publication en 1993 dans un supplément à la Revue du Nord, le Trésor des bronzes de Bavay continue de soulever de nombreux questionnements : à quelle période ces objets ont-ils été produits et dans quels contextes ont-ils pu être utilisés ? Pourquoi ont-ils été rassemblés et abandonnés au même endroit ?
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, le Forum antique de Bavay a rassemblé une équipe de spécialistes qui étudient le Trésor selon plusieurs approches. Les investigations conduites par le C2RMF sur une partie des objets du dépôt permettront de mieux connaître les méthodes de fabrication employées.
- Des radiographies ont permis d’observer la structure interne des statuettes, d’étudier la technique de fonte et les assemblages par soudure et de détecter la présence de défauts de fonderie.
- Certaines pièces ont subi de minuscules prélèvements de métal qui ont ensuite été analysés par spectrométrie d’émission atomique à plasma. Cette méthode permet de connaître la composition chimique des métaux (éléments majeurs et en traces) et, sur cette base, de comparer très finement les objets entre eux. Les nombreux fragments de grande statue proviennent-ils tous de la même oeuvre ? Existe-t-il parmi les statuettes des lots de composition homogène qui pourraient donc provenir du même atelier ?
- Plusieurs objets étudiés présentent des incrustations de métaux précieux ou de cuivre rouge, notamment sur les socles et au niveau des yeux des statuettes. L’examen en microscopie numérique 3D a permis de mieux comprendre les techniques d’incrustation mises en oeuvre. Les analyses PIXE (Particle Induced X-ray Emission), en cours de réalisation avec New AGLAÉ, vont permettre de déterminer de manière non-destructive la nature exacte des métaux précieux employés.
Le Forum antique de Bavay, musée archéologique du Département du Nord
Le Forum antique de Bavay a été ouvert en 1976, suite aux découvertes archéologiques faites depuis le XVIIIe siècle. Le forum construit sur un ensemble de portiques souterrains, s’étend sur 2,5 hectares, ce qui en fait le plus grand découvert en France. La basilique construite à l’est du forum aurait été d’une taille similaire à celles de Carthage ou d’Ostie. À l’époque gallo-romaine, Bagacum était la capitale de la cité des Nerviens, dont le territoire s’étendait jusqu’à l’actuelle Anvers.
Musée de France, site archéologique d’intérêt national et monument historique, le Forum antique de Bavay entamera en 2019 une nouvelle phase de son développement à travers le lancement d’un projet global et ambitieux à long terme, associant à la protection du site archéologique un nouveau musée et la création d’un centre de conservation et d’étude à vocation départementale.
Comment les particules d’AGLAÉ sondent la matière
AGLAÉ sonde, au niveau atomique et sur quelques dizaines de micromètres de profondeur, la surface de la matière constituant les objets du patrimoine. Cela permet de les authentifier, de comprendre leur technique de fabrication ou encore l’origine de leurs matériaux constitutifs. Dans ce but, des particules (protons H+, deutons D+ ou hélions He2+)2 sont projetées à grande vitesse sur un point de l’objet. Comme toute matière, celle des objets du patrimoine est composée d’atomes, de très petite taille (environ 10-10 m, soit un dix millionième de millimètre). Les atomes sont eux-mêmes formés d’un noyau chargé positivement, 10 000 fois plus petit que l’atome, autour duquel gravitent des électrons au moins 10 000 fois plus petits que le noyau – entre ces éléments, les atomes contiennent surtout beaucoup de vide. Quand des protons pénètrent à grande vitesse dans la matière, ils sont ralentis par les électrons situés le long de leur parcours, auxquels ils cèdent progressivement leur énergie. Lorsqu’un électron est ainsi éjecté d’une couche interne de l’atome, il est immédiatement remplacé par un autre provenant d’une couche externe. Lors de cette transition électronique, de l’énergie est libérée sous forme de rayonnement X dont la fréquence (l’énergie des photons X) est caractéristique de l’élément chimique sondé. Le spectre obtenu3 permet de déterminer précisément la nature et la concentration (même à l’état de traces) des éléments chimiques situés le long de la trajectoire du faisceau. Cette technique de spectroscopie, appelée PIXE, utilise surtout des faisceaux de protons et permet de détecter tous les éléments chimiques du sodium à l’uranium. Seuls les éléments plus légers (de l’hydrogène au fluor) ne sont pas accessibles.
Une faible fraction des particules des faisceaux rencontre les noyaux des atomes, ce qui entraine deux types de réactions. La première se produit lorsque la particule incidente a suffisamment d’énergie pour pénétrer dans le noyau4 et le placer dans un état de plus haute énergie. Moins d’un millième de milliardième de seconde plus tard, le noyau revient à un état de plus faible énergie en émettant à son tour des rayons gamma ou d’autres particules comme par exemple un proton, un neutron, un deuton ou un noyau d’hélium. Les analyses basées sur de telles réactions s’appellent NRA (Nuclear Reaction Analysis). On les utilise le plus souvent avec des faisceaux de protons ou de deutons. Dans le cas particulier de l’émission de rayons gamma, on procède en mesurant le spectre des rayons gamma en fonction de leur énergie. Cette technique de spectroscopie, appelée PIGE (Particle Induced Gamma-ray Emission), est parfaitement complémentaire du PIXE car elle permet de détecter des éléments chimiques plus légers que le sodium et d’en mesurer la concentration. En faisant varier l’énergie du faisceau incident, pour une énergie donnée de la particule, certaines réactions nucléaires ont lieu à des profondeurs différentes dans l’échantillon, ce qui permet de remonter au profil de concentration pour chaque élément chimique détecté. De plus, les méthodes NRA permettent de distinguer les différentes versions d’un élément chimique (appelées isotopes)5, ce qui n’est pas le cas du PIXE.
Lorsque la particule n’a pas assez d’énergie pour pénétrer dans le noyau, elle est déviée, voire repoussée6. C’est le phénomène de rétrodiffusion de Rutherford, ou RBS (Rutherford Backscattering). Pour un angle de détection donné, l’énergie de la particule rétrodiffusée dépend de l’élément chimique et de sa profondeur sous la surface. Cette technique de spectroscopie, qui utilise le plus souvent des ions He2+ comme particules incidentes, est beaucoup utilisée pour mesurer la variation de concentration en éléments chimiques sous la surface de l’objet ou pour identifier et mesurer l’épaisseur d’une très fine couche recouvrant un matériau. Lorsque la particule incidente interagit avec le noyau, ce dernier recule sous l’effet de l’interaction. Cet effet de recul est particulièrement intéressant lorsque la particule incidente est plus lourde que le noyau impacté. C’est par exemple le cas de noyaux d’hélium He2+ (4 fois plus lourds que l’hydrogène) lorsqu’ils rencontrent des noyaux d’hydrogène H+ à l’intérieur d’un matériau. Dans ce cas, les H+ sont éjectés de l’échantillon, avec une vitesse d’autant plus grande qu’ils sont proches de sa surface. En mesurant le nombre d’ions H+ éjectés en fonction de leur énergie, on peut remonter au profil de concentration en hydrogène dans l’échantillon. Cette méthode, appelée ERDA (Elastic Recoil Detection Analysis) permet de mesurer l’hydratation de certains matériaux comme les verres et le quartz qui, en vieillissant, accumulent lentement l’eau présente dans l’air ambiant. Il est ainsi possible de dater leur fabrication.
2. Deuton : constitué d’un proton et d’un neutron ; Hélion (ou particule alpha) : noyau d’hélium constitué de deux protons et deux neutrons.
3. Le nombre de photons X en fonction de leur énergie.
4. L’énergie de la particule incidente est plus élevée que la barrière énergétique pour franchir le noyau, ce qui est le cas pour des noyaux d’éléments légers et/ou lorsque les particules sont très rapides.
5. La composition isotopique d’un matériau (c’est-à-dire la proportion de différentes versions d’un élément chimique) est intéressante car elle permet de remonter à son origine (par comparaison avec la composition de différents minerais, par exemple).
