A l’instar de son prédécesseur Jacques Chirac qui avait préféré participer à la commémoration de Trafalgar plutôt qu’à celle d’Austerlitz, et qui restera convaincu jusqu’à la mort que la seule date méritant d’être retenue dans l’Histoire de France est 1664, nous avons appris avec stupeur cette semaine la décision d’Emmanuel Macron de ne pas commémorer militairement la Victoire de 1918.
De mes six arrières-grands-pères et oncles en âge de se battre en août 1914, deux ont été tués dans les tout premiers mois de la guerre qui virent les journées les plus meurtrières de toute l’histoire militaire de notre pays, un troisième fut si grièvement blessé par une balle dum-dum que son fils fut déclaré pupille de la Nation, alors que le quatrième subit un choc post-traumatique tel qu’il finit au fond du canal de l’Ourcq quelques années seulement après son retour de Salonique. Quant aux deux derniers, et bien qu’ils fussent l’unique soutien de familles de quatre enfants chacun, ils ne furent démobilisés qu’en février et octobre 1919.
Bien au-delà de mon histoire familiale, cette guerre allait faire 6 MILLIONS de victimes dans nos rangs, dont 1,4 million de tués.
Avaient-ils aspiré à ce destin ? En aucun cas. Ils n’ont fait que répondre à l’appel de leur pays, ont endossé un uniforme qui les transforma en cibles vivantes sitôt enfilé ; ils ont quitté leurs foyers et leurs vies du jour au lendemain pour aller faire leur devoir, trop souvent jusqu’au sacrifice suprême. Les souffrances endurées par ces ingénieurs, ces peintres, ces cochers ou ces ouvriers agricoles, qu’ils fussent morts pour la France à 30 ans ou qu’ils aient survécu à cette boucherie, sont inimaginables pour qui ne les a pas endurées. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres à pied sous le feu de l’ennemi, la chaleur accablante puis le froid glacial, avec plus de 40 kilos sur le dos, attaquant sans relâche puis se repliant en ordre, sans jamais céder à la panique, faisant preuve d’un héroïsme banal inconcevable pour une jeunesse actuelle qui n’aspire plus à être respectée que parce qu’elle le vaut bien.
Ce sont ces hommes qui se sont battus comme des lions, comme des chiens derrière leurs officiers qui n’abdiquèrent jamais l’honneur d’être des cibles, qu’insulte aujourd’hui Emmanuel Macron en refusant de rendre les honneur militaires aux armes qu’ils ont si vaillamment portées. Des armes que leurs fils allaient devoir ressortir 20 ans plus tard lorsque l’armée française fut une nouvelle fois LA SEULE à se dresser face à la totalité de l’armée allemande, alors alliée à l’armée rouge. Car si le sort de la bataille lui fut cette fois moins favorable, il est urgent de rappeler qu’aucune autre armée alliée ne fit mieux qu’elle,
Faut-il ne rien connaître de l’Histoire ni de la chose militaire pour ne pas voir que chaque défilé constitue un égal hommage aux vainqueurs et aux vaincus, que leur succession a pour fonction de rappeler aux vivants combien ces statuts sont éphémères et changeants, que la célébration de l’armée et des soldats qui la composent permet précisément de la distinguer des politiques qui décident de son emploi.
Faut-il être hermétique à toute forme de transcendance pour ne pas voir qu’à travers la célébration des chefs, avec leurs qualités et leurs défauts, ce sont leurs hommes que nous honorons comme nous sûmes jadis le faire en nous inclinant sur le tombeau du Soldat inconnu d’un côté, tout en élevant à la maréchalerie ses généraux de l’autre : Foch, le généralissime de toutes les armées alliées, maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne ; Joffre et Gallieni, les vainqueurs de la Marne ; Pétain, le vainqueur de Verdun ; Lyautey, le créateur de la direction de l’aviation et ministre de la Guerre ; Franchet d’Espèrey, le libérateur de la Serbie et voïvode de Yougoslavie.
Mais il y a (encore) plus grave : Emmanuel Macron insulte l’amitié franco-allemande en affirmant sans ambages qu’elle pourrait être compromise par une célébration militaire du centenaire de la Victoire. Car M. le Président, quelle serait donc cette amitié qui ne permettrait pas de rendre les honneurs aux hommes qui se sont battus glorieusement pour leur drapeau ? Qu’elle serait cette amitié qui, après avoir lu Genevoix, Dorgelès et Remarque, après avoir triomphé de la barbarie nazie, après s’être solidement forgée dans le charbon et l’acier il y a 55 ans sous l’égide de dirigeants visionnaires pour devenir le ferment du renouveau européen, volerait soudainement en éclats à la simple vue d’une armée défilant au pas, fière de ses aînés tout en continuant, inlassable, sa lutte à travers le monde pour défendre nos deux pays, nos deux peuples, nos deux cultures ? Mon plus vieil ami, ancien officier de la Luftwaffe, se détournera-t-il à jamais de moi parce que nous aurons glorifié Ceux de 14 ? S’en attristera-t-il seulement ? Quel genre d’ami serait-ce donc ?
Laisser penser une seule seconde que l’amitié franco-allemande serait à ce point fragile n’est qu’une manœuvre supplémentaire visant à nier à la France sa place de nation majeure de l’Europe d’hier et d’aujourd’hui, pour mieux la diluer dans la soupe fédéraliste à laquelle Macron aspire et travaille chaque jour avec constance. Elle s’inscrit en droite ligne d’autres aberrations telles que la volonté d’associer l’Allemagne à la dissuasion nucléaire française ou de partager notre siège au Conseil de sécurité permanent des Nations-Unies. Malgré tout le respect dû à une fonction qui le dépasse et l’écrase, c’est à rien de moins qu’une haute trahison que l’actuel président de la République se livre au vu et au su de tous, et c’est à l’aune de cette duplicité qu’il convient désormais de juger le moindre de ses actes.
« J'ai voulu défendre la France car elle m'avait donné à manger...
Tous ces jeunes tués, je ne peux pas les oublier. Quel gâchis ! »
Lazare Ponticelli, dernier survivant des poilus, disparu le 12 mars 2008.
Jean-Marc Chipot
Sécrétaire departemental adjoint des Alpes-Maritimes