La collaboration internationale du spectromètre magnétique Alpha AMS, lequel implique le CNRS pour la partie française, publie ses tout premiers résultats dans sa quête d’antimatière et de matière noire dans l’espace. Les premières observations, basées sur l’analyse de 25 milliards de particules détectées durant les 18 premiers mois de fonctionnement, révèlent l’existence d’un excès d’antimatière d’origine inconnue dans le flux des rayons cosmiques. Ces résultats pourraient être la manifestation de l’annihilation de particules de matière noire telle qu’elle est décrite par certaines théories de supersymétrie, même si des analyses complémentaires seront nécessaires pour vérifier une telle origine révolutionnaire.
Située à bord de la Station Spatiale Internationale, l’expérience AMS est un détecteur de particules dont le but est l’étude des rayons cosmiques. Les rayons cosmiques sont des particules chargées telles que des protons ou des électrons, qui bombardent en permanence notre planète. Les positons, quant à eux, sont des particules d’antimatière qui ressemblent de très près à des électrons, mais qui s’annihilent avec eux et sont de charge opposée. Les premiers résultats de l’expérience AMS indiquent ainsi avec une précision sans précédent la présence d’un excès de positons dans le flux des rayons cosmiques. Il apparaît que la fraction de positons augmente de façon continue de 10 GeV à 250 GeV. Cette variation ne peut pas être expliquée par la seule production de positons secondaires, c’est-à-dire par ceux résultant uniquement des collisions des noyaux d’hydrogène avec le milieu interstellaire. D’autre part, les données ne montrent pas de variation significative temporelle ou d’inhomogénéité spatiale. Ces résultats ont été obtenus à partir d’un an et demi de données qui ont permis l’enregistrement de 25 milliards de particules incluant 400,000 positons dans des énergies de 0.5 GeV à 350 GeV.
Un tel excès d’antimatière avait déjà été observé par le satellite PAMELA en 2008, puis par le satellite Fermi, à des énergies inférieures. Les données d’AMS dépassent le domaine en énergie précédemment sondé et viennent confirmer avec une précision et une quantité de données sans précédent qui ne laissent plus place au doute quant à l’existence de cet excès de positons. L’origine de ce signal, en revanche, reste inexpliqué. Il pourrait être le fait de pulsars proches de notre galaxie ou être la signature de l’existence de particules de matière noire. Les théories de supersymétrie prédisent en effet l’observation d’un tel excès de positons qui résulterait de l’annihilation de particules de matière noire. De tels modèles prévoient également une « coupure » aux énergies élevées. Plus de données seront nécessaires pour déterminer avec précision la proportion de positons au-dessus de 250 GeV.
La présence de matière noire dans notre univers n’est jusqu’à présent détectée que de manière indirecte au travers de ses effets gravitationnels. Cependant, la nature de cette matière noire reste l’un des plus importants mystères de la physique moderne alors qu’elle compterait pour près d’un quart de l’ensemble de la balance masse-énergie de l’Univers, contre seulement 4 à 5 % pour la matière ordinaire visible. L’une des hypothèses favorites des physiciens est que cette matière noire serait constituée de particules interagissant très peu avec la matière.
Les premiers résultats d’AMS sont publiés dans la revue Physical Review Letters.
AMS est le fruit d’une large collaboration internationale réunissant près de 600 chercheurs, avec une très importante participation européenne. Le détecteur a été assemblé sur le site français du CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire. C’est également là que se trouvera le centre scientifique de traitement des données d’AMS.
La France a joué un rôle majeur dans la conception et la réalisation de plusieurs parties de cet instrument, à travers quatre laboratoires du CNRS [1] :
- le Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules (CNRS/Université de Savoie) pour le calorimètre électromagnétique,
- le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (CNRS/Université Joseph Fourier/Grenoble INP) pour le détecteur Cherenkov à imagerie annulaire,
- le Laboratoire Univers et particules de Montpellier (CNRS/Université Montpellier 2) pour la responsabilité complète du système GPS spatial,
- et le Centre de Calcul de l’IN2P3 du CNRS, qui a fourni une bonne partie des ressources informatiques pour la simulation de l’expérience et la préparation de la physique.
De nombreuses industries françaises ont également contribué à la réalisation du détecteur.
Notes
[1] Les laboratoires français ont reçu le soutien financier du CNRS et du CNES, mais aussi de la Région Rhône-Alpes, de la Région Languedoc-Roussillon et du département de Haute-Savoie, en raison de l’impact positif sur l’industrie et sur la formation de ces collectivités territoriales.