6. En effet, les particules sont chargées positivement, tout comme les noyaux d’atomes.
Dans tous les phénomènes décrits plus haut, un faisceau de particules de 10 à 20 μm de diamètre frappe un objet en un point. Les informations chimiques (composition, concentration, profils) ne concernent donc que la très petite surface de l’objet impactée par le faisceau et ne rendent pas compte de son éventuelle hétérogénéité de composition et de structure. Avec AGLAÉ, il est possible de réaliser des cartographies chimiques systématiques des objets avec les techniques PIXE, PIGE et RBS, sur des surfaces allant jusqu’à 20 centimètres de côté. En mode cartographie, le faisceau balaye très rapidement l’objet sur un segment vertical d’environ 640 μm de longueur, grâce à un système de deflection magnétique, tandis qu’un moteur pas à pas déplace latéralement l’objet à une vitesse très lente. La distribution de chaque élément chimique peut ainsi être cartographiée sur une surface relativement étendue.
L’apport de Thales au nouvel AGLAÉ
Le nouvel AGLAÉ comprend deux améliorations majeures de l’accélérateur : la stabilisation du faisceau de particules et une capacité d’analyse plus performante pour un fonctionnement en continu 24/24 heures et la possibilité d’analyser des matériaux plus fragiles sans risque de dommage.
Depuis de nombreuses années, Thales s’est spécialisé dans le développement et la fourniture de systèmes pour de grands instruments scientifiques destinés à des applications civiles liées à la recherche, à l’industrie et au nucléaire. Thales développe notamment des accélérateurs de particules à la pointe de la technologie, comme par exemple les injecteurs pour synchrotrons Soleil en France, Bessy II en Allemagne et Alba en Espagne. Chaque projet est unique et spécifique, mais il met en jeu de nombreuses compétences communes en dynamique de faisceaux, instrumentation, traitement de signal, haute tension, radiofréquence, automatisation…
Depuis deux ans et demi, Thales travaille au service du patrimoine et adapte son savoir-faire de pointe au projet New AGLAÉ. Des compétences très spécifiques telles que la physique des faisceaux de particules ont été nécessaires pour développer la nouvelle ligne de faisceaux et en optimiser la qualité et la stabilité.
Pour aider à la stabilisation du faisceau, un nouveau système numérique d’asservissement et de stabilisation de l’accélérateur a été mis au point avec une architecture innovante. Le savoir-faire Thales en électronique de forte puissance et en traitement de signal a permis d’expertiser la machine et de proposer une solution plus souple pour l’opérateur. Celui-ci bénéficie de nouveaux paramètres de réglages permettant de choisir entre un mode de fonctionnement longue durée (utile pour l’analyse automatique de séries d’échantillons, de nuit) ou un mode de fonctionnement haute qualité pour des mesures spécifiques.
Enfin, le fonctionnement de l’instrument a été automatisé via un logiciel de contrôle-commande plus intelligent et ergonomique : automatisation du système adapté aux recherches de différents profils d’utilisateurs, traçabilité des résultats, mise à jour automatique de la base de données, sécurisation du système, système d’arrêt de la machine à distance.
Ces trois apports vont permettre non seulement d’analyser des oeuvres plus fragiles (telles que les peintures) et d’enrichir la base de données des matériaux mais aussi de faciliter le travail des opérateurs de façon à ce qu’ils puissent se concentrer sur l’analyse des oeuvres.
Complémentarité du nouvel AGLAÉ avec les analyses par synchrotron
Les oeuvres et objets du patrimoine culturel, précieux et parfois uniques, sont très souvent caractérisés par leur grande complexité chimique et structurale. Ils diffèrent en cela de la plupart des objets d’étude des chimistes et des physiciens et nécessitent donc des techniques d’analyse adaptées, si possible non-invasives, c’est-à-dire ne nécessitant aucun prélèvement de matière. Toutes ces techniques sont basées sur l’interaction de particules avec l’objet qui, en retour, renvoie une réponse sous forme de particules contenant les informations physico-chimiques sur la matière sondée.
Dans le cas d’AGLAÉ, c’est un faisceau d’ions qui permet de sonder les caractéristiques des matériaux à des échelles allant de la dizaine de micromètres7 à une dizaine de centimètres, de façon non-invasive, avec pour seule contrainte que l’objet puisse être déplacé sur le site de l’appareillage. D’autres grands instruments, comme Soleil et l’ESRF8, permettent de sonder la matière avec des particules sans masse, les photons. Des électrons sont d’abord accélérés à des vitesses proches de celle de la lumière dans un accélérateur linéaire (Linac) puis dans un accélérateur circulaire (booster), et ensuite injectés dans un anneau de stockage où les électrons effectuent des centaines de milliers de tours par seconde. Ceux-ci émettent alors un rayonnement très intense et très stable, dit synchrotron, résultant de l’accélération produite par la courbure de leur trajectoire. À différents endroits de l’anneau, appelés lignes de lumière, des gammes de longueurs d’ondes – des rayons X à l’infrarouge lointain – sont sélectionnées en fonction du type d’expérience que l’on souhaite réaliser.
Parmi les très nombreuses techniques utilisant le rayonnement synchrotron, les plus couramment utilisées sont la spectroscopie de fluorescence X (ou XRF), qui donne les mêmes informations chimiques que le PIXE, et les spectroscopies XANES et EXAFS9, basées sur l’absorption des rayons X. Alors que la XRF permet d’identifier et doser rapidement les éléments chimiques présents, les spectroscopies basées sur l’absorption X apportent des informations précieuses sur la spéciation de ces éléments, c’est-à-dire leur état d’oxydation ainsi que la nature et la distance des atomes environnants. D’autres techniques d’analyse utilisent ces rayonnements X. On peut citer la micro-tomographie-X, qui consiste à enregistrer une série de radiographies X à différents angles afin de reconstituer la morphologie en trois dimensions de l’objet étudié, et la micro-diffraction-X qui permet d’identifier les phases cristallisées au sein d’un mélange. Il est également possible de combiner plusieurs de ces techniques.
Contrairement aux spectroscopies et imageries basées sur les rayonnements X, qui mettent en jeu les électrons internes des atomes, celles basées sur la lumière UV, visible et proche infrarouge, font intervenir les électrons externes, très sensibles à la spéciation des éléments chimiques. Quant au rayonnement situé dans l’infrarouge (IR) moyen et lointain, il excite non pas les électrons des atomes mais les vibrations interatomiques. La micro-spectroscopie/micro-imagerie IR permet d’obtenir des informations moléculaires précises à la fois sur des composés organiques et inorganiques sans subir d’endommagement sous l’effet du faisceau.
Les techniques de spectroscopie et d’imagerie basées sur les faisceaux d’ion (IBA : ion-beam analysis), mises en oeuvre par exemple sur le nouvel AGLAÉ, sont complémentaires de celles basées sur le rayonnement synchrotron. Ces dernières sont plus nombreuses et variées que celles basées sur les faisceaux d’ions, et fournissent des images de meilleure résolution. Cependant, les techniques basées sur le rayonnement synchrotron nécessitent des lignes de lumières particulières alors que celles basées sur les faisceaux d’ions obtenues sur la même ligne de faisceau. Il faut également noter que la grande majorité des techniques synchrotron nécessitent des échantillons de petite taille (ou des prélèvements) alors que les techniques développées par le nouvel AGLAÉ s’appliquent à des objets de toutes tailles, pouvant aller jusqu’à la statue.
7. 1 micromètre (μm) = un millionième de mètre
8. Soleil (Source optimisée de lumière d’énergie intermédiaire du LURE) est installé sur le plateau de Saclay ; l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility), à Grenoble.
9. XANES = X-ray absorption near-edge spectroscopy ; EXAFS = Extented X-ray absorption fine structure spectroscopy.
Les responsables du nouvel AGLAÉ
Didier Gourier est professeur des universités. Après son doctorat d’État et deux années comme ingénieur à la Compagnie générale d’électricité (devenue Alcatel), il a intégré Chimie ParisTech en 1983 en tant qu’enseignant-chercheur. Il y a exercé de 1993 à 2006 la responsabilité de directeur scientifique, et a été conseiller pour la chimie au ministère chargé de la Recherche de 1998 à 2002. Il a dirigé le laboratoire « Chimie de la matière condensée de Paris » (CNRS/UPMC/Chimie-ParisTech) de 2001 à 2004. Il est membre du comité d’éthique du CNRS depuis 2011. Son domaine de recherche concerne la physico-chimie des matériaux fonctionnels (propriétés magnétiques et optiques essentiellement). Il a créé et dirigé de 2012 à 2015 l’infrastructure de recherche « Réseau national de résonance paramagnétique électronique » (rassemblant le CNRS, Chimie ParisTech, l’Université Paris Descartes, l’UPMC, l’Université Lille 1, l’Université de Strasbourg, AMU, l’Université Grenoble Alpes). Il est actuellement responsable de l’équipe « Physicochimie des matériaux témoins de l’histoire » créée en 2014, associant l’Institut de recherche de Chimie Paris (CNRS/Chimie ParisTech) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Depuis 2015, il est directeur de la fédération de recherche New-AGLAÉ (CNRS/Ministère de la Culture/Chimie ParisTech) qui accueille l’accélérateur d’ions AGLAÉ du C2RMF. Il est officier de l’ordre des Palmes académiques et professeur honoraire à l’Institut universitaire de France.
