Je ne sais pas pourquoi, j’adore les vieux livres des années 1920 ou 1930 à la couverture en simple papier renforcé jaunâtre, retrouvés dans des cartons au fond d’une cave, d’un grenier ou d’une bibliothèque oubliée. C’est ainsi que je suis tombé hier soir par un pur hasard sur le Robespierre d’un certain Georges Lizerand, professeur d’histoire (éditions Fustier), et ne l’ai pas quitté de la nuit. Le sait-on ? D’après cette biographie plutôt complaisante, l’homme, après une enfance malheureuse, orphelin de mère et abandonné par son père, devenu à 20 ans avocat à Arras, sans talent ni succès, n’avait rien d’un idéologue avant la Révolution. Bien au contraire, il se montre « comme un homme de l’ancien régime, monarchiste et très attaché à Louis XVI, dont il fait l’éloge en toute occasion, parlant de la tête si chère et si sacrée du roi (sic) ». Il est impossible de tout raconter en quelques lignes mais ce personnage plutôt fade, paisible, courtois, ennemi de la peine de mort, dont l’image, chez ceux qui le connaissent, s’attache à la passion de la vertu et de l’honnêteté, poussé par un orgueil démesuré, devient au fil de son ascension à la tête de la Convention, une sorte de monstre sanguinaire, atteignant visiblement les limites de la folie. Pendant quelques semaines, au sommet du pouvoir, il crée sa religion « de l’Etre Suprême » prônant, « la sagesse suprême, la justice immuable et la vertu sublime » et célèbre une immense fête le 20 prairial (8 juin 1794) à Paris. En parallèle à ce culte nouveau, destiné à remplacer le christianisme, il déclare le 6 prairial : « Nous jurons d’exterminer jusqu’au derniers des scélérats qui voudraient nous ravir le bonheur. » Il impose l’atroce loi du 22 prairial qui renforce le tribunal révolutionnaire et prévoit la peine de mort notamment pour « ceux auront cherché à égarer l’opinion et à empêcher l’instruction du peuple, à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique, à altérer l’énergie et la pureté des principes révolutionnaires. » Les accusés n’auront « plus de défenseur » et la présence des témoins est supprimée. Le tribunal révolutionnaire est appelé à fonder ses décisions non sur des preuves, mais sur la délation, dont Robespierre se fait le théoricien : « Quand on écrit une dénonciation, il faut la préciser », ou « quand on dénonce, il faut nommer ». La Grande Terreur entraîne en quelques semaines plusieurs milliers de morts. Questions qui me viennent à l’esprit : par quel processus psychologique un personnage, moyen sur tous les plans, plutôt bonasse, devient-il au pouvoir un fou sanguinaire ? Robespierre est-il le premier et l’inspirateur des grands monstres totalitaires de l’histoire qui ont fait couler des fleuves de sang au nom de bien suprême et de l’utopie de changer l’humanité ? Hormis les massacres et la guillotine, un Robespierre atténué ne coule-t-il pas toujours dans les veines d’une partie de la classe dirigeante ou médiatique française ?
Maxime TANDONNET