Message incompris

DSC02219Hier, le Figaro.fr a publié l’un de mes récents billets sur les difficultés et les pièges de l’alternance qui vient sans doute en 2017. Ce qui me fascine, ce sont les multiples réactions des lecteurs (300): l’incompréhension générale du message que j’essaye de faire passer. Plus le temps passe et plus ma conviction est faite, fondée sur l’expérience personnelle, les lectures historiques et l’observation de la vie politique et sociale. Nous avons changé d’époque et la vie politique doit s’adapter à cette transformation. Nous vivons, nous pensons, nous réagissons sur la base d’un modèle périmé, fondé sur une ultra-personnalisation du pouvoir qui ne peut plus fonctionner: celui de la gouvernance du pays s’incarnant dans un visage. Les régimes totalitaires, dans les années 1920 et 1930, ont porté ce système à son paroxysme à travers le culte de la personnalité, la France en 1940 avec le régime de Vichy et son culte du « sauveur ». Les démocraties l’ont repris et adapté à leur manière sous l’influence de la télévision. Mais ce système ne peut plus fonctionner dans la société d’Internet et des réseaux sociaux. Le chef est naturellement porté au sommet par un ego hors norme. Inévitablement, quels que soient ses faits et gestes, sur le nouveau continent virtuel , il se voit pris dans un lynchage permanent, traîné dans la boue, insulté, ridiculisé. Le monde médiatique, l’infinité des chaînes de radios, de télévision, la presse, embrayent sur ce passage à tabac permanent. Dès lors s’enclenche une logique infernale. Privé d’autorité et du prestige sans lesquels aucun commandement n’est possible, mais bouffi d’orgueil, le dirigeant suprême court après son image, tente par tous les moyens de la réhabiliter, de sauver « sa trace dans l’histoire ». Ainsi, il ne cesse de s’enfoncer dans les sables mouvants de l’impopularité et pire, du ridicule. Entraînant la classe politique dans sa fuite en avant, il manipule la réalité, communique, noie le pays de paroles, s’échappe dans la posture, la mise en scène, les coups médiatiques destinés à s’acheter une place dans la postérité. Plus personne ne songe dès lors à gouverner, à tenir la barre, à accomplir les réformes de fond indispensable au pays, à le sauver de la fragmentation, de la violence et du déclin, à préserver sa cohésion.  Dans le monde actuel, la personnalisation excessive de la vie politique conduit inévitablement à une logique de ce type, sous des formes variables selon les Etats. Les hommes providentiels ne peuvent plus exister. Les idolâtries du jour relèvent de l’illusion et conduisent à l’impasse. Les « petits pères des peuples », les guides ou les caudillos, c’est fini à jamais. Car nous sommes dans un autre univers. Je crois en revanche à la possibilité, même infime, du héros, c’est-à-dire d’un personnage désintéressé pour lui-même, indifférent à son image, à la postérité, visionnaire et d’un caractère supérieur à la moyenne, trop intelligent pour songer à sa trace dans l’histoire, qui intervient brièvement à un moment particulier pour remettre le pays sur la bonne voie avant de disparaître. Le héros ne peut pas s’incruster au pouvoir, ni être institutionnalisé durablement (comme chef de l’Etat). Sinon, il se banalise et sombre à son tour dans la déchéance et le grand spectacle décadent. C’est pourquoi je ne vois pas d’autre issue pour sauver la politique, dans la durée, que de tendre vers la dépersonnalisation, le partage du fardeau moral, la prise de la décision et la responsabilité collectives, anonyme par une équipe gouvernementale soudée, un Parlement souverain, un peuple à travers la démocratie directe et la décentralisation. L’idée n’est pas de proposer une solution miracle, mais de désigner un chemin, raide et mal tracé, vers un renouvellement de la culture politique. C’est tout ce que j’ai voulu dire. Mais les réactions indignées à ma chronique sur Figaro.fr sont fascinantes. Elles montrent comment les vieux schémas imprègnent si profondément les mentalités. Elles soulignent à quel point nos sociétés sont intoxiquées par l’habitude, et toute la difficulté à désenclaver les esprits.

Maxime TANDONNET

 

 

 


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Author: Redaction