Isabelle Pallot-Frossard est historienne de l’art, conservatrice générale du patrimoine au ministère de la Culture. Elle a été inspectrice des Monuments historiques pour les régions Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine, puis responsable d’études à l’École du patrimoine (1980-1991). De 1992 à 2015, elle a dirigé le Laboratoire de recherche des Monuments historiques. En 2006, elle a été élue directrice du comité pour la recherche et la technologie du Corpus Vitrearum international et est aujourd’hui présidente du Comité scientifique international pour la conservation des vitraux (ICOMOS-Corpus Vitrearum). Elle a été membre du Conseil du centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels, l’ICCROM (2003-2011) et sa vice-présidente. Partenaire de nombreux programmes de recherche européens sur la conservation des matériaux du patrimoine, elle enseigne à l’École du Louvre et à l’École de Chaillot. Elle a signé de nombreux articles sur la conservation du patrimoine et en particulier sur la conservation des vitraux. Depuis 2015, elle dirige le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Elle est également directeur adjoint de la fédération de recherche New-AGLAÉ (CNRS/Ministère de la Culture/Chimie ParisTech). Elle coordonne avec Loïc Bertrand, directeur d’Ipanema (CNRS/Ministère de la Culture/UVSQ), la participation française au projet d’infrastructure E-RIHS (European research infrastructure for heritage science). Elle est officier de la Légion d’honneur, chevalier des Arts et lettres, membre associée de l’Académie royale de Belgique.
Claire Pacheco est docteur en physique des archéomatériaux. Elle a réalisé sa thèse à l’IRAMAT-CRP2A (Institut de recherche des archéomatériaux – Centre de recherche en physique appliquée à l’archéologie à l’université de Bordeaux 3). Le sujet de sa recherche, la dorure sur matrice vitreuse, en particulier dans la production de céramique glaçurée de l’Islam médiéval, a mis en oeuvre une méthodologie privilégiant les techniques non-destructives dont les analyses par faisceau d’ions réalisées sur AGLAÉ étaient l’axe central. Entre 2007 et 2011, elle a acquis une expérience en termes de coordination de projets nationaux et européens au CRP2A, au Centre d’étude et de mise en forme des matériaux de l’école des Mines de Paris (CEMEF-Mines ParisTech) dans le cadre d’un projet ANR sur les décors dorés dans les arts de l’Islam (DORAI) et sur AGLAÉ dans le cadre du programme européen CHARISMA. Depuis 2011, elle est l’ingénieure de recherche du ministère de la Culture responsable d’AGLAÉ. Dans le cadre du programme européen CHARISMA, elle a joué le rôle de platform leader à l’échelle européenne pour FIXLAB, consortium de quatre grands instruments proposant du temps d’utilisation pour les problématiques spécifiques des objets du patrimoine. Il réunit le synchrotron Soleil et le laboratoire Ipanema à Saclay, le Budapest neutron center et la ligne d’analyse par faisceau d’ions ATOMKI-HAS à Debrecen en Hongrie. Depuis 2014, elle dirige le groupe AGLAÉ+ au sein du département recherche du C2RMF. Celui-ci réunit autour de l’accélérateur des techniques complémentaires aux analyses par faisceaux d’ions et une plateforme laser.
Pour en savoir plus
Le nouveau dossier de la collection Sagascience, « La saga de… New AGLAÉ », retrace l’histoire de cet accélérateur de particules, de sa genèse à sa mise à niveau. Il rappelle aussi quelques-unes des découvertes rendues possibles grâce à AGLAÉ : de la mise en évidence de faux crânes de cristal précolombiens à la restauration de vitraux en passant par la découverte des routes empruntées par des parures du site de Carnac…