Les raisons profondes de l’effondrement du mur ou front républicain (pour Figaro Vox)

Le front républicain connut son heure de gloire au printemps 2002, quand le second tour des élections présidentielles opposa Jacques Chirac à Jean-Marie le Pen. La gauche s’unit à la droite pour faire échec au parti « antisystème » avec 80% des voix. Lors des élections régionales de 2015, le même scénario se reproduisit à l’identique dans plusieurs régions, privant le parti lepéniste de présidences qui pouvaient tomber dans son escarcelle. A l’inverse lors de la finale des présidentielles de 2017, une majorité des électeurs « de François Fillon » se rassembla autour du candidat venu d’un gouvernement socialiste, Emmanuel Macron, pour mettre en échec Marine le Pen, avec un succès toutefois moins net qu’en 2002 : 65/35%. Or, le front républicain consistant à « faire barrage au RN » ne semble en mesure de se reproduire aux régionales ni aux futures élections nationales.

La dédiabolisation ou banalisation du discours lepéniste en est l’une des raisons les plus évidentes. La stratégie électorale des dirigeants du RN consiste à balayer toutes les aspérités qui en faisaient un parti « antisystème ». Ainsi, le renoncement à la sortie de l’euro au cœur du programme de 2017 est emblématique de cette neutralisation tout comme l’abandon du projet de sortie de l’Union européenne. Certes, une conversion si radicale, sur un sujet aussi fondamental, en si peu de temps, laisse un arrière-goût de suspicion. De même quelques îlots de mémoire – sur l’histoire de ce parti – survivent à l’opération de table rase. Cependant, ces deux obstacles sont désormais sans doute insuffisants pour faire échec à la normalisation en cours.

A cela s’ajoute un autre facteur. L’état désastreux dans lequel se trouve la France relativise l’incompétence ou l’amateurisme généralement prêtés aux cadres du mouvement antisystème. De fait, jamais sans doute depuis 1945 la situation du pays n’aura été aussi dégradée : un chômage tellement répandu que plus personne n’en parle, l’explosion des violences et le chaos quotidien, un déficit public et une dette qui battent tous les records (9,6% et 120% du PIB), un vertigineux effondrement du niveau scolaire, une pauvreté touchant 10 millions de personnes sans même parler de la gestion erratique de la catastrophe sanitaire du covid-19 (masques, lits, vaccins). La réaction naturelle de l’électeur lambda, dans le contexte actuel, pourrait bien être de se demander : comment faire pire ?

Dans un climat de nihilisme sans précédent, la question du sens des valeurs républicaines se pose inévitablement. Pourquoi un « front républicain » ? Quelle République à défendre ? En ce moment, tous les piliers républicains se trouvent dangereusement ébranlés par un mode de gouvernement qui substitue le rayonnement médiatique de l’occupant de l’Elysée à la vie démocratique. La suspension de fait du Parlement par l’usage banalisé des ordonnances et de l’état d’urgence, associé au renoncement à consulter le peuple par referendum (depuis 2005) est emblématique de cette dégradation de la démocratie. La succession des confinements, couvre-feu et autres mesures bureaucratiques, sans véritable preuve de leur utilité face à la crise sanitaire, a montré que la menace contre les libertés ne pouvait se limiter au seul spectre lepéniste. Dès lors, comment un parti accusé d’être « antirépublicain » peut-il encore faire peur dans un contexte de grand trouble sur les valeurs républicaines ?

La vie politique française ne cesse de fuir le monde des réalités et du vécu quotidien des Français pour sombrer dans la posture, les polémiques (volontaires), les coups médiatiques, les provocations : bref un Grand-Guignol qui n’a rien de républicain au sens de res publica (la chose publique ou le bien commun). Ce naufrage de la politique nationale dans le spectacle nihiliste et narcissique au détriment des convictions se traduit par une vertigineuse poussée de l’indifférence populaire et par un abstentionnisme record (85% aux législatives partielles parisiennes !) Elle se réduit désormais à un combat de chefs, à un affrontement entre des narcissismes exacerbés en dehors de toute notion de débat d’idées ou de projet. Dès lors qu’il n’y a plus rien à défendre ou à sauver dans le nihilisme ambiant, quel peut-être le sens d’un front républicain ?

La fin du front républicain est cependant loin d’ouvrir la porte du pouvoir aux dirigeants lepénistes et au RN. Dans une France promise par les sondages et les analyses politiques à la reproduction du duel de 2017, la question – absurde – qui se présente aujourd’hui est de savoir lequel de M. Macron ou de Mme le Pen sera le moins détesté par les Français en 2022. D’ailleurs, une grande partie de la gauche – autant que de la droite – renvoie désormais les deux dos à dos.  Rien ne permet aujourd’hui d’y répondre à coup sûr. A moins que d’ici là, dans le chaos ambiant, un événement inattendu ou l’émergence de nouvelles personnalités ne viennent troubler le scénario annoncé.

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction