- Trois ans après le début de son quinquennat, Emmanuel Macron semble ressentir l’entrave de l’administration dans l’exercice de son action. Est-ce une réalité ou une manoeuvre politique ?
L’idée que la haute administration met les bâtons dans les roues du chef de l’Etat me semble particulièrement fallacieuse. L’actuel président de la République, dans l’ensemble, a les faveurs de la haute fonction publique qui a voté pour lui. Son idéologie coïncide largement avec celle dominante de la haute administration dont il est d’ailleurs un authentique produit. Imaginer que la technostructure s’acharnerait à bloquer l’action de politiques qui pensent et sentent comme elle, est un cliché. C’est d’ailleurs mal connaître l’esprit de la haute administration, plutôt soumise et obéissante, que de l’imaginer sabotant les initiatives des politiques. S’il y a un reproche à lui faire, dans son ensemble (car il y a des exceptions) c’est plutôt celui de l’excès de conformisme. L’Etat a besoin de serviteurs loyaux, mais capables de penser par eux-mêmes, d’exprimer leurs désaccords avec le pouvoir politique et de les assumer. Tel n’est généralement pas le cas, malgré des exceptions. En revanche, quand les dirigeants politiques déçoivent ou s’effondrent, ils cherchent des boucs émissaires. La haute fonction publique est évidemment le coupable idéal désigné par les dirigeants politiques pour se défausser de leurs propres fautes. S’attaquer à la « technostructure », l’accuser de tous les maux, est un grand classique dans ce pays.
Alors que le président s’est souvent montré audacieux dans sa communication, peut- on pour autant estimer que son action politique, si elle pouvait être libérée de la contrainte administrative, serait audacieuse sur le fond ?
Les contre-pouvoirs et les obstacles à l’action publique ne tiennent pas, pour l’essentiel, à la haute administration, mais à des évolutions de long terme qui ont été voulues par les politiques : transfert des pouvoirs à Bruxelles (par exemple en matière monétaire), décentralisation des compétences, suprématie des juridictions qui imposent leurs jurisprudences (conseil constitutionnel, cour de justice européenne et cour européenne des droits de l’homme), poids de la dette publique qui obère les marges de manœuvre budgétaires, puissance de la rue et des media, etc… A cela s’ajoute la frilosité des dirigeants qui songent avant tout à conserver leur place ou à être réélus et reculent devant les risques de l’action. Tout le malheur de la politique française vient du décalage entre les annonces ou promesses tonitruantes et la réalité infiniment complexe. Pour compenser l’impuissance publique, l’incapacité à changer les choses, le politique fuie le monde des réalités par des communications toujours plus fracassantes (« le nouveau monde, la transformation de la France, la refondation, la réinvention, le nouveau chemin, etc. »). Les mots et les formules servent à cacher l’immobilisme. Mais de fait, les gens sont beaucoup plus lucides que ne le pensent les politiques et ils se rendent parfaitement compte de cette contradiction fondamentale.
Maxime TANDONNET