En octobre 2018, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) du ministère de la Justice a publié une note afin de rappeler les dispositifs existants en matière de prise en charge éducative des mineurs radicalisés ou en danger de radicalisation violente.
« Il faut d’abord viser l’instauration d’une relation éducative forte qui se substitue à celle des recruteurs djihadistes »
Interview d’Agathe Muriot, rédactrice au bureau des méthodes et de l’action éducative au sein de la DPJJ.
Face à des mineurs radicalisés ou en danger de radicalisation violente, quelles sont les actions que peuvent mettre en œuvre les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ?
La DPJJ a une longue expérience auprès de mineurs inscrits dans des logiques d’engagements délinquants et de réseau, où dominent des relations d’emprise dans le groupe.
Concernant la prise en charge de mineurs radicalisés ou en danger de radicalisation violente, l’institution a très vite pressenti que cette même organisation en réseau pouvait être à l’œuvre. Aussi, les mineurs en danger de radicalisation ne peuvent faire l’objet d’une prise en charge spécialisée ni d’un regroupement qui pourraient réactiver ces puissants fonctionnements de réseaux au détriment de toute intervention éducative. C’est, en effet, par la connaissance et l’apprentissage du vivre ensemble avec d’autres publics que le jeune radicalisé peut trouver les leviers d’une réinsertion dans la société civile, alors que son regroupement avec d’autres mineurs radicalisés peut l’inciter à reproduire les processus d’aliénation dans lesquels il était engagé avant sa prise en charge.
Il ne s’agit donc pas tant d’affecter spécifiquement des professionnels ou des structures à la prise en charge de ce public, mais de favoriser, au contraire, une prise en charge globale, quotidienne, par des équipes pluridisciplinaires, en s’appuyant tout à la fois sur l’ensemble de leurs savoirs faire et sur l’expertise de chacun des partenaires institutionnels et associatifs de la DPJJ.
L’expérience montre qu’il faut d’abord viser l’instauration d’une relation éducative forte qui se substitue à celle des recruteurs djihadistes. Les professionnels évitent l’usage du contre discours, perçu comme une reproduction des rapports de force qui stimulent les logiques victimaires, et s’appuient sur les actions de revalorisation narcissique, individuelles ou collectives, pour accompagner ces mineurs vers une réinsertion sociale, scolaire et professionnelle qui tienne compte des acquis de ces jeunes.
Par ailleurs, la DPJJ généralise une politique de prévention renforcée afin de protéger l’ensemble de ses publics particulièrement exposés au discours de violence et de rupture. Au travers de tous les types de prises en charge et de mesures qu’ils mettent en œuvre (en milieu ouvert, dans les établissements de placement et en détention) et avec le soutien des Référents « laïcité et citoyenneté » positionnés sur tous les territoires, les professionnels de la DPJJ mènent des actions individuelles ou collectives pour développer l’esprit critique, l’auto-défense intellectuelle et permettre aux adolescents qu’ils prennent en charge d’appréhender les notions d’altérité et d’empathie, de s’approprier les valeurs du vivre ensemble et de citoyenneté qui fondent la République.
Parce que nous évoluons dans un monde complexe, il est aujourd’hui indispensable de sensibiliser les jeunes à la lecture de contenus médiatiques pour favoriser une réception avertie du flot d’informations auxquelles ils sont confrontés chaque jour. Il s’agit ainsi de les aider à aiguiser leur esprit critique en leur inculquant de bons réflexes de citoyens éclairés et responsables des informations qu’ils partagent. Ainsi, l’éducation aux médias et à l’information est devenue une priorité interministérielle qui recense désormais de nombreuses actions sur l’ensemble du territoire, en partenariat avec les organismes institutionnels et associatifs. Les supports habituellement utilisés dans le cadre des prises en charges éducatives, qu’il s’agisse de l’outil vidéo, numérique, de débats, de médiations culturelles, sportives, sont autant d’occasions d’apprentissage du « vivre ensemble » qui visent à développer chez les jeunes la complexification de leur pensée et favorisent l’accès serein au doute et à l’altérité.
La DPJJ est présente sur l’ensemble du territoire et contribue, par son action partenariale, au renforcement de la présence des institutions dans les quartiers sensibles. Là où les recruteurs djihadistes cherchent, notamment via les réseaux sociaux, à établir des liens aliénants avec les jeunes, les acteurs de la DPJJ fondent leurs interventions sur l’instauration d’une relation éducative solide et constructive, qui s’appuie sur les ressources du groupe de pairs et des adultes. A ce titre, outre son intervention auprès du public pris en charge, la DPJJ participe à l’élaboration de projets partenariaux à destination des jeunes, avec notamment l’éducation nationale, les clubs de préventions, les municipalités.
Qu’est-ce que la mesure judiciaire d’investigation éducative ? Dans quelle mesure joue-t-elle un rôle clé ?
En tenant compte du fait que l’adolescent est un être en construction, soumis à des bouleversements physiologiques et psychiques qui peuvent induire de fortes tensions internes, la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) vise à une évaluation fine et globale de la situation personnelle et familiale du mineur.
Concernant les mineurs radicalisés ou en danger de l’être, la MJIE est systématiquement proposée au juge et majoritairement ordonnée. Menée par une équipe pluridisciplinaire dont la grille de lecture s’étoffe d’indicateurs spécifiques liés aux enjeux de la radicalisation, elle tend à contextualiser le choix idéologique et religieux du mineur (et parfois de sa famille), en s’appuyant notamment sur le discours qu’ils en font, puis en le resituant dans le parcours du mineur et la dynamique familiale dans laquelle il évolue. La question est bien d’évaluer précisément s’il existe des craintes de mise en danger. Les professionnels cherchent à identifier les points de rupture et de bascule, les alliances possibles dans l’entourage et les ressources personnelles dont dispose le mineur, pour permettre tout à la fois la prévention de la radicalisation violente et le processus de désengagement.
Le travail de MJIE, dynamique et étendu sur plusieurs mois, permettra d’éprouver certaines hypothèses proposées à partir de faits ou de constats observables et d’apporter un regard pluridisciplinaire sur l’appréhension d’une éventuelle radicalisation du jeune. La MJIE, qui permet au Juge des Enfants de vérifier si les conditions d’une intervention judiciaire sont réunies, propose, si nécessaire, des réponses en termes de protection et d’éducation adaptées à la situation du mineur.
Les situations des familles et des enfants de retour de zone Syro-Irakienne nécessitent une grande réactivité afin d’évaluer, le plus rapidement possible, les traumatismes de l’enfant qui a évolué dans un contexte de guerre, a été confronté à des discours radicaux violents, et qui, lorsqu’il est né sur zone, ne disposent pas d’état civil français.
Dans une grande majorité des cas, les enfants sont confiés à l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’une ordonnance de placement provisoire prise au moment de leur arrivée sur le territoire français. Aussi, les services de la DPJJ réalisent la MJIE en lien avec les services de l’aide sociale à l’enfance mandatés qui organisent leur accueil en structure collective ou en famille d’accueil.
En considérant d’abord l’intérêt supérieur de l’enfant, la MJIE a également pour objectif de discerner si les parents, qu’ils soient ou non poursuivis et/ou incarcérés, sont à même de soutenir le développement physique, affectif, intellectuel et social de leur enfant.
Dans le cadre de leur évaluation, les professionnels doivent identifier et prendre en compte les symptômes traumatiques potentiellement manifestés par ces mineurs, tout en considérant les effets d’une séparation de l’enfant avec les parents, décédés, restés sur place ou incarcérés à leur retour en France. Ils se montrent particulièrement vigilants à l’état de santé, aux carences de soins et de socialisation, aux troubles du comportement ou aux manifestations de repli sur soi qui pourraient freiner les capacités de l’enfant à s’inscrire dans un cadre scolaire ainsi que dans les autres espaces de socialisation.
Concernant les parents, les professionnels s’intéressent particulièrement à leur capacité à protéger leur enfant et à garantir les conditions de son épanouissement, ainsi qu’aux ressources dont ils disposent, pour le prendre en charge dans de meilleures conditions. Dans un certain nombre de situations, la MJIE doit permettre d’apprécier la possibilité de confier l’enfant à des membres de la famille élargie.
L’intérêt de la MJIE est de pouvoir bénéficier d’une évaluation pluridisciplinaire dans ces situations particulièrement complexes. En outre, l’intervention des personnels du secteur public de la DPJJ, qui ont bénéficié depuis deux ans de formations sur la prise en charge des mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation, apporte une plus-value à cette évaluation.
En tenant compte du fait que l’adolescent est un être en construction, soumis à des bouleversements physiologiques et psychiques qui peuvent induire de fortes tensions internes, la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) vise à une évaluation fine et globale de la situation personnelle et familiale du mineur.
« Chaque Référent laïcité et citoyenneté a un rôle de coordination et d’information en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation »
Angèle Roisin, chargée de mission adjointe de la mission nationale de veille et d’information à la DPJJ, explique le rôle des Référents « laïcité et citoyenneté » :
« La Mission nationale de veille et d’information a été créée par la DPJJ en avril 2015 afin de répondre au besoin de soutien des professionnels face à une problématique nouvelle de radicalisation du public mineur. Cette mission est composée d’un réseau de 70 référents, nommés Référents « laïcité et citoyenneté » (RLC), présents sur l’ensemble du territoire.
Le réseau se décline de la manière suivante : deux personnes au sein de la DPJJ, un Référent « laïcité et citoyenneté » au sein de chaque direction interrégionale (deux pour l’Ile-de-France/Outre-Mer) et un par direction territoriale (les postes sont doublés pour les directions territoriales du Nord, des Bouches du Rhône et du Rhône/Ain). Chacun, à son niveau, a un rôle de coordination et d’information en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation afin de soutenir et d’enrichir les pratiques des professionnels.
De manière plus englobante, et en réponse aux réactions et débats qui ont pu émerger à la suite des attentats, il s’agit aussi pour la Mission nationale de veille et d’information de poursuivre le travail engagé par la DPJJ au titre de la citoyenneté. Par le biais d’actions suscitant la réflexion et le développement de l’esprit critique, il s’agit de sensibiliser les mineurs à une conception de la société basée sur les valeurs de respect, de soi comme des autres, de solidarité et de tolérance. Appréhender ce qui fait obstacle pour un mineur ou une famille à la compréhension et à l’adhésion aux valeurs de la République, aider à la construction de l’identité, armer mentalement un jeune face aux fausses informations et aux théories complotistes, valoriser la richesse de l’altérité, soutenir l’acceptation de soi en tant qu’ individu à part entière, sont autant d’objectifs à mettre en œuvre pour prévenir et contrecarrer un processus de radicalisation. Les missions de la Mission nationale de veille et d’information sont déclinées à la fois dans une dimension collective, à travers des actions de prévention vis-à-vis des publics et de formation des professionnels, ainsi que dans une dimension individuelle, en appui des professionnels sur des situations de mineurs suivis pour des faits en lien avec la radicalisation. »
Lire la note : http://www.justice.gouv.fr/bo/2018/20181031/JUSF1821611N.pdf