Lecture: Staline, la cour du tsar rouge (I) 1929-1941, par Simon Sebag Montefiore, Perrin 2010

Connaissez-vous Kaganovitch, Vorochilov, Molotov, Boukharine, Mikoïan, Kirov? Ce sont des membres du politburo du parti communiste de l’URSS, les plus fidèles disciples de Staline dans les années 1930. Cette monumentale biographie de 1500 pages intenses raconte la grande et la petite histoire du dictateur soviétique et de sa cour. Tous sont unis par un dévouement fanatique à la cause du bolchevisme. Le livre commence par le suicide de Nadia, sa femme hystérique, névrosée, jalouse, à la suite d’une soirée d’anniversaire arrosée au cours de laquelle le Tsar rouge a flirté avec la compagne de l’un de ses amis.

L’ouvrage n’épargne rien de cette petite cour qui vit repliée sur elle-même dans les murs du Kremlin, autour de Staline leur demi-dieu et maître à penser. L’URSS est mise à feu et à sang par la persécution des Koulaks, petits paysans de Russie, de Géorgie et d’Ukraine, qui sont les ennemis et gibiers de potence du régime. Les campagnes sont ensanglantées, ravagées, affamées par les descentes des soviétiques qui reprochent à la paysannerie de saboter la marche vers le communisme en refusant de livrer ses blés et ses farines. Dans le train qui emporte la cour vers ses nombreuses datchas, luxueuses résidences secondaires, par exemple à Sotchi, la préférée de Staline, les dignitaires du régime baissent les rideaux pour épargner à leurs enfants la vision des amoncellements de cadavres qui jonchent les champs et les villages. Au moins dix millions de morts.

En 1937, à la suite de l’assassinat de l’un des compagnons de Staline, Kirov, à Leningrad, le régime franchit un nouveau palier dans la folie meurtrière. C’est là qu’entrent en jeu deux nouveaux amis du tsar rouge, Beria, Ejov, dit « le nabot », bourreaux de la police stalinienne, le NKVD, qui mettent en oeuvre les grands massacres de l’époque. Le régime sombre alors dans une véritable terreur aveugle. Toute dénonciation, ou suspicion de tiédeur envers Staline vaut arrestation, torture dans les caves du Kremlin et mise à mort sadique après passage aux aveux. Les meurtres se comptent par centaines de milliers dans tout le pays. La hiérarchie militaire est décimée, l’administration, le parti lui-même. Dans tout le pays les dirigeants soviétiques reçoivent des « quotas » d’exécutions à réaliser: 10 000, 40 000, 100 000. Staline en demande toujours davantage. Les épouses et les enfants ne sont pas épargnés. Les familles sont prises en otage avant d’être exterminées. A un certain stade, il n’est même pas nécessaire d’avoir un prétexte, une raison, pour répandre le sang: il faut tuer pour tuer. Les listes sont soumises à Staline qui les signe. Le soir lui et ses disciples ricanent en dansant et en buvant du récit des tortures et des exécutions de leurs anciens amis. Les plus proches, soudain soupçonnés de trahison, pour un regard, un infime état d’âme sur la tuerie en cours, sont à leur tour enfermés et massacrés, avec leurs proches. « Cette hécatombe toucha le cercle de Staline avec une force particulière. Les dernières estimations indiquent que toutes données confondues, 1,5 millions de personnes furent arrêtée, et environ 700 000 fusillées… Frappez, exterminez sans trier, ordonnait Ejov à ses bourreaux ».

La plupart des personnages du récit sont des êtres médiocres, des illettrés, incultes, lâches et faibles d’esprit. L’adoration de Staline est l’un des aspects les plus étranges du livre, la fascination que dégage ce personnage épouvantable à tous les égards, à l’époque admirateur de Hitler et de sa « nuit des longs couteaux ». Les hommes de son entourage se damnent pour passer un moment avec lui, s’enivrer dans une soirée, avant d’être interpellés par le NKVD en sortant de son appartement. Après des journées et des nuits de tortures au moment d’être exécuté d’une balle dans la tête par Ejov en personne, un membre du politburo supplie ce dernier: « dis à Staline que je l’aime passionnément… » Les survivants sont les plus inconditionnels, les lèche-bottes absolus: « Sur l’appel de Yakir, Staline écrivit: « un salaud et une putain ». Définition parfaitement exacte » confirma servilement Vorochilov. Molotov, apposa aussi sa signature, mais le meilleur ami de Yakir, Kaganovitch, ce crut presque obligé d’en rajouter: Pour ce traître, cette crapule, cette merde, il n’y a qu’un seul châtiment possible: la mort. »

Le secret de Staline se trouve peut-être dans ce passage extraordinaire du livre, où, de retour dans son village natal de Géorgie en pleine terreur, il retrouve sa vieille mère agonisante: « Ce jour-là, Staline, assis à ses côtés et tout sourire, lui posa une question révélatrice: « Pourquoi me battais-tu si fort? » C’est pour ça que tu as si bien tourné », répondit-elle, avant de demander: « Iossif, qui es-tu maintenant, au juste? » « Eh bien, tu te souviens du tsar? Je suis un peu un tsar ». « Tu aurais mieux fait de devenir prêtre », lui répondit-elle, une remarque qui enchanta Staline. »

Un chef d’oeuvre, à lire absolument.

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction