Qu’il y a t-il de plus propice à la lecture qu’un mois d’août sous la pluie, pas seulement une pluie d’orage, mais une pluie froide, tenace, continue, une pluie d’automne avant l’heure? Certains livres vous marquent pour la vie, et parmi ceux-là, un chef d’oeuvre prophétique aujourd’hui plus ou moins oublié: "L’ère du vide", écrit en 1983 par Gilles Lipovetski (Gallimard). Plutôt qu’un résumé, j’en citerai trois passages particulièrement significatifs:
– "A l’âge post moderne, une valeur cardinale perdure, intangible, indiscutée au travers de ses manifestations multiples: l’individu et son droit toujours plus proclamé de s’accomplir à part, d’être libre à mesure même que les techniques de contrôle social déploient des dispositifs plus sophistiqués et humains."
– "Le narcissisme est indissociable de cette tendance historique au transfert émotionnel: égalisation-abaissement des hiérarchies suprêmes, hypertrophie de l’ego, tout cela à coup sûr peut-être plus ou moins prononcé selon les circonstances, mais à la longue, le mouvement semble bien irréversible…"
– "A-t-on jamais autant organisé, édifié, accumulé, et simultanément, a-t-on jamais été autant hanté par la passion du rien, de la table rase, de l’extermination totale? En ces temps où les formes d’anéantissement prennent des dimensions planétaires, le désert, fin et moyen de la civilisation, désigne cette figure tragique que la modernité substitue à la réflexion métaphysique sur le néant".
Il faut avoir lu ce livre pour comprendre l’époque.
Maxime TANDONNET