A la suite de l’appel de Marseille du pape à accueillir les migrants, plusieurs personnalités politiques ou du show biz ont courageusement donné du menton en citant la célèbre phrase de Rocard: « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Tous les dix ans environ, cette déclaration ressort. Et grâce à elle les politiciens au pouvoir ont l’impression que du seul fait de l’avoir prononcée, il ont fait acte d’audace et à moitié réglé le problème. Soyons un peu sérieux, au-delà des belles phrases banales. Il est essentiel de lire, pour comprendre la situation, le bel article de M. Schoettl, paru dans le Figaro:
Il montre bien que les coups de menton et les provocations viriles ne servent qu’à couvrir l’impuissance (comme dans tous les domaines). En effet, une directive (loi européenne), de 2008 dite « directive éloignement » définit la procédure de reconduite à la frontière des migrants en situation irrégulière. La cour de justice de l’UE (CJUE), interrogé par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une « question préjudicielle » interdit le refoulement des migrants à la frontière dès lors que cette directive prévoit un délai de 30 jours accordé au migrants pour un retour volontaire. Evidemment absurde dans le contexte: des personnes qui ont risqué leur vie et joué leur fortune pour parvenir en Europe n’ont aucun chance de rentrer volontairement. Mais le juge européen interprète les textes votés par le Parlement européen: rien de plus logique.
Or cette mécanique qui prive le pouvoir politique de l’essentiel de ses marges d’action n’est pas tombée du ciel. On ne peut pas dire : le droit contre la politique. Car ce sont des politiques qui l’ont voulu, décidé, établi ainsi. Par le « traité d’Amsterdam » négocié en 1995-1997, les politiques ont voulu communautariser ces sujets de frontières, d’asile et d’immigration. Ainsi, ils mettaient en place une usine à gaz qui devait aboutir à transférer le traitement de ces questions, in fine, au juge supranational donc s’en déposséder et par voie de conséquence, en déposséder les parlements nationaux et les nations elles-mêmes. C’est un choix qui a été fait par les dirigeants de ces années, 1995, 1996 et 1997, droite et gauche confondues au nom du sacro-saint dogme de « la construction européenne ». Il est difficile de dire s’ils avaient conscience de ce qu’ils faisaient, à moitié sans doute, mais peu leur importait. Leur terreur était alors d’apparaître comme insuffisamment européistes. Au fond, on était comme toujours dans une affaire d’image.
N’accusez pas « la technocratie » en général. Quelques technocrates de cette époque bombardaient les dirigeants politiques de notes pour leur dire: vous allez à la catastrophe, vous entraînez, à terme, la France au désastre. Leurs notes étaient froissées et jetées à la corbeille. Ou alors, ils étaient moqués en réunion « vous ne comprenez rien au sens de l’histoire! » D’autres, il est vrai, jubilaient, frétillaient de joie devant cette prétendue avancée historique. I do remember. Rares sont les responsables politiques qui sentaient venir le risque et s’en inquiétaient: Séguin, Chevènement, mais leurs avis ne comptaient pas et eux-mêmes hésitaient à sacrifier leur destin politique en se braquant trop vigoureusement. Leur destin politique a quand même été sacrifié. Quant à la « droite de la droite », elle sentait bien le parti qu’elle allait tirer, à long terme, de cette débâcle intellectuelle déguisée en progrès.
MT