Marisol TOURAINE a publié une tribune sur le site du Huffington Post, à la suite du vote au Parlement de la loi créant de nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie.
Vous pouvez lire la tribune ci-dessous ou sur le site du Huffington Post en cliquant ici.
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« Le Parlement a adopté hier la loi créant de nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie. Ce texte, voulu par le Président de la République et voté à la quasi-unanimité des parlementaires, consacre une avancée historique. Il inscrit le mouvement, désormais irréversible, de l’autonomie de la personne en fin de vie.
La fin de vie est un sujet politique au sens le plus fort du terme. Qui exige de porter une certaine vision de la société tout entière. Qui met en jeu, aussi, sur le sens de nos valeurs dans une société qui a changé.
Parce que notre rapport à la mort s’est transformé. La crainte de la mort, « seul mal réel de l’Homme » pour Chateaubriand, a changé de nature. Plus encore que le jour de leur mort, les Français appréhendent désormais « les » jours de leur mort. La médecine et les progrès scientifiques génèrent des situations de fin de vie plus longues et de plus en plus complexes, où s’estompent les frontières.
Il y a aujourd’hui une attente forte dans notre pays que personne ne conteste. Une attente de dignité. Mais quel sens lui donner ? La diversité des épreuves personnelles et la multiplication de cas individuels particulièrement difficiles et médiatisés interpellent et façonnent la conscience de chacun. Par-delà les divergences d’opinion, la capacité à maintenir des relations avec ses proches, à ne pas s’infliger ni leur infliger une situation dégradante, sont deux des exigences régulièrement réaffirmées par nos concitoyens.
Etre au rendez-vous de ces exigences impose une première grande priorité : celle du développement des soins palliatifs, qui permettent d’apaiser les souffrances du malade dont l’affection ne répond pas au traitement curatif. J’ai présenté le 3 décembre dernier un plan national pour les soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie. Son objectif ? Garantir l’égal accès de tous à ces soins. La prise en charge à domicile et en maison de retraite sera développée par la multiplication des équipes de soins mobiles. Le patient sera mieux informé, placé au cœur des décisions qui le concernent.
Mais il faut aller plus loin. Aujourd’hui, les malades en fin de vie veulent décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes. De continuer à vivre jusqu’au bout. Ou pas.
La loi Leonetti de 2005 ne répond plus qu’imparfaitement à cette attente. En permettant au médecin de décider avec ses pairs de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie, elle maintient la logique du seul encadrement des traitements, du « laisser mourir ». C’est une loi pour encadrer et protéger les médecins.
C’est une autre logique, une autre voie, celle de l’autonomie de la personne, qu’a engagée le Président de la République. Un très large consensus s’est construit autour du texte proposé.
Que dit cette nouvelle loi ? Qu’il revient désormais à l’individu et à lui seul, dès lors que la maladie dont il souffre est incurable et son pronostic vital engagé à court terme, de décider de ne plus souffrir. Comment ? En ayant le droit, nouveau, de demander une sédation continue jusqu’au décès. Cette pratique relevait jusqu’à présent de la seule appréciation médicale. C’est au patient et à lui seul qu’il reviendra désormais de choisir. Pour s’assurer du respect de son choix, les directives anticipées s’imposent désormais au médecin et leur durée de validité est supprimée. Les Français seront mieux informés de leur existence, leur accès sera facilité.
La discussion au Parlement a montré que certains souhaitaient aller au-delà. Le débat est toujours légitime et sans doute se poursuivra-t-il. Mais alors, il ne pourra désormais avancer qu’à partir d’un préalable nouveau : celui de l’autonomie de l’individu. La grande force de la loi votée hier, c’est d’avoir – enfin – renversé le paradigme de la décision, et par là même engagé un mouvement inéluctable.
C’est l’ultime liberté. La forme extrême de l’empouvoirement qui s’inscrit dans la lutte initiée au XXe siècle visant à octroyer à chaque individu le pouvoir d’agir sur sa condition sociale, économique, politique ou environnementale. Je suis convaincue de la nécessité d’en faire une réalité en matière de santé aussi, en renforçant tout ce qui permet à nos concitoyens d’être plus forts, de mieux se défendre, de faire valoir leurs droits, d’être maîtres de leur destin. Cela passe par le renforcement des droits des usagers et le développement de la démocratie sanitaire que j’ai porté dans la loi de modernisation de notre système de santé. Mais cela va au-delà. Au même titre qu’un patient a le droit de choisir son médecin et son traitement, il doit pouvoir, malade et en fin de vie, choisir de pouvoir terminer sa vie aussi dignement qu’il a vécu, sans souffrance. Le pouvoir de demander à bénéficier d’une sédation en fin de vie, fût-il ultime, s’inscrit dans cette logique. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, un enjeu de dignité ? Assurément. Une exigence démocratique et citoyenne, aussi. »