Lois mémorielles

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Extrait d’un entretien avec le site Atlantico, publié ce jour.

Maxime Tandonnet : Madame Taubira incarne l’aile gauche du gouvernement à travers son rôle dans l’adoption du "mariage pour tous" et la remise en cause des lois Sarkozy sur la sécurité, peines planchers, rétention de sûreté. Son rôle est ainsi vital dans l’équilibre politique de l’équipe au pouvoir. Il n’est donc pas illogique qu’elle fasse l’objet des critiques de l’opposition. Son image reste par ailleurs marquée par la loi mémorielle du 21 mai 2001, définissant l’esclavage comme un "crime contre l’humanité" dont elle fut le rapporteur. Ce texte garde une portée symbolique forte et il incarne une méthode contestée d’utilisation de l’histoire à des fins politiques.

Les massacres et les tragédies jalonnent l’histoire de l’humanité et ce type de loi revient à poser la question du choix des époques et des événements faisant l’objet d’un traitement particulier : la traite négrière fut bien sûr une abomination, mais pourquoi ne pas légiférer alors, par exemple, sur le sort des populations amérindiennes, les exactions dont le peuple chinois a été si souvent victime, le massacre de la jeunesse européenne en 1914-1918 (17 millions de tués et autant de mutilés) ? La loi du 21 mai 2001 a été accusée de partialité dans la mesure où elle passe sous silence les formes non européennes de l’esclavage (arabe, notamment), exprimant ainsi, pour ses détracteurs, une forme d’idéologie anti-occidentale.

Elle passe sous silence le rôle de la France dans l’abolition de ce fléau, d’abord en 1793 sous la Convention puis sous la Seconde République en 1848. D’autres textes du même type sont intervenus depuis, en particulier celui du 23 février 2005 tout aussi controversé et contestable, sur le "rôle positif de la colonisation". Il est reproché aux lois mémorielles de raviver des blessures, d’attiser les fractures, de sublimer la repentance, de favoriser ainsi les communautarismes au détriment de l’unité nationale en transformant la nation en mosaïque de revendications identitaires, d’exploiter l’histoire à des fins idéologiques, une tentation contraire à toutes les valeurs démocratiques, et enfin de porter atteinte à la liberté d’expression. On peut y voir aussi un dérivatif à l’impuissance du pouvoir politique face aux enjeux concrets que sont par exemple la lutte contre le chômage ou l’insécurité… Par une décision du 28 février 2012, le Conseil constitutionnel a censuré la pénalisation de la négation du génocide arménien au nom de la liberté d’expression, posant des limites à l’instrumentalisation politique de l’histoire.

Pour garder un sens, éviter le risque de la banalisation, de la surenchère et du morcellement de la mémoire, les lois mémorielles devraient sans doute conserver un caractère rigoureusement exceptionnel, limité à la condamnation du négationnisme relatif au génocide des juifs d’Europe sous la deuxième guerre mondiale.

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Maxime TANDONNET

Author: Redaction