Plusieurs sondages récents montrent une fulgurante percée de Marine le Pen. L’un d’eux (ELABE/ BFMTV) explique ainsi qu’en cas d’élection présidentielle, cette dernière dépasserait les 30% au premier tour, en tête dans tous les cas de figure. En cas de duel le Pen/Macron au second tour, elle l’emporterait même avec 55% des voix...
Bien sûr, ces enquêtes d’opinion sont à considérer avec prudence. Les présidentielles sont dans plus de quatre ans et le président Macron ne sera pas candidat… Depuis sa première campagne présidentielle en 2012, d’innombrables sondages ont annoncé une poussée du vote en la faveur de Mme le Pen mais face à la réalité du scrutin en 2012, 2017, 2022, elle a toujours été largement battue. Cependant, les faits sont là : pour la première fois, la cheffe du RN est donnée nettement favorite.
Cette soudaine montée en puissance sondagière coïncide avec les aléas de la réforme des retraites sans que Mme le Pen ait fait preuve d’un activisme spectaculaire sur ce dossier. Sa réussite actuelle semble correspondre à l’effondrement de la droite LR dont elle récupère les suffrages potentiels. La poussée actuelle du RN se présente largement comme le résultat d’une monumentale erreur stratégique des leaders de LR qui donnent en ce moment tous les signes d’un rapprochement avec la présidence Macron et la majorité présidentielle.
Ainsi, plusieurs des principaux barons du parti de droite ont appelé à « un accord de gouvernement » dont le président Sarkozy, Jean-François Copé et Rachida Dati. Leurs voix ont rejoint celles de bien d’autres dont Jean-Pierre Raffarin, Eric Woerth et bien entendu, celle des ralliés de 2017, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno le Maire.
Le soutien d’Eric Ciotti et de l’état-major de LR à la réforme des retraites, même s’ils s’en défendent, confirme cette évolution. Le report de l’âge du départ à la retraite à 64 ans était l’une des seules propositions concrètes de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2022 et présentée comme « la mère de ses réformes ». Cette mesure, d’une utilité contestable et considérée comme injuste pour les travailleurs précoces, est à la source de la colère sociale.
En s’engageant avec ferveur et ostentation en faveur des 64 ans au prétexte douteux de s’en tenir aux programmes de 2017 et 2022 qui les ont conduits à la défaite, les dirigeants de la droite LR ont de facto exprimé une connivence avec la majorité présidentielle et au service de l’image personnelle du chef de l’Etat.
Le rapprochement de LR avec la majorité présidentielle a, dès lors, toutes les apparences d’un mouvement de fond. Pour les leaders de droite classique, l’alliance avec le macronisme, qu’elle soit explicite ou implicite, se présente comme une condition sine qua non de la reconquête du pouvoir à l’horizon de 2027. Selon eux, une coalition des forces présumées « de gouvernement », responsables et sérieuses, c’est-à-dire LR et ses alliés macronistes, réunis dans une posture commune de respectabilité, a vocation à livrer bataille aux « populistes » que sont le RN à droite et la Nupes à gauche. L’enjeu essentiel pour LR est dès lors de gagner la bataille de la succession d’Emmanuel Macron en interne au camp « respectable ».
Cette vision de l’avenir qui s’est emparée des esprits à droite se heurte cependant à de lourdes incertitudes. Elle fait fi de la perception des Français envers le bilan de la présidence Macron depuis six ans : sécurité, immigration, dette publique, prélèvements obligatoires, commerce extérieur, santé, énergie, logement, niveau scolaire, exemplarité politique, pouvoir d’achat (inflation), pauvreté, libertés, démocratie… En se rapprochant de la majorité présidentielle, LR donne le sentiment de cautionner ce bilan accablant, sinon de s’y confondre.
Les leaders de LR commentent une erreur monumentale en multipliant, au pire moment, les gestes d’allégeance à la présidence et à la majorité présidentielle. Par leur soutien à la mesure emblématique des « 64 ans », rejetée par plus de 90% des travailleurs et par leur refus de voter la censure, ils ont donné le sentiment de choisir le camp présidentiel contre le pays profond.
Or, à l’heure actuelle, 82% des Français s’estiment méprisés par leurs élites dirigeantes « qui ne tiennent aucun compte de ce que pensent les gens comme eux » (CEVIPOF 2023 sur la confiance). Le mouvement de protestation populaire est avant tout dirigé contre le phénomène du mépris qui s’incarne dans l’équipe au pouvoir. Voilà ce que les responsables actuels de LR ne veulent pas voir, au risque de se laisser entraîner dans une logique d’amalgame avec la majorité présidentielle, et avec elle, dans l’extrême impopularité et le naufrage final.
En attendant, au-delà de quelques coups de menton (peu crédibles), ils renoncent de facto à la mission d’opposition pour laquelle ils ont été élus, laissent le champ libre au RN et à la Nupes, auxquels ils concèdent le monopole de l’espoir d’alternance. Mme le Pen, en particulier, peut leur dire merci.
Et pourtant, dans les quatre années qui viennent, il n’est pas interdit d’espérer, du côté de la droite dite classique, un changement radical de vision et de visages. Une vaste frange de l’opinion, aujourd’hui privée d’une représentation politique conforme à ses idées et gagnée par l’abstentionnisme, est dans l’attente de cette main tendue et de cette réconciliation entre la droite et le peuple, au prix d’une authentique révolution culturelle…
